Génocide, urbicide,
domicide :
Comment parler de la
guerre d’Israël contre Gaza ?
Par
Al Jazeera le 3 juillet 2024
Traduction
AFPS
Des responsables, des
experts et des militants ont utilisé différents termes pour décrire la
destruction de Gaza par Israël. Mais qu’est-ce que cela signifie ?
L’Afrique du Sud a
assigné Israël devant la Cour internationale de justice, l’accusant de
commettre un génocide à l’encontre des Palestiniens de Gaza - et 12 autres
pays ont soutenu l’affaire.
Le terme "génocide"
est un terme juridique de plus en plus utilisé pour décrire ce qu’Israël
fait à Gaza, alors qu’il tue de plus en plus de personnes, un chiffre qui
approche les 40 000.
Quels autres termes ont
été utilisés pour décrire ce qui se passe à Gaza ?
Génocide,
tuer un peuple
Le génocide est le "meurtre
délibéré d’un grand nombre de personnes d’une nation ou d’un groupe
ethnique particulier dans le but de détruire cette nation ou ce groupe".
Il a été inventé par
l’avocat juif polonais Raphael Lemkin - "geno", le mot
grec pour race ou tribu, et "-cide", le mot latin pour
tuer - pour décrire le meurtre des Juifs et d’autres groupes par les nazis
pendant l’Holocauste.
Le terme "génocide"
est apparu très tôt dans cette guerre : en octobre, plus de 800
universitaires ont signé une lettre mettant en garde contre un "génocide
potentiel à Gaza".
Dans un rapport publié en
mars, le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains dans
les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese, a déclaré qu’il y
avait "des raisons de croire que le seuil indiquant la commission
du crime de génocide [...] a été atteint".
Les analystes et les
observateurs des droits humains soulignent les déclarations de hauts
fonctionnaires israéliens, ainsi que de soldats combattant à Gaza, qui
prônent la destruction de Gaza et le déplacement de sa population.
Urbicide,
tuer une ville
Créé dans les années
1960, le terme urbicide décrit la destruction délibérée d’une ville et a
été largement utilisé à la suite du siège serbe de Sarajevo entre 1992 et
1996.
Les attaques russes
contre Grozny, en Tchétchénie, en 2001, la destruction par Israël de la
banlieue sud de Beyrouth en 2006, la destruction par le gouvernement de
Bachar el-Assad des villes syriennes de Homs et de l’est d’Alep entre 2012
et 2017, la campagne d’ISIL (ISIS) à Mossoul, en Irak, et l’attaque par la
Russie de Marioupol et de Buca, en Ukraine, ont été qualifiées d’urbicides.
Entre le 7 octobre et le
31 mai, Israël a endommagé ou détruit environ 55 % (soit 137 297
structures) de la bande de Gaza, selon un rapport du Centre satellitaire
des Nations unies (UNOSAT).
Ces structures étant les
éléments constitutifs d’une ville - maisons, écoles, hôpitaux, sites
culturels, sites religieux et infrastructures liées à l’eau, à
l’électricité et aux transports -, certains chercheurs considèrent les
actions d’Israël comme un assassinat des villes de Gaza, ou urbicide.
Domicide,
tuer le foyer
Le domicide est une
extension de l’urbicide et signifie la destruction délibérée et
systématique des espaces de vie, ciblant les lieux de résidence intimes de
sorte que toute forme de stabilité, physique ou émotionnelle, est remplacée
par un sentiment de flux constant.
De tout ce qui a été
détruit par Israël depuis octobre, c’est le logement à Gaza qui a été le
plus touché. L’UNOSAT a dénombré 135 142 logements endommagés,
principalement dans la ville de Gaza, à Khan Younis et dans le nord de la
bande de Gaza.
Les maisons n’étant plus
habitables et le sentiment d’appartenance détruit, certains Palestiniens
n’auront d’autre choix que de quitter la bande de Gaza.
Bien qu’il s’agisse d’une
migration forcée, elle permettrait en quelque sorte aux responsables
israéliens de nier toute responsabilité dans le fait que des Palestiniens
quittent leur patrie.
Selon les Nations unies,
le rétablissement de Gaza à son niveau d’avant le conflit nécessiterait des
décennies de travail intensif pour déblayer les décombres, les munitions
non explosées et les mines terrestres.
Politicide,
représentation meurtrière
On parle de politicide
lorsqu’un acteur puissant s’emploie à exécuter politiquement les sphères
publiques et privées de son ennemi.
Le terme est apparu pour
la première fois dans les années 1970 pour décrire la destruction de
groupes de personnes partageant une identité politique.
Il est également utilisé
pour désigner l’assassinat de dirigeants politiques et s’est ensuite étendu
à la destruction des structures qui permettent aux entités politiques
d’exister.
Le politicide "a
été utilisé... pour décrire la politique israélienne à l’égard des
Palestiniens à la veille et pendant la deuxième Intifada en 2000, lorsque
l’objectif clair d’Israël était de détruire les conditions de la simple
existence d’un État palestinien", a écrit Ziad Majed, professeur
d’études du Moyen-Orient et de relations internationales à l’Université
américaine de Paris, dans Orient XXI, en décembre dernier.
Ecocide,
destruction de l’environnement
Le terme "écocide"
(destruction de l’environnement) a été inventé en 1970 par le professeur de
biologie Walter W. Galston, qui protestait contre l’utilisation par les
États-Unis de l’agent orange, un herbicide toxique, au Viêt Nam pour
détruire les plantes sous lesquelles se cachaient les Viêt-congs.
Les munitions
israéliennes ont eu de graves répercussions sur le climat et les
écosystèmes de Gaza, où les attaques israéliennes ont contaminé le sol et
les eaux souterraines avec des munitions telles que le phosphore blanc.
Selon une enquête d’Al
Jazeera, Israël a détruit plus de la moitié des terres agricoles de Gaza.
Bien que cela rende les
ressources vitales comme l’eau dangereuses à accéder ou à consommer,
l’étendue des dégâts n’est pas encore connue.
En 2021, 97 % de
l’eau de Gaza était impropre à la consommation humaine après plus d’une
décennie de blocus israélien et de guerres multiples.
Israël a continué à
attaquer les infrastructures et à bloquer l’aide, rendant les usines de
dessalement et de traitement des eaux usées inutilisables.
En novembre dernier,
selon le Conseil norvégien pour les réfugiés, 130 000 mètres cubes (34,3
millions de gallons) d’eaux usées non traitées étaient déversés chaque jour
dans la mer Méditerranée.
Même l’air de Gaza est
devenu dangereux pendant la guerre d’Israël, enfumé et pollué par les
bombes israéliennes ou les feux allumés par les personnes déplacées à
partir de n’importe quels débris qu’elles trouvaient.
Les chercheurs et les
experts des organisations environnementales affirment que les dommages à
long terme ont conduit à qualifier les actions d’Israël d’écocide.
Educide
et scholasticide, la mise à mort du savoir
Educide et scholasticide
sont la destruction systématique d’un système éducatif et de ses
institutions.
Educide, en particulier,
est le meurtre systématique des universitaires et des intellectuels, ou le
génocide de l’éducation, selon l’universitaire britannique Rula Alousi.
Le terme a été utilisé
pour la première fois en 2009 pour décrire l’assassinat du personnel
éducatif irakien après l’invasion américaine de 2003.
Les experts de l’ONU ont
mis en garde contre le scolasticide à Gaza, car au moins 90 % des
écoles du territoire ont été endommagées ou détruites.
Les 12 universités et
établissements d’enseignement supérieur de Gaza ont été détruits, tandis
que des milliers d’étudiants et d’enseignants ont été tués.
Plus de 600 000 élèves
ont été privés d’école depuis le 7 octobre.
Culturcide,
tuer le sens de l’identité
Le culturicide est la
destruction d’une culture, en particulier d’une culture propre à un groupe
ethnique, politique, religieux ou social spécifique.
Israël a détruit ou
endommagé environ 200 sites culturels historiques à Gaza.
Des sites archéologiques,
des mosquées historiques abritant des manuscrits rares, l’un des plus
anciens monastères chrétiens du monde et un ancien port datant de 800 avant
notre ère figurent parmi les victimes culturelles.
L’Afrique du Sud a inclus
l’effacement du patrimoine culturel de Gaza dans le procès qu’elle a
intenté à Israël devant la CIJ.
"Israël a
endommagé et détruit de nombreux centres d’apprentissage et de culture
palestiniens", a déclaré l’Afrique du Sud dans sa requête auprès
de la Cour internationale de justice.
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