La
Palestine, terre de raisins et de vin
11 octobre 2024 -
Fadi Kattan, Anna Patrowicz
https://themarkaz.org/fr/palestine-the-land-of-grapes-and-wine/
« C'était un bon
pays, appelé Yaa. Il y avait des figues et des raisins
Il y avait plus de vin
que d'eau
Son miel était
abondant, son huile en abondance. »
Extrait de "L'histoire
de Sinouhé l'Égyptien" (1.950 av. JC)
… La Palestine historique est, depuis des milliers d'années,
une terre agricole fertile, un espace de spiritualité et le lieu où le
vin est né et est célébré depuis…
A Jéricho (Ariha en arabe), plus ancienne ville du
monde habitée sans interruption, nommée d'après le dieu caananite de la
lune Yarikh, les Natufiens avaient planté des vignes entre 9.500 et 9.000
avant notre ère. Le début de la culture de la vigne peut également y être
attribué aux conditions environnementales de l'époque, caractérisées par
la présence de sols alluviaux fertiles et d'une abondance de sources
d'eau qui fournissaient l'irrigation nécessaire à l'épanouissement de la
vigne. On a découvert du vin de Canaan dans l'ancienne ville égyptienne
d'Abydos, et plus particulièrement dans les tombes royales d'Umm
el-Qa'ab.
Pendant les périodes romaine et byzantine, le vin était
produit en Palestine et exporté vers la Syrie et l'Égypte, comme
l'atteste l'"Expositio totius mundi et gentium" (auteur
anonyme, 350/362 ap. J.-C.). Le vin d'Askalan et de Gaza était exporté
encore plus loin, vers le cinquième siècle, et des amphores ont été
trouvées à Chypre, en Grèce et au-delà (en Espagne, à Naples, à Carthage,
en Gaule et au Pays de Galles).
À l'époque de l'Islam et des Croisades, la production de vin
s'est poursuivie en Palestine, parfois uniquement pour servir les
habitants palestiniens chrétiens et juifs et parfois pour exporter des
vins de "Terre sainte" destinés à être utilisés dans les
églises d'Europe.
À la fin des années 1.800, certains monastères étrangers ont
établi des vignobles sur les terres de l'église et ont acheté des raisins
aux agriculteurs palestiniens voisins. Parmi ceux créées à cette époque
et toujours en activité aujourd'hui, citons le monastère de Cremisan,
près de Bethléem, où les moines salésiens italiens produisent du vin
depuis 1.885, et les moines trappistes français du monastère de Latrun,
qui ont commencé à produire du vin en 1.899.
Aujourd'hui, la vigne est la deuxième culture en Palestine,
après l'olivier. La plupart des raisins sont destinés à la consommation,
tandis que certaines parcelles sont utilisées pour la production de vin
et d'arak. La Palestine compte 23 cépages indigènes et cultive également
de nombreux cépages internationaux…
Au sommet d'une colline surplombant les déserts de la vallée
du Jourdain, à Taybeh, un petit village, les membres de la famille
Khoury racontent une histoire de résilience et de passion pour leur
terre. La famille est revenue des États-Unis au début du soi-disant
processus de paix dans les années 90, avec le rêve de créer une brasserie
en Palestine. Un rêve qu'ils ont réalisé, non seulement en lançant une
belle gamme de bières, mais aussi en s'agrandissant pour créer un domaine
viticole…
Un peu plus au nord se trouve le village
de Bir Zeit. C'est un terroir idéal pour la culture des oliviers,
des agrumes, des figues, des grenades, des mûres et des raisins.
La famille Kassis a commencé à planter
des vignes en 1.998. Quelques années plus tard, en 2.004, ils ont produit
leurs premiers vins et en 2.017, Adam, qui dirige actuellement le
vignoble, a rejoint l'entreprise familiale. Adam rêve de faire de la cave
familiale un espace de découverte des vins, de la tradition et de
l'histoire palestiniens. Récemment, il a restauré une vieille maison et y
organise des visites et des événements pédagogiques.
Au nord, près de la frontière libanaise,
la famille Ashkar a des liens avec les terres autour du village d'Iqrit
qui remontent à plusieurs générations, avec une histoire agricole de
plusieurs siècles. Ils ont renoué cette relation qui avait été rompue
lors de la Nakba en 1948. Le pressoir du village d'Iqrit était utilisé
pour les olives et les raisins produits localement, réunissant les
agriculteurs à l'occasion des fêtes de fin d'année, ou mawasem en
arabe. Le rythme de vie saisonnier a pris fin le 31 octobre 1948, lorsque
l'armée israélienne a expulsé la population d'Iqrit et a ensuite détruit
le village pour empêcher quiconque d'y revenir. Le seul bâtiment qui
subsiste est l'église gréco-catholique…
Les
vieilles vignes qui entourent les ruines du village fournissent les
raisins nécessaires à la production du Do'er … ainsi que des vins de
réserve qui ne sont produits que dans les meilleures années…
Le reste des vignobles est situé dans
plusieurs zones autour de la Galilée, qui est bien sûr l'une des
régions de Palestine qui a été occupée pendant la Nakba de 1948, au cours
de laquelle les attaques sionistes ont forcé des centaines de milliers de
Palestiniens à fuir, ce qui a résulté en des centaines de villages et de
villes vidés de leurs habitants. Après avoir vécu sous la loi martiale
pendant 20 ans, certains Palestiniens ont choisi de rester sur leur terre
et sont désormais connus sous le nom de "Palestiniens de 48",
ils ont finalement obtenu la citoyenneté israélienne.
Au cours des 76 dernières années, une
politique continue d'effacement de la culture palestinienne a été menée,
avec une utilisation extensive du terme arabe plutôt que le terme
palestinien, en référence à l'ethnicité, ainsi qu'un traitement
systématique des Palestiniens de 1948 comme des citoyens de seconde zone
par l'Etat israélien, en particulier avec des services de l'État refusés
ou restreints par rapport aux citoyens israéliens d'autres origines. Même
s'ils ont accès aux services et à la liberté de mouvement par rapport aux
autres Palestiniens de Cisjordanie ou de Gaza, les Palestiniens de 1948
en Israël sont confrontés à une lutte quotidienne. Ils tentent
constamment de préserver leur identité tout en naviguant dans un système
qui, à la base, est conçu pour réécrire leur récit et qui est enraciné
dans le colonialisme…
Un peu plus à l'ouest se trouve le
village d'al-Jish. La famille Khreish a nommé son vignoble
d'après le village romain de Jascala… Situé en Haute Galilée d'où
proviennent tous les raisins, le vignoble est planté sur le Jabal Jarmaq…
Certaines terrasses de vignobles comptent
jusqu'à quatre cépages différents. Aucun herbicide ni insecticide n'est
utilisé et toutes les récoltes sont effectuées à la main. Les terres
voisines sont plantées de nectarines, de pommes et de cerises, ce qui,
selon Fadi, jouent toutes sur le goût des vins…
La distillerie Muaddi est célèbre
pour sa production artisanale d'arak en petites quantités. Basé à Bethléem,
Nader utilise des raisins provenant de villages locaux tels que Beit
Jala, Al Khader, Shuyukh, Al-Arrub, Beit Ummar et Halhoul. Le cépage
baladi blanc, le dabouki, est utilisé comme vin de base qui est ensuite
distillé dans des alambics. Ce procédé a été inventé par Jabr Bin Hayan,
un érudit et alchimiste de Bagdad du Xe siècle…
Le vin est intrinsèquement lié à la terre
par l'intermédiaire des vignes, du terroir, des vignerons et de leurs
familles. En Palestine, contrairement à d'autres régions viticoles,
l'industrie du vin et la culture de la vigne ont été ciblées par les
efforts de l'occupation pour en contrôler le récit et s'emparer des
terres pour détruire les cultures.
Dans le contexte historique, les textes
bibliques soulignent l'importance du contrôle des terres et des cultures.
Les Israélites auraient envoyé 12 espions au pays de Canaan (la Palestine
d'aujourd'hui) pour l'observer avant de lui déclarer la guerre. Et devinez
quel fruit les espions ont rapporté ? Du raisin !
"Quelle est la nature du sol, est-il
riche ou pauvre ? Y a-t-il des arbres ou non ? Tu seras courageux et tu
prendras les fruits de la terre." C'était la saison où les premiers
raisins commencent à mûrir."
"Ils coupèrent une branche sur
laquelle il n'y avait qu'une grappe de raisin. Deux d'entre eux la
portèrent sur une perche. Ils apportèrent aussi des grenades et des
figues."
D'après Livre des Nombres, 13
Tout au long de l'histoire, différents
groupes se sont constamment disputés la propriété de la terre et les
récits qui y sont associés. Dans les contextes coloniaux, ces groupes
créent souvent leurs propres récits pour établir leur lien à la terre
tout en discréditant celui des populations indigènes.
Les agriculteurs palestiniens ont été
soumis à la destruction intentionnelle de leurs terres arables de
plusieurs façons. L'une des méthodes consiste à construire des routes de
"contournement", qui relient les villes israéliennes aux
colonies israéliennes illégales de Cisjordanie. Ces routes traversent des
terres palestiniennes et sont entourées d'un "périmètre de
sécurité", ce qui permet de s'emparer de la zone environnante. Au
sud de Bethléem, ces routes traversent les vignobles de villages palestiniens
tels que Al-Khader, Khirbet Zkaria, Halhul et la région nord d'Hébron.
Une autre méthode de destruction des terres agricoles consiste pour les
colons à détruire les vignes, les oliviers et les autres cultures. Ils
vandalisent les champs en mettant le feu à des centaines de mètres
d'arbres, ou en intimidant et en chassant les agriculteurs palestiniens
de leurs propres terres.
Le vol du récit se produit lorsque les
vignobles des colonies israéliennes, construits sur des terres
confisquées, exportent des produits avec des étiquettes trompeuses vers
les consommateurs du monde entier. Il est assez étrange que dans un monde
où les amateurs de vin accordent une grande importance à l'origine, à
l'appellation, à l'histoire et à la tradition, il semble y avoir un oubli
délibéré de l'histoire de la viticulture en Palestine.
Nous sommes reconnaissants qu'il y ait
encore aujourd'hui des vignerons résistants en Palestine, qui soutiennent
les agriculteurs et produisent des vins et des spiritueux qui non
seulement s'accordent parfaitement avec la cuisine palestinienne, mais
qui reflètent les terroirs de la Palestine et les histoires millénaires
de cet artisanat.
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