Rana El-Khatib
par son traducteur Gérard Jugant
Rana
El-Khatib est née au Koweit il y a 36 ans et y a grandi. Son itinéraire
d‚exil est celui de nombreuses familles palestiniennes chassées de
Palestine depuis 1948. Des vies successives dans divers pays. Des valises
toujours prêtes.
Pour ce qui la concerne les valises se sont posées, après plusieurs
pays, aux EU, à Phoenix, en Arizona. Devenue administratrice d‚une école
de 3ème cycle en management international, l‚insatisfaction l‚a bientôt
gagnée. Après le début de la seconde intifada, fin 2000, la jeune femme
s‚est sentie, explique t-elle "comme quelqu‚un dont les roues
s‚en allaient. Je ne m‚accomplissais plus dans mon travail et je ne
supportais plus l‚ignorance qui ronge les EU". Si bien qu‚en août
2001, elle quitte son emploi et se met à écrire poème après poème.
Pour elle la poésie était comme un "vidage de cerveau". Même
si elle avait déjà publié plusieurs articles sur la Palestine dans le
quotidien "The Arizona Republic", écrire de la poésie était
un nouveau territoire pour la Palestinienne-Américaine (ou nord-américaine,
ou étasunienne).
"Je pense que la poésie m‚a choisie. J‚ai commencé par écrire
"Behind the Crosshairs" (Derrière la Ligne de Mire),
qui s‚adresse au soldat israélien" :
Si je pouvais aller dans votre tête, je pense que j‚implorerais.
Je vous implorerais d‚arrêter. Assez maintenant.
Donnez à mon peuple une chance de vie.
Donnez-lui la liberté pour laquelle vous vous êtes battus si dur.
Comprenez qui il est et ce qu‚il est devenu.
"Mais j‚ai senti que j‚avais encore à dire et j‚ai continué.
Je ne réalisais pas vraiment que j‚étais en train d‚écrire de la poésie;
je cherchais juste à me libérer de mon angoisse".
Ainsi est né un livre de poésie ("Branded : The Poetry of a
So-Called Terrorist"),
publié début 2004 par un petit éditeur, Hats
Off Books, à Tucson, Arizona. Les textes sont percutants, les
phrases courtes, les vers narquois et remontés, les images granulées de
Palestine. Les vérités cinglantes font que le livre est quasiment prohibé
aux EU. Son regard n‚est pas sans rappeler celui d‚un Noam Chomsky,
notamment à propos du rôle des médias dans la manipulation de
l‚opinion publique, dans le processus de "fabrication du
consentement" décrit par cet auteur.
Un mois après le début de son entreprise poétique, survint le 11
septembre, qui rendit son travail encore plus urgent.
"Avant le 11-9, nous sentions la tension sous-jacente du racisme aux
EU, après, ça été carte blanche. Il est devenu flagrant, et tout ce
qui n‚allait pas était lié aux Arabes et au Moyen-Orient. J‚ai eu le
sentiment que c‚était fichu pour nous les Palestiniens, que nous ne
pourrions plus gagner. J‚ai pensé que nous étions comme le Dodo",
cet oiseau en voie de disparition.
Elle ajoute : "L‚occupation est devenue incroyablement
horrible". Elle a essayé de mettre en mots, par exemple, la peur
d‚une mère quand elle dit au revoir le matin à ses enfants. Sa poésie
est celle d‚une observatrice puissante des situations dramatiques :
souffrances des Palestiniens, incapacité des grands médias à témoigner
des faits précis, sentiments les plus intimes des soldats israéliens,
victimes collatérales.
Elle a ouvert son livre avec le poème "Branded" (Marquée),
pour la raison évidente que le peuple palestinien a été marqué,
"de la même façon qu‚on aurait marqué du bétail avec
l‚intitulé Arabes". Mais, complète t-elle, "nous ne sommes
pas que des Arabes. Ils nous ont dépouillé de notre essence
profonde".
Un autre thème important est celui des enfants palestiniens, un thème
traité par la presse, mais en général de manière superficielle. Elle
ne se contente pas d‚écrire des poèmes sur les enfants, elle prend une
part active au soulagement de leurs souffrances.
En juillet 2002, elle rencontre en Arizona Ahmed al Bohisi, 13 ans, venu
se faire soigner, à l‚initiative d‚une fondation d‚aide aux enfants
palestiniens, d‚une balle reçue dans le poumon. Rana et son mari décidèrent
de recevoir à leur tour des enfants de Palestine. C‚est ainsi que
vinrent chez eux 2 petites jumelles de 6 ans, Asma et Hiba, du camp de réfugiés
de Rafah, qui avaient un pied bot.
"Mais nous avons réalisé qu‚elles avaient besoin de beaucoup plus
que d‚une opération. Elles avaient besoins de lunettes. Leurs dents étaient
en mauvais état à cause du manque d‚eau pour les brosser. Elles
n‚avaient jamais porté de chaussures, etc".
D‚autres poèmes tournent autour de l‚identité palestinienne et de la
dépossession. C‚est le cas de "Je suis une Palestinienne" et
de "Agent Immobilier". L'auteur explique qu‚elle a écrit ce
poème après avoir cherché la maison paternelle à Haïfa. "Je ne
la trouvais pas. Ils avaient changé les noms des rues, d‚Arabe en Hébreu.
Ce sont ces petites choses que le monde ne remarque pas".
Elle s‚efforce malgré de tout de rester optimiste. Elle croit à une
nation et destine son livre à ceux qui ne sont "pas encore
convaincus".
"Je cherche seulement à peindre d‚une autre façon la figure
humaine palestinienne, à humaniser de qui a été déshumanisé. A
ajouter, ne serait-ce qu‚une petite touche supplémentaire à la
peinture des visages arabes".
Source : article Daily Star, par Mayssam Zaaroua, Beyrouth le 22-5-2004.
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