Sentiment d’impunité israélien :
à qui la faute ?
Par Pascal Boniface, le 9 juin 2025
https://investigaction.net/sentiment-dimpunite-israelien-a-qui-la-faute/
Il est de plus en plus difficile
d’écarter le terme de génocide pour qualifier les crimes commis par l’armée
israélienne à Gaza. Il existe un sentiment d’impunité chez les dirigeants
israéliens qui peuvent continuer à agir comme bon leur semble sans en être
empêchés ni par une communauté internationale absente, ni par leurs
partenaires occidentaux qui se contentent de protestations platoniques.
Ce sentiment d’impunité
remonte à loin. Tout a commencé lorsque le processus d’Oslo a pris fin et
que la guerre entre Israéliens et Palestiniens a repris au début des années
2000. Le Hamas, par ses attentats suicides, a largement contribué à
affaiblir le camp de la paix en Israël. Le Likoud et ses leaders Ariel
Sharon et Benyamin Netanyahou n’ont cessé d’attaquer Yitzhak Rabin et ont
finalement armé politiquement la main de ses assassins. Le projet du
Likoud, d’Ariel Sharon et de Benyamin Netanyahou de reprendre le contrôle
de l’ensemble de la Palestine par la force est ainsi en cours de
réalisation aujourd’hui.
En refusant depuis plus
de 25 ans de prendre la moindre sanction, d’exercer la moindre pression sur
Israël, les Occidentaux ont nourri un sentiment de confort et d’impunité
chez les dirigeants israéliens. Sentiment conforté par une stratégie
implacable conduisant à dissuader toute critique au nom de la lutte contre
l’antisémitisme. Cette stratégie mise en place au début de ce siècle s’est
avérée payante. Mais payante pour qui ? Ni pour le respect du droit
international, ni pour la paix au Proche-Orient, ni pour les Palestiniens
ou pour le camp de la paix en Israël. Elle a été payante pour l’extrême
droite israélienne, pour le parti des colons, pour les suprémacistes
israéliens. Mais aussi pour le Hamas qui a vu son refus d’une solution
politique apparaitre comme justifié aux yeux de nombreux Palestiniens.
Accuser d’antisémitisme
ceux qui critiquent l’attitude du gouvernement israélien sur la question
palestinienne remonte à l’automne 2000. Les premiers heurts suivent la
venue d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées. Il avait été averti par
les services israéliens qu’il ne fallait pas le faire. Il le fit
volontairement pour provoquer les Palestiniens. L’armée israélienne a
répondu par la force aux protestations, faisant de nombreux morts et
blessés. La mort du jeune Mohamed Al-Durah, tué par une balle israélienne,
a profondément marqué les esprits. Le journaliste Charles Enderlin avait
filmé la scène diffusée sur France 2. Ce dernier, pourtant franco-israélien
et réserviste dans l’armée israélienne, a alors été accusé d’avoir monté un
faux. Une campagne ignoble a été montée contre lui. On l’accusa d’avoir
trahi Israël, d’avoir nourri l’antisémitisme. Il n’avait fait que montrer
la réalité. Sa vie en a été largement perturbée depuis. Mais à l’époque, sa
rédaction et sa direction l’ont soutenu. Serait-ce encore le cas
aujourd’hui ? Catherine Nay, alors figure majeure des médias français,
avait déclaré « La mort de Mohammed annule, efface celle de l’enfant
juif, les mains en l’air devant les SS, dans le ghetto de Varsovie. »
Elle avait alors subi une campagne d’agression qui l’avait poussé à
renoncer à s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien. L’autocensure est
plus efficace que la censure.
Edgar Morin, l’une des
plus grandes figures intellectuelles françaises, juif, a subi, à la suite d’un
article critiquant Israël après une mission avec Sami Naïr et Danièle
Sallenave, la même campagne de haine pour le réduire au silence, silence
qu’aucun des trois n’a jamais accepté, aujourd’hui encore.
Mon cas personnel est
également révélateur de ce climat. À la suite de ma note de 2001 au Parti
socialiste dans laquelle j’attirais l’attention sur la dérive à l’extrême
droite du gouvernement israélien et sur « le deux poids deux
mesures » sur le traitement du conflit, j’ai été accusé de tous les
maux, en particulier d’antisémitisme.
Ces campagnes de haine à
l’encontre des ceux qui s’expriment sur la situation au Proche-Orient ont
pour objectif de les réduire au silence.
Une partie de la gauche
française a soutenu un gouvernement de la droite extrême en Israël, qui a
mis fin au processus d’Oslo, en mettant en œuvre une politique de
répression et d’occupation. Ce soutien s’est fait au nom de la lutte contre
l’antisémitisme, de la protection d’Israël « seule démocratie du
Proche-Orient ». Cette partie de la gauche porte une responsabilité
particulière dans le sentiment d’impunité des gouvernements israéliens
depuis le début de ce siècle. Quels que soient leurs actes à l’égard des
Palestiniens, leur non-respect du droit international humanitaire et des
principes universels ou des droits de l’homme, le soutien de toute une
partie de la classe politique française n’a pas failli. Jamais un mot sur
les détentions arbitraires, sur les punitions collectives, sur la
répression au quotidien, sur les mauvais traitements des prisonniers.
Jamais. Parce qu’il fallait protéger Israël et ne pas nourrir
l’antisémitisme. Un « cercle Léon Blum » avec pour objectif de
sanctuariser le gouvernement d’Ariel Sharon malgré sa dérive ultradroitière
et sa politique guerrière, a même alors été créé au Parti socialiste.
La dénonciation du
terrorisme et de l’antisémitisme était le rayon paralysant à toute
réflexion. On ne se posait ainsi pas la question de savoir si la répression
israélienne sur les Palestiniens ne nourrissait pas également le
terrorisme. Ou si cette répression aveugle et ces punitions collectives sur
l’ensemble des Palestiniens étaient bien la meilleure façon de combattre le
terrorisme….
Silence face à la
construction d’un mur qui empiétait sur le territoire et empoisonnait la
vie quotidienne des Palestiniens. Silence également sur les multiples
humiliations des Palestiniens aux checkpoints et via tous
les instruments de contrôle, mais aussi face aux incursions régulières de
l’armée israélienne en Palestine. Silence sur la marche des drapeaux qui a
lieu chaque année, dans laquelle on entend régulièrement « Mort aux Arabes
» dans les rues de Jérusalem. Mais compréhension concernant les
bombardements massifs d’Israël sur Gaza, qui a déjà été en partie détruite
en 2009, 2012, 2014 et 2021. Il fallait lutter contre le terrorisme. Là
aussi, les gouvernements israéliens se sont habitués à ce sentiment
d’impunité, malgré les bombardements massifs sur les populations civiles,
qui étaient déjà autant de crimes de guerre. À l’époque d’ailleurs, on
voyait des Israéliens venir assister au spectacle des bombardements sur
Gaza, assis sur des chaises pliantes pour profiter du spectacle.
En 2005, le retrait
unilatéral de Gaza avait en réalité débouché sur un blocus total deux ans
après. Tous les rêves d’un Gaza qui se serait développé, grâce aux plans de
la Banque mondiale, se sont évaporés avec la mise en place d’un blocus qui
a tout détruit.
Stéphane Hessel, grande
figure intellectuelle et morale, juif rescapé de la Shoah, l’un des
corédacteurs de la Déclaration des droits de l’homme, a été souillé,
insulté pour avoir dénoncé ce scandale du blocus de Gaza. Et même Nicolas
Sarkozy, pourtant très proche d’Israël, avait qualifié Gaza de
« prison à ciel ouvert ».
En 2018, lors de la
marche du retour, des milliers de Palestiniens ont marché, désarmés, vers
la clôture de séparation qui isole Gaza. Ils ont été abattus par dizaines
par l’armée israélienne. Nombreux seront également mutilés. Là encore, le
silence.
Aussi les dirigeants israéliens
peuvent-ils aujourd’hui estimer avoir les mains libres. Le gouvernement
israélien n’a cessé de dériver vers la droite extrême. Ce sont maintenant
des fascistes qui sont au pouvoir en Israël. Mais en Occident, personne ou
presque n’a rien dit, tout le monde a laissé faire, au fur et à mesure. Le
pouvoir israélien s’est habitué à ne pas être critiqué. Pourquoi alors se
priver de bombardements massifs sur Gaza ?
Face au risque de
génocide, c’est la responsabilité morale des Occidentaux devant l’Histoire
qui est désormais en cause. Et ceux qui tout en affirmant un positionnement
à gauche ont apporté leur pierre à cette impunité ont une responsabilité
particulière.

Gaza le 12 juin 2025-Agence Ajyal

Jénine le 12 juin 2025-Agence Ajyal
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