Nord
de Gaza. L’extermination méthodique des habitants de Jabaliya
Par Mahmoud Naffakh, le 17
octobre 2024
https://orientxxi.info/magazine/nord-de-gaza-l-extermination-methodique-des-habitants-de-jabaliya,7695
Des habitants affamés, épuisés et
contraints de se déplacer sous les balles : telles sont les
conditions infernales décrites par les habitants de la partie nord de la
bande de Gaza, joints par la rédaction d’Orient XXI au cours
des dernières quarante-huit heures. Plus d’un an après le début de la
guerre contre Gaza, le pire des scénarios semble se profiler dans ce
territoire isolé, désormais coupé du reste du monde et privé de toute
aide humanitaire. Sa population tente de survivre malgré le siège total
imposé par l’armée israélienne depuis le 12 octobre 2024. Selon
Giora Eiland, général de division à la retraite, ancien stratège de
l’armée israélienne, et ancien chef du Conseil national de sécurité d’Israël,
l’armée israélienne annonce vouloir affamer à mort « les quelques
5 000 membres du Hamas » présents dans la région.
Les quelques 100 000 habitants
de Jabaliya ont déjà été particulièrement éprouvés : un carrefour
très fréquenté au cœur du camp a été le théâtre de la première frappe
israélienne au lendemain de l’attaque du 7 octobre 2023,
faisant 50 morts et plusieurs blessés. Une dizaine d’autres
massacres comme celui-ci suivront. Ces massacres à répétition, bien que
de plus en plus meurtriers, ne sont pas parvenus à chasser l’ensemble des
habitants de ce camp, eux-mêmes descendants de réfugiés de la Nakba et
conscients des ambitions expansionnistes d’Israël. L’opération actuelle
arrive alors que l’armée israélienne avait déjà annoncé, à deux reprises,
en mai puis en juillet 2024, la fin de ses opérations militaires
dans le nord de Gaza.
Le 7 octobre 2024, un quartier
résidentiel du nord de l’enclave a été anéanti, tandis que des soldats
israéliens se félicitaient de leurs actions.
Au rond-point Abou Charar, au cœur du
camp, les scènes sont apocalyptiques : routes défigurées et
immeubles éventrés, rendant méconnaissable l’ancien paysage urbain. Les
habitants attribuent cette destruction à l’utilisation par l’armée
israélienne de robots chargés d’explosifs, déployés sans discernement.
Une vidéo, diffusée par Al-Jazira en mai 2024, avait confirmé
le déploiement à Jabaliya de telles armes contrôlées à distance par les
forces israéliennes.
« Meurs
de faim ou rends-toi »
Le 6 octobre 2024, Avichay
Adraee, porte-parole de l’armée israélienne en langue arabe, déclare la
partie nord de l’enclave zone militaire et ordonne l’évacuation de ses
habitants. Or, comme au début de la guerre il y a un an, des habitants
qui tentent d’évacuer la zone, en passant pourtant par les routes
indiquées, sont également ciblés par l’armée israélienne.
Contacté par Orient XXI, Issa
Saadallah, un habitant piégé dans le camp de Jabaliya avec les membres de
sa famille, explique n’avoir pas pu quitter la zone en l’absence de voies
sûres. « Nous ne pouvons pas bouger en raison de la présence de
tireurs d’élite et du survol intensif de quadricoptères
israéliens », a-t-il déclaré. Son témoignage est corroboré par
une vidéo vérifiée, partagée sur FaceBook le 9 octobre 2024. On
y voit le ciblage délibéré des personnes déplacées tentant de fuir le
nord de l’enclave, à pied, en empruntant l’une des deux artères désignées
par l’armée.
Les otages israéliens ne figurant pas en
tête des priorités de l’agenda militaire de Tel-Aviv, chaque endroit est
une cible légitime pour les avions de chasse israéliens, toujours
abondamment ravitaillés par les États-Unis. Dans leur ligne de mire se
trouve aussi la dernière boulangerie du nord de l’enclave. Elle a été
réduite en cendres lors d’une frappe israélienne le
8 octobre 2024. En mai 2024, plusieurs agences des Nations
unies, dont le Programme alimentaire mondial (PAM), déclaraient déjà une « famine
généralisée » dans le nord de Gaza. Aujourd’hui, les habitants
ne reçoivent ni eau ni nourriture « depuis au moins vingt
jours », témoigne un résident de Jabaliya.
Depuis leur encerclement par l’armée
israélienne, les habitants se retrouvent confrontés à un dilemme :
se rendre ou mourir de faim. Cette opération semble s’inspirer du plan de
Giora Eiland proposé dès le 4 septembre 2024. Dans une vidéo
publiée sur YouTube qui explique, cartes à l’appui, la stratégie
militaire à appliquer pour reconquérir le nord de la bande de Gaza,
Eiland détaille : « Non pas que nous vous suggérons de
quitter le nord de la bande, mais nous vous ordonnons de quitter la zone…
Aucun ravitaillement n’entrera dans cette partie du territoire. »
Affamer la population après l’avoir chassée de cette zone s’inscrit dans
un plan plus large qui vise à annexer le nord de Gaza, après l’avoir vidé
de sa population.
Tuer
les derniers témoins
Pour mener à bien son entreprise, le
gouvernement de Benyamin Nétanyahou cherche encore une fois à éloigner
les témoins, notamment les journalistes, toujours interdits d’accès dans
l’enclave palestinienne. En outre, avec la guerre que mène également
Israël au Liban, les derniers événements à Gaza tout comme les incursions
répétées de l’armée israélienne sur le territoire syrien sont d’ores et
déjà moins couverts — voire invisibles — médiatiquement.
Un des derniers journalistes présents à
Jabaliya, Hassan Hamad, 19 ans, a été tué le 6 octobre, ciblé
chez lui par un tir de sniper. Selon la chaîne Al-Jazira,
il aurait reçu des menaces de l’armée israélienne lui ordonnant de cesser
de filmer. Fadi Al-Whidi, caméraman pour la chaîne panarabe, filmait lui
aussi les bombardements et les opérations militaires au cœur de Jabaliya
le 9 octobre, lorsqu’il a été blessé par balle, ainsi que son
collègue Tamer Lobod. Le corps de Fadi Al-Whidi est resté plusieurs heures
au bord de la route avant qu’on puisse le transporter à l’hôpital. Les
deux journalistes se trouvent encore dans un état critique.
Aujourd’hui, Anas Al-Sharif,
correspondant de la chaîne qatarie, est le seul journaliste professionnel
à continuer de diffuser des images depuis cette zone. Il est également
menacé par l’armée israélienne via WhatsApp. Envisageant le pire,
comme la plupart des habitants, il a partagé un poignant message d’adieu
sur son compte X.
Les
cadavres jonchent les rues
Devant ce calvaire, les habitants sont
démunis. « La terreur domine nos esprits. Les bombardements
aériens et tirs d’artillerie sont continus et accompagnés d’avancées
terrestres sur l’ensemble du camp. Les équipes médicales sont empêchées
d’intervenir pour sauver les blessés et évacuer les victimes »,
nous confie Issa Saadallah.
Déjà entravées dans leur travail, les
équipes médicales sont également ciblées par les frappes israéliennes.
Une vidéo vérifiée par Orient XXI en date du
14 octobre 2024 montre deux ambulanciers évacuant des blessés
près de l’hôpital Al-Yaman Al-Saeed. Ils échappent de justesse à une
frappe aérienne à quelques mètres d’eux. Quelques jours plus tard, les
personnes déplacées cherchant refuge dans ce même hôpital sont également
prises pour cibles. Une photo de la cour de l’établissement témoigne
d’une scène de désolation.
À l’instar des hôpitaux, les écoles qui
servent de refuges aux déplacés et sans-abri sont visées. Le
9 octobre 2024, l’école Al-Rafai, où s’étaient réfugiés des
dizaines d’habitants, est frappée par une attaque aérienne, entraînant
trois morts et 25 blessés. Dans ce contexte tragique, honorer
les morts en les enterrant demeure une mission particulièrement
difficile. « Les chiens et les chats mangent les cadavres
éparpillés sur les routes », a déploré Issa. Le crime de Créon
semble, lui aussi, faire partie de la stratégie israélienne.
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