Sommes-nous vraiment tous des
Palestiniens ?
13
mars 2024
Mohammed
El-Kurd
https://charleroi-pourlapalestine.be/index.php/2024/03/15/sommes-nous-vraiment-tous-des-palestiniens/
…
Le monde occidental, avec ses éminentes institutions
culturelles et universitaires, a rejeté le soulèvement de Gaza contre son
siège et a exigé que notre intelligentsia agisse en conformité avec ce
rejet. On nous a ordonné de maintenir le statu quo (que nombre d’entre
nous ont critiqué dans leur discours en construisant leur carrière) afin
de préserver nos positions, notre accès, nos réputations de « bons »
[face aux « méchants »].
La soumission à la logique coloniale qui vilifie la violence
de l’opprimé et ferme les yeux sur celle de l’oppresseur est devenue le
prix d’entrée. Certains l’ont payé sans hésiter, d’autres ont regimbé en
le faisant.
…
La crainte nous entoure de partout. Elle a infesté les salles
de rédaction et les campus ; elle a envahi nos appartements et nos lieux
de culte. Elle a transformé des déclarations tonitruantes en
chuchotements anonymes. Ceux d’entre nous qui sont aux côtés des «
enfants des ténèbres » seront soumis au chantage et placés sur une liste
noire. « Vous êtes soit avec nous, soit avec les terroristes », disent
les patrons et les dirigeants mondiaux à ceux qui écoutent, et c’est
ainsi qu’ils leur enfoncent la crainte au plus profond d’eux-mêmes.
Ces craintes constituent-elle une véritable condition
psychologique, ou sont-elles la conséquence d’une politique bien menée de
propagation d’une peur destinée à étouffer les masses ? Qu’est cette
peur, de toute façon, comparée à la peur de mourir de faim, d’être écrasé
sous un char de l’armée ou d’être le seul survivant de toute une famille,
ou encore d’avoir le cœur brisé pour la millionième fois ?
Qu’est-ce que la peur, sinon du théâtre ?
Moi aussi, j’ai peur…Mais, même depuis ma
maison de verre, je puis dire avec certitude qu’il n’y a pas de place
pour la peur ou le silence. Ni quand nous avons vu des chats errants
dévorer nos semblables, ni quand nous avons vu le sionisme brûler leur
chair – la chair de nos semblables – à maintes reprises avec une
impunité inexorable et arrogante.
C’est quasi comme si le monde nous racontait une blague morbide
: nous vous tuerons si vous résistez et nous vous tuerons si vous vous
cachez et, si vous refusez, et si vous cédez, et nous dévorerons votre
terre et avalerons vos océans et nous vous tuerons par la faim et par la
soif.
Les massacres seront télévisés, diffusés en pleine lumière du
jour. Nos juges les rendront légaux. Nos hommes politiques, inertes,
ineptes ou complices, les financeront et, ensuite, feindront la
sympathie, le cas échéant. Nos universitaires resteront les bras ballants
– c’est-à-dire jusqu’au moment où la poussière retombera, ensuite, ils
écriront des bouquins sur ce qui aurait dû se passer. Leurs institutions
pourries nous commémoreront après notre mort.
Et les vautours, même ceux venus de chez nous, feront le tour
des musées pour glorifier et romantiser ce que naguère ils avaient
condamné, ce qu’ils n’avaient pas daigné défendre – notre résistance – le
mystifier, le dépolitiser, le commercialiser. Les vautours tireront des
sculptures de notre chair. La plaisanterie est morbide, mais elle ne me
fait pas rire.
…
Le cri de ralliement, nous sommes tous des Palestiniens, doit
abandonner la métaphore et se manifester matériellement. Cela signifie
que nous tous – Palestiniens ou autres – devons incarner la condition
palestinienne, la condition de la résistance et du refus, dans les
existences que nous menons et dans la compagnie que nous gardons. Cela
signifie que nous rejetions notre complicité dans ce bain de sang et
notre inertie quand nous sommes confrontés à tout ce sang. Parce que Gaza
ne peut assumer seule le sacrifice.
…
Mais,
une fois encore, il n’est pas question de leur statu quo, mais du nôtre.
Il s’agit de notre relation avec nous-mêmes et nos communautés. Les
quelques moments de réflexion avant de s’endormir, la brève rencontre
avec le miroir le matin, quand nous nous demandons : Quels sont les
prétextes qui nous dispensent de participer à l’histoire ?
Nous voilà donc, sur des planètes différentes, dans des
réalités différentes. Des déclarations qui incluent les mots « devrait »
ou « doit » courent le risque
d’être désobligeantes et de manquer de vision. Pourtant, je ne puis
m’empêcher de penser que ce moment conséquent nous appelle à relever le
plafond de ce qui est admissible et exige de nous que nous renouvelions
notre engagement envers la vérité, notre engagement à cracher la
vérité, sans rechigner, résolument (et intelligemment), qu’importe la
salle de conférence où nous nous trouvons et le public que nous avons en
face de nous. Parce que Gaza ne peut combattre l’empire à elle seule. Ou,
pour recourir à un proverbe plein d’amertume que ma grand-mère marmonnait
lors des infos du soir :
« Ils ont demandé au Pharaon : ‘Qui
t’a fait pharaon ?’ Et lui a répondu : ‘Personne
ne m’en a empêché.’ »
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