Israël contre l’ONU, une si longue histoire
Par Alain Cypel, le 21 octobre 2024
https://orientxxi.info/magazine/israel-contre-l-onu-une-si-longue-histoire,7697
Aussi impuissante soit-elle,
l’Organisation des Nations unies est la cible de Benyamin Nétanyahou car
elle représente le droit international. Ses agences, ses Casques bleus au
Liban sont, verbalement et physiquement, attaqués. Même Emmanuel Macron,
bien timoré face aux massacres dans la bande de Gaza, s’est fait tancer
pour avoir pointé son rôle dans la création d’Israël. Or, ces attaques
systématiques contre l’ONU ne datent pas d’aujourd’hui.
Dès le début de son
offensive à Gaza, le 8 octobre 2023, l’État d’Israël lance une campagne de dénigrement de
l’Organisation des Nations unies (ONU). Il présente celle-ci comme un
organisme dévoyé qui l’empêche d’assouvir ses objectifs en protégeant
indûment ses ennemis, le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban, deux
entités « terroristes » aux contours indéfinis qu’il entend « éradiquer
en totalité ». Du haut de la tribune
de l’Assemblée générale, le 27 septembre 2024, le premier ministre israélien, Benyamin
Nétanyahou, traite l’ONU de « cloaque de bile antisémite à
assécher ». Si elle n’obtempère pas, dit-il, elle restera « considérée
comme rien d’autre qu’une méprisable farce ». Les trois-quarts
des présents quittent la salle.
Il en fallait plus pour émouvoir
Nétanyahou. Son offensive n’a fait que croître contre toutes les
organisations onusiennes sur le terrain, qu’elles soient militaires (les
Casques bleus) ou civiles (l’office des Nations Unies pour les réfugiés
de Palestine dans le Proche-Orient, UNRWA). Israël taxe d’« antisémite »
toute critique de ses crimes à Gaza — les pires commis depuis le début de
ce siècle, comme répètent les organisations humanitaires. Le
8 octobre 2024, alors que le premier ministre israélien menace
explicitement les Libanais de leur faire subir « les mêmes
destructions et les mêmes souffrances qu’à Gaza1 »,
s’ils ne se soumettent pas à ses exigences, c’est-à-dire « éradiquer
le Hezbollah », ses forces armées frappent délibérément trois
sites de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Huit
jours plus tard, on comptait au moins cinq attaques israéliennes contre
cette organisation, créée en 1978, après une lourde opération militaire
israélienne au Sud-Liban contre l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP) pour surveiller le comportement des belligérants et
protéger les populations civiles.
Comme chaque fois qu’Israël se comporte
ainsi, l’ONU et de très nombreux pays émettent de vives critiques.
L’armée, elle, poursuit sa campagne : le 13 octobre 2024,
deux de ses chars entraient de force dans une position de la Finul, pour
bien montrer que les pressions internationales l’indiffèrent. À Gaza, au
14 mars 2024, l’UNRWA dénombrait « au moins
165 membres tués dans l’exercice de leurs fonctions » depuis
octobre. Quatre jours après le massacre de masse perpétré par le Hamas et
d’autres milices palestiniennes, le 7 octobre 2023, le
secrétaire général des Nations unies, le Portugais António Guterres
rappelait que, selon le droit international, « les locaux de
l’ONU et tous les hôpitaux, écoles et cliniques ne doivent jamais être
pris pour cible ». Comme s’il savait d’expérience les mesures de
rétorsion de l’état-major israélien. Depuis, la vindicte israélienne envers
l’Organisation n’a jamais cessé.
L’UNRWA au cœur de l’offensive
israélienne
Le ministre des affaires étrangères,
Yisraël Katz, a déclaré Guterres « persona non grata »
dans son pays, le 1er octobre 2024. À plusieurs reprises,
depuis un an, Israël a exigé que l’UNRWA quitte les Territoires
palestiniens occupés — l’accusant de servir de protection aux « terroristes ».
Cet organisme est le seul à fournir une aide humanitaire permanente,
sanitaire et éducationnelle, dans ce qui reste des camps de réfugiés
palestiniens, à Gaza et en Cisjordanie, ainsi qu’au Liban, en Syrie et en
Jordanie. L’armée bombarde non seulement ses écoles et ses hôpitaux dans
la bande de Gaza, mais Israël bloque aussi l’entrée des fonds qui servent
à le financer et mène une campagne de dénigrement à son encontre.
Le Parlement israélien a entamé, en
juillet 2024, un débat sur un projet de loi pour caractériser
l’UNWRA d’« organisation terroriste » ; il doit se
conclure à la fin octobre et il pourrait déboucher sur la mise sous
séquestre de ses bâtiments et avoirs. Le 9 octobre, Katz a aussi
laissé entendre que le quartier général de l’organisation à Jérusalem-Est
pourrait être confisqué (afin d’y implanter des logements pour les
Israéliens).
Parallèlement, sans l’ombre d’une preuve,
Israël a mené une propagande active visant à présenter l’UNRWA comme un « repaire
de terroristes ». Le 26 janvier 2024, Nétanyahou
indiquait que 12 employés avaient participé à l’attaque du Hamas du
7 octobre précédent. Comme par hasard, l’annonce tombait précisément
le jour où la Cour internationale de Justice (CIJ) ouvrait une enquête
pour un « risque plausible de génocide » à Gaza. Bientôt,
Israël obtenait son premier succès d’envergure : le
23 mars 2024, le Congrès américain votait l’arrêt du
financement de l’UNRWA par les États-Unis jusqu’en mars 2025. Une
attitude finalement peu suivie dans le monde.
Les allégations du gouvernement israélien
n’ont eu aucune suite juridique, car il ne présentait aucune preuve
convaincante les corroborant, selon le rapport de la commission
indépendante Colonna. Mais l’essentiel a été atteint : le doute sur
l’organisme onusien s’est étendu.
Le risque d’épidémie, un cas d’école
Étonnamment, cependant, la campagne
d’Israël s’est un temps interrompue. L’affaire mérite d’être contée, tant
elle est édifiante. Fin août 2024, un début d’épidémie de
poliomyélite menace la bande de Gaza. Au vu du risque d’extension à des
soldats engagés sur le terrain et, par leur biais, à toute la population
israélienne non vaccinée — les militaires revenant périodiquement en
permission dans leurs foyers —, le rôle de l’UNRWA redevient
primordial. Les Israéliens négocient alors avec l’organisme onusien. Un
mois après, 560 000 enfants palestiniens ont été vaccinés.
L’armée israélienne a dû admettre que, sans la logistique unique de
l’UNRWA, « la campagne de vaccination n’aurait jamais pu être
menée à bien », explique Jonathan Adler, journaliste au
quotidien en ligne Local Call (+972 dans la version
internationale).
Le gouvernement a ainsi montré toute sa
duplicité. Pendant qu’il laissait passer 1,2 million de vaccins à
Gaza pour enrayer le risque d’épidémie, il continuait de restreindre
l’entrée des autres médicaments de première urgence, de l’eau et de la
nourriture nécessaires aux Gazaouis. Une fois le risque d’épidémie
enrayé, la campagne anti-UNRWA a pu reprendre. Le vice-maire de
Jérusalem, Nir Barkat (Likoud), a organisé des manifestations permanentes
devant le QG de l’UNRWA, pour le pousser à se déplacer à Amman, la
capitale jordanienne. À la fin de ce mois, un vote en première lecture
est prévu à la Knesset (le Parlement) sur deux propositions de loi :
l’une vise à rompre les liens de toute autorité publique israélienne avec
l’UNRWA, l’autre à interdire d’activité cet organisme sur le territoire.
En attendant, Israël continue de bloquer ses comptes dans les banques
israéliennes et les visas d’entrée pour ses nouveaux personnels.
Bilan : entre le
8 octobre 2023 et le 27 septembre 2024, les bâtiments
de l’UNRWA — écoles, hôpitaux, foyers, bureaux — ont subi
464 attaques israéliennes à Gaza. Plus d’une par jour. Elles ont
fait 226 morts parmi ses équipes, et 563 parmi les civils qui s’y
trouvaient. Comme l’écrit Jonathan Adler, « l’offensive
législative visant à faire partir l’UNRWA des Territoires occupés
palestiniens n’est qu’une inscription dans la loi de la pratique
militaire existante ». Toutefois, l’armée israélienne est aussi
pragmatique. Certains hauts gradés, explique encore Adler, s’inquiètent
de ces lois. Leur argument : « Si l’UNRWA quitte Gaza, une
nouvelle pandémie potentielle pourrait empêcher l’armée israélienne d’y
poursuivre sa chasse au Hamas. »
De Bernadotte à l’OCHA
Bien qu’elle atteigne aujourd’hui des
sommets, l’hostilité d’Israël à l’ONU et à la légitimité de toute
critique extérieure de sa politique, surtout en temps de guerre, remonte
à loin, quasiment à ses origines. La liste serait longue et l’on se
contentera de rappeler quelques exemples. Le 17 septembre 1948,
quatre mois après la création de l’État d’Israël, et alors que la
première guerre israélo-arabe éclate, le comte suédois Folke Bernadotte,
médiateur de l’ONU depuis mai 1948, est assassiné à Jérusalem.
Bernadotte contrarie les ambitions israéliennes avec un « plan de
paix » dont Israël ne veut pas. Il est abattu par quatre hommes
portant l’uniforme militaire, mais appartenant au groupe Stern, un
mouvement ultranationaliste. Comme le rappelle Jean-Pierre Filiu, ce
groupe armé dispose aujourd’hui d’une place éminente au Musée de l’Armée
israélienne.
Plus près de nous, en 1996, lors
d’une opération contre le Hezbollah, l’aviation israélienne bombarde un
camp des Casques bleus dans la bourgade de Cana où la population s’est
réfugiée : 106 morts parmi les civils. En 46 ans, de tous
les organismes onusiens identiques, la Finul est celui qui a connu le
plus de pertes : en avril, elle comptabilisait 334 de ses
membres tués, le plus souvent lors de raids israéliens. Autre organisme
subissant les contraintes permanentes de Tel-Aviv depuis de très longues
années : le Bureau des affaires humanitaires des Nations unies
(OCHA), seule agence neutre qui recense les actes illégaux (crimes,
expulsions, occupation, destructions, etc.) perpétrés dans les
Territoires palestiniens occupés.
Quand le président français Emmanuel
Macron assure que « M. Nétanyahou ne doit pas oublier que
son pays a été créé par une décision de l’ONU », en référence à
la résolution 181 partageant la Palestine en deux États, l’un « juif »
et l’autre « arabe », adoptée le
29 novembre 1947, il se fait tancer par le chef du gouvernement
israélien : « ce n’est pas la résolution de l’ONU qui a
établi l’État d’Israël, mais la victoire obtenue dans la guerre
d’indépendance [de 1948 contre les Palestiniens et les États arabes] . »
Exit l’ONU.
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