Ce texte est un peu ancien (août 2002), L’eau et la terre vont de paire. Mohamed Larbi BOUGUERRA, Tunis août 2002. Mohamed Larbi Bouguerra est docteur d'État en sciences physiques, professeur à la faculté des sciences de Tunis, ancien directeur de l'INRST de Tunisie (Institut national de la recherche scientifique et technique), ancien directeur de recherche associé au CNRS (Paris). Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Les Poisons du tiers monde (La Découverte, 1985), L'État de l'environnement dans le monde (La Découverte, 1993), La Recherche contre le tiers monde (PUF, 1993) et La Pollution invisible (PUF, 1997).
"Sans eau, Je suis moins qu’une mouche. Un amas de pierres" Ce faisant, Israël feint d’oublier cette parole de bon sens de Chaïm Weizman qui avertissait, tout comme Albert Einstein du reste : "Je suis persuadé que le monde jugera l’État juif selon son comportement envers les Arabes". Ici et maintenant, à Genève, nous parlons eau et paix. Cela est bien et c’est nécessaire. Il faut en rendre grâce aux organisateurs. Mais ne perdons pas de vue que les tanks et les blindés sont toujours là. Le terrorisme d’État est toujours à l’œuvre. Les maisons continuent à être sauvagement dynamitées. Le couvre-feu transforme en enfer la vie des Palestiniens. Les barrages et autres check points rendent impossible tout déplacement quel qu’il soit : pour accoucher comme pour aller chercher de l’eau ou un médicament. Ce qui choque et révolte les consciences. Ainsi, évoquant ce qui se passe en Palestine-Israël, le grand rabbin de Grande-Bretagne, Jonathan Sacks, déclare au Guardian (27 août 2002) : " Je considère la situation actuelle comme rien moins que tragique. Elle force Israël à prendre des positions qui, sur le long terme, sont incompatibles avec nos idéaux les plus profonds " donc la politique d’Ariel Sharon est " incompatible " avec les valeurs juives. Ici et maintenant nous débattons. Là bas, les Palestiniens sont humiliés. Ils souffrent. Ils tombent sous les canons des tanks et sous les missiles lancés par hélicoptères. Ne perdons pas de vue cette souffrance. Ne perdons pas de vue ces morts, ces suppliciés et, si nous sommes là, c’est dans l’espoir d’agir pour que cette souffrance et ces morts s’arrêtent. Pour le moment et pour preuve de ces souffrances, ce témoignage sur le calvaire de 40 000 Palestiniens suite aux incursions de l’armée israélienne, calvaire qui a été sobrement décrit par Amira Hass et Joseph Algazy (Ha’aretz du 07 avril 2002). Cédons leur la parole : "Quelque 40 000 personnes vivent sous un couvre-feu total, des semaines durant, dans les villes sous la férule de l’armée depuis les incursions de celle-ci dans les territoires. Torrents d’eau usée dans les rues, montagnes de déchets, coupures d’électricité et d’eau. Près de 90% des ménages à Naplouse n’ont pas d’eau puisque les réservoirs de stockage et les canalisations ont été endommagés par le feu nourri des tanks. Les hôpitaux n’ont ni aliments ni eau ni médicaments. Les eaux usées noient les rues car nombreuses sont les communautés de la rive occidentale qui ne sont pas reliées à un réseau d’égout et dont les eaux usées sont évacuées par camions chaque semaine. Les nouvelles en provenance du camp de Jenine font état de gens buvant l’eau des chasses d’eau". Avant de parler directement de l’eau aujourd’hui, il me semble instructif de faire un petit détour historique même si je n’ai rien d’un historien. Je demande donc votre indulgence. La question de l’eau a toujours été parmi les préoccupations majeures d’Israël (1). Mais, l’eau et la terre vont de pair, c’est un truisme. Les prétentions sionistes à "faire fleurir le désert" - pour reprendre leur phraséologie - ont encore un impact sur ce qui se passe actuellement. Témoin de cette phraséologie, David Ben Gourion insiste sur le fait que la Proclamation d’Indépendance - texte fondateur- évoque " la remise en culture du désert" et appelle même les prophètes à la rescousse pour en montrer le bien-fondé : "De la résurrection du désert, Isaïe, le grand prophète de Jérusalem dit : "L’eau jaillira de la solitude et recouvrira les sables... Et une grande route tracera sa voie, qui conduira au salut." (Isaïe, 35/6-9.) Pour "cette remise en culture du désert"- n’oublions pas que Ben Gourion et les premiers sionistes venaient d’Europe Centrale et, à leurs yeux, la Palestine, moins pourvue en eau que la Pologne ou la Bessarabie, était un désert ! - il faut évidemment des techniciens donc des agriculteurs. Sabri Geries et Eli Lobel écrivent dans un ouvrage paru en 1969 : "L’Alliance israélite Universelle - bien que décourageant les Juifs d’aller en Palestine car "dénuée de toute base matérielle", y fonda en 1870, l’École d’agriculture- Mikveh Israël- considérée parfois comme le début de la colonisation juive moderne dans le pays". Quant à David Ben Gourion, il fait remonter encore plus loin cet intérêt pour l’agriculture (sans cependant se donner la peine de citer ses sources) puisqu’il écrit au tout début de son livre "Israël : années de lutte" paru en 1964 à Paris : "Dès 1563, Don Joseph Nassi emmena ses disciples d’Espagne en Palestine et fonda une colonie agricole en Galilée, sur les rives du lac Tibériade. Beaucoup plus tard, - il y a un peu plus de cent ans,- un philanthrope juif célèbre, originaire d’Angleterre, Sir Moses Montefiore, tenta de persuader les Juifs de la Terre Sainte de devenir des fermiers et, dans ce dessein, la première orangeraie juive fut acquise près de Jaffa en 1856" et il ajoutera, sur un ton on ne peut plus lyrique : "Pour ma part, j’ai travaillé aux champs et dans les vignes, j’ai participé à la fabrication du vin, puis je suis allé à la colonie agricole Sejera, en Galilée. J’y ai manié la charrue et tandis que les mottes de terre se retournaient et s’émiettaient sous le soc, je me laissais aller à rêver et j’avais des visions...". On notera cependant que David Ben Gourion apporte la preuve que les orangeraies existaient -puisqu’on pouvait les acheter- avant l’arrivée des sionistes. Ce que la propagande a toujours nié voulant accréditer la fable de la Palestine pays désertique parcouru par quelques chameliers faméliques ne connaissant de l’eau que de rares puits aux eaux saumâtres ! Mais, les témoignages irréfutables existent qui démentent le point de vue intéressé des sionistes. Ainsi, au XIIIème siècle, le géographe arabe El Hamaoui trouve deux citernes dans chaque maison à Jérusalem ! L’obsession pour la terre amènera les sionistes aux pires méfaits car, à l’instar de David Ben Gourion, ils y voyaient un moyen de régénération des Juifs enfin devenus agriculteurs après des siècles d’interdiction. Sabri Geries et Eli Lobel, précédemment cités, rappellent en effet que : "La confiscation des terres arabes (destruction de 2500 villages, Ordonnances d’urgence de 1949, loi sur les biens des propriétaires absents, article 125 des "Defence Emergency Regulations" de 1945, infâme et scélérat article qui donne aux gouverneurs militaires le pouvoir de déclarer zone close certaines régions sous leur juridiction) est l’un des phénomènes les plus profonds dans l’histoire douloureuse des arabes d’Israël. Elle a marqué de façon permanente la physionomie de la société arabe, et la lutte contre l’accaparement de toutes les terres par les Juifs continue d’être placée au premier rang des préoccupations arabes, à l’intérieur de l’Etat comme hors de ses frontières" et ils poursuivent en disant que "La plus étonnante des utilisations de la loi (sur les biens des propriétaires absents) fut celle dirigée contre les biens du Wakf musulman dans le pays. Ces biens sont la propriété de Dieu...tandis que les bénéfices sont alloués à la communauté, à l’œuvre ou au but pour lesquels ils ont été consacrés. Or, on ne peut dire que la communauté musulmane ait cessé‚ d’exister après la création de l’État d’Israël. Néanmoins tous les biens du Wakf ont été transférés à l’Administrateur des biens des propriétaires absents ; doit-on supposer qu’Allah lui-même est "absent" selon la loi sur les biens des propriétaires absents ? (voir poème de Rashed Hussein ci-dessous). Ces biens constituent une fortune considérable car la Commission d’Enquête sur la Palestine de 1936 a estimé que le seizième de la superficie de la Palestine appartenait au Wakf".
Dieu aussi
est un "absent", monsieur Même si le texte qui suit de David Ben Gourion est un peu daté - et comme il sied à un père de la Nation grandiloquent - et que le pays dont il rêve n’a plus grand chose à voir avec l’Israël d’aujourd’hui, il n’en éclaire pas moins la quête fiévreuse d’Israël pour l’eau et ébauche une sorte de plan de travail un tantinet naïf. Son insistance et ce luxe de détails s’expliquent à nos yeux par le fait que l’eau est essentielle pour se "justifier" : si nous faisons fleurir le désert, la spoliation des terres est plus facile à faire passer sur le plan de la propagande : "L’eau et l’énergie électrique sont les deux éléments qui manquent manifestement le plus à notre pays, y compris dans le Nord, et qui semblent nous faire totalement défaut dans le Sud. Les pays développés d’Europe ont reçu la bénédiction céleste sous la forme de pluie tombant toute l’année... Mais nos tentatives infructueuses jusqu’ici et l’esprit conventionnel profondément ancré en nous depuis toujours nous ont fait croire que les étendues du Néguev étaient condamnées à demeurer stériles. Il existe dans ces régions d’immenses ressources en eau et en énergie que nous n’avons pas exploitées, car nous ne savons pas encore comment les utiliser... Les eaux du sol, les sources, les fleuves et les rivières sont rares et peu abondants, et si peu qu’il en existe, nous ne les avons pas exploités à fond : le Jourdain se jette dans la mer Morte ; une grande masse d’eau du lac de Tibériade s’évapore, et les pluies, abondantes dans le Nord, mais rares dans le Sud, se perdent en grande partie dans la Méditerranée ou la mer Morte, sans en faire pleinement profiter la terre assoiffée. De plus, nous gaspillons une partie considérable de l’eau dont nous disposons, en particulier dans le Nord du pays qui en possède pourtant d’importantes réserves. Nous n’avons pas encore réussi à recueillir l’eau de pluie et à empêcher qu’elle ne se perde dans la mer, ni à faire l’usage le plus économique et rentable des réserves d’eau que nous possédons. En ce qui concerne l’acheminement de l’eau vers les régions du Sud et du Néguev, le problème majeur réside dans l’extraction du sel de la mer. Les savants juifs doivent découvrir un procédé pratique et économique pour adoucir l’eau de mer destinée à étancher la soif des terres arides du Néguev. Aux Etats Unis, avec ses gros cours d’eau et ses grands lacs, des recherches et des expériences ont, depuis des années, porté sur le dessalement de l’eau de mer pour irriguer les déserts de l’Ouest américain. Notre pays a, plus que les E.U, besoin de cette source inépuisable et nouvelle d’eau d’irrigation, et nos techniciens sont parfaitement capables... de découvrir un procédé rentable grâce auquel on parviendra à réaliser le dessalement de la mer. L’irrigation du désert par l’eau de mer adoucie peut paraître à beaucoup une entreprise utopique, mais moins que tout autre pays, Israël ne doit redouter les "rêves" capables de changer l’ordre des choses... L’adoucissement de l’eau de mer par des méthodes économiques est une nécessité vitale, non seulement pour Israël, mais pour le monde entier..." Pour ce qui est du gaspillage en tout cas, les lamentations de l’ancien membre de la Haganah sont toujours de mise, quelques décennies plus tard. Déjà, dès 1963-64, écrit Yoram Nimrod dans les Temps Modernes, on avait dépassé l’exploitation permise des eaux souterraines : près de la mer, l’eau des puits est devenue saumâtre. A l’heure actuelle, le journal Ha’aretz (repris par Courrier International n° 505 du 6-12 juillet 2000) fustige ces "kibboutzim qui se comportent comme s’ils étaient en Norvège" pour ce qui est de la consommation d’eau et lève un peu le voile sur ce comportement aberrant disant que "beaucoup de nos hommes politiques ont des intérêts directs dans ces secteurs subventionnés de l’agro-industrie". La publication relève que les agriculteurs israéliens cultivent des légumes "aquavores" et pratiquent même la pisciculture ; ironique, Ha’aretz poursuit : "Toutes les carpes en bassin sont presque mortes de rire car elles savent quelle quantité d’eau douce est gaspillée pour les élevages et que personne n’osera toucher à une seule de leurs écailles, protégées qu’elles sont par le plus puissant lobby à la Knesset et au gouvernement : celui des agriculteurs israéliens". On signalera à cet égard que Uri Avnery, le célèbre pacifiste israélien affirme : " Le Premier Ministre lui-même, propriétaire de la plus grande exploitation privée d’Israël, intervient dans la gestion de la politique agricole, décide du prix de l’eau et réglemente les importations "(Courrier International n° 609, 4- 10 juillet 2002, p. 39). Comme en écho, dans le Monde du 28 juin 2000, Catherine Dupeyron donne les clés idéologiques de ces aberrations piscicoles : sous le titre "Israël craint de manquer d’eau", elle affirme que la surconsommation agricole a contraint à la convocation d’une réunion d’urgence du cabinet sous la houlette d’Ehoud Barak car "depuis plusieurs années, Israël consomme l’ensemble de ses ressources disponibles, soit une moyenne annuelle de 1,8 milliards de m3, sans jamais pouvoir faire des stocks en vue de besoins croissants et en pompant sans vergogne dans les territoires palestiniens occupés". Mais comment tuer un mythe fabriqué de toute pièce ? "Comment imposer des quotas drastiques pour l’eau aux agriculteurs sans risquer d’ébranler l’image du kibboutznik, la légende sioniste du retour à la terre et la transformation du désert en verger ?" ; comme on le voit, le piège s’est refermé‚ et la propagande a fini par intoxiquer ses propres créateurs, le plus aberrant dans cette situation étant le fait que l’agriculture israélienne qui ne contribue que pour un modeste 1,8% au PNB consomme 60% de l’eau du pays et la paie 33% moins cher que l’usager moyen(2). On signalera cependant que Amiran Cohen dans Ha’aretz du 02 mai 2002 parle d’une commission parlementaire d’enquête sur la crise de l’eau en Israël. Cette commission serait sur le point de soumettre ses recommandations pour un "état d’urgence de l’eau" pour les deux prochaines années et affirme que "la crise est le résultat de négligence dans l’adaptation de l’infrastructure de l’eau aux besoins changeant du pays". Par ailleurs, les travaux de cet organisme ont été critiqués dans Globes (02 juin 2002) car ils ignorent les différents avec les Palestiniens quant aux quotas d’eau comme ils ignorent les réalités régionales et font comme si les aquifères appartiennent à Israël seul. Tout ceci ne va évidemment pas sans répercussions graves sur les Palestiniens qui nomment à présent leurs territoires "les zones de la soif" à en croire le site AMIN (Cf. Courrier International n° 561 du 2-22 août 2001) car leurs eaux sont détournées au profit des colonies sionistes. En 2001, Israël a décidé de réduire de 12% la quantité d’eau allouée aux Palestiniens mais il l’avait déjà diminuée de 10% en 2000 et de 8% en 1999. Toujours selon AMIN, les Palestiniens paient l’équivalent de 100 millions de FF à Mekorot, la compagnie israélienne des eaux. Sans mystère aucun, Sharon, sûr de l’impunité, déclarait dans le Monde du 24 avril 2001 : "Ce n’est pas par hasard que les colonies se trouvent là où elles sont. Il faut conserver la zone de sécurité ouest en Cisjordanie, la zone de sécurité est, les routes qui relient Jérusalem et, bien sûr, la nappe phréatique d’où vient le tiers de notre eau". Deux nappes souterraines alimentent Israël : l’une sous les collines de Cisjordanie (660 millions de m3), l’autre sous Haïfa et Gaza (330 millions de m3). C’est dire l’attrait de l’occupant pour les territoires palestiniens ! Le même Sharon a tenu à préciser, en connaisseur un point d’histoire, cette lapalissade : " Les gens pensent d’habitude que le 5 juin 1967 marque le début de la guerre des Six- Jours. En réalité, cette guerre avait commencé deux ans et demi plus tôt, le jour où Israël a décidé d’agir contre le détournement des eaux de la rivière Jourdain " (Every drop for sale, Jeffrey Rothfeder, Editions Tarcher Putnam, 2001). Shimon Pérès ne disait-il pas "L’eau avant la terre" selon Yoram Nimrod (Les Temps Modernes n°253 bis, 1967). De fait, 69,5% du territoire d’Israël est en zone désertique. Il a mis la main sur 70% des eaux du Jourdain et accapare 86% des eaux de la Cisjordanie. Pour ne rien dire du château d’eau syrien du Golan ! Pour certains auteurs cependant- comme ceux du volumineux dossier (en langue arabe) "La question de l’eau au Moyen-Orient : Etudes nationales des ressources en eau et de leurs utilisations " (Centre d’Etudes stratégiques, de recherche et de documentation de Beyrouth) "Dire qu’Israël traverse actuellement une crise de l’eau est exagéré‚ et est contredit par la réalité des choses. Et si Israël prétend avoir un besoin aigu pour les eaux arabes, son but est de s’assurer une réserve d’eau pour l’avenir". A l’appui de cette thèse, on citera deux articles de Ha’aretz. Le premier (traduit par Essabah du 28 juin 2000) a pour titre "La politique de distribution de l’eau" rend compte des pénuries d’eau qui se manifestent régulièrement en été dans le pays et insiste sur la responsabilité exclusive de l’Etat d’Israël dans la distribution de l’eau. Il dit notamment : "Le principe de base israélien quant à la distribution de l’eau dans ce pays est que tout Palestinien doit se contenter du tiers voire du quart de la quantité que consomme un Israélien, et la bonne gestion de l’eau en Israël signifie que les citoyens ne lavent plus leur voiture et s’abstiennent d’arroser le potager ou le jardin attenant à leur demeure. Réduire l’eau, une fois de plus aux Palestiniens, signifie que des dizaines voire des centaines de milliers de personnes ne boiront pas suffisamment, utiliseront moins les sanitaires et les bains et s’exposeront à la pollution et aux maladies. Ceci est, naturellement de la responsabilité d’Israël". Dans le second article, Zafir Rinat écrit, sous le titre "Laissez jaunir les pelouses" (Ha’aretz du 13 mars 2002) : "Le ministre de l’Infrastructure Nationale et le Président de Mekorot (Société des eaux de l’État) ont récemment déclaré qu’Israël aurait à réduire la quantité d’eau qu’il transfère tant aux Jordaniens qu’aux Palestiniens. Israël fait face à une sévère crise d’eau et à un phénomène de salinisation croissante de l’eau potable. On doit cependant rappeler que la crise de l’eau à laquelle font face la Jordanie et les communautés palestiniennes est actuellement aiguë alors qu’en Israël, les usages de l’eau, dans la majorité des secteurs, ont très peu changé. Au cours des deux dernières années, un certain nombre de puits importants se sont asséchés sur la rive occidentale. La Jordanie souffre d’un manque chronique d’eau et elle a moins de ressources d’eau souterraine ; il en résulte que l’impact de la sécheresse y est immédiatement senti. La réduction envisagée provoquera bien des frictions dans les relations jordano-israéliennes d’autant qu’Israël a explicitement promis que le quota d’eau que ce pays recevrait demeurerait inchangé. La seule alternative est de réintroduire les mesures d’économie de l’eau dont l’application a été mise de côté ces deux dernières années. Il est préférable de réduire temporairement les quotas pour l’arrosage du gazon dans le grand Tel Aviv que de voir les habitants des cités palestiniennes souffrir de la soif". Ha’aretz n’évoque cependant pas le fait qu’Israël a allègrement violé les accords d’Oslo en forant treize puits profonds dans la vallée du Jourdain et sur la rive occidentale affectant gravement les ressources en eau des Palestiniens et mettant en danger leur agriculture (Al Quds, 13/11/2001) comme il rechigne à respecter sa signature quant à la fourniture d’eau du Jourdain à la Jordanie en vertu des accords de paix . Le Financial Times du 09/11/1999 avait déjà mis en lumière la terrifiante inégalité d’accès à la ressource- notamment en agriculture- entre Palestiniens et Israéliens. Ainsi, l’agriculture israélienne n’engloutit pas moins annuellement 220 m3 d’eau par tête alors que, pour les Palestiniens, elle représente 15% du PNB et ne consomme que 58 m3. Et comme si cela ne suffisait pas, Christian Salmon, président du Parlement des écrivains, visitant la Palestine en mars 2002 a été témoin de la destruction des systèmes d’irrigation de Jéricho par l’armée israélienne (Monde Diplomatique, mai 2002). Le descriptif complet des importants dégâts provoqués par l’opération Remparts et les autres actes de guerre visant les réseaux d’eau palestiniens est encore à faire et nous ne donnons ci-après que quelques exemples. Mohamed Sid-Ahmed note (El Ahram du 31 mai 2001) que, depuis le début de la deuxième Intifada d’El Aqsa, le 28 septembre 2001, l’armée israélienne a notamment détruit 108 puits artésiens, 292 réservoirs d’eau ainsi que 3802 mètres de conduites d’eau potable. Sid Ahmed précise qu’Avidor Libermann, un proche de Sharon, a menacé l’Egypte de bombarder le barrage d’Assoun si d’aventure elle s’avisait de soutenir l’Intifada (3) ! S’attaquer aux points d’eau ne date pas d’hier pour cette " valeureuse " armée et, dans un article du Monde datant de janvier 1973 repris par le journal du 21-22 juillet 2002, Éric Rouleau écrivait : "En cinq ans, 44 colonies agricoles, civiles ou paramilitaire, ont été fondées dans les territoires conquis en 1967... Deux cas d’expropriation ont fait scandale en raison de leur caractère particulièrement arbitraire : pour ouvrir la voie à l’installation de colons, l’armée a, en avril dernier (1972), arrosé de poison chimique les terres cultivées que refusaient d’abandonner les habitants d’Akraba, village situé à une dizaine de kilomètres au sud-est de Naplouse ; d’autre part, en janvier 1972, elle a expulsé manu militari, quelques 20 000 Arabes de Raffah, dans la zone de Gaza, avant de détruire leurs habitations, de boucher les puits d’eau et de s’emparer de leurs propriétés s’étendant sur 120 km..." Plus près de nous, le maire de Gaza a déclaré (Al-Quds, 16 mars 2002) que les tanks israéliens et les bulldozers ont intentionnellement brisé‚ la conduite principale qui fournit l’eau du puits de Zimmo à plus de 30.000 personnes vivant à Gaza. Fadel Kaawash, directeur adjoint de l’Autorité palestinienne de l’Eau (APE), a estimé (Al-Quds, 02 mai 2002) entre 3 et 4 millions de dollars les pertes dans le secteur de l’eau du fait de l’incursion de l’armée israélienne dans les territoires palestiniens (Ramallah, Jénine, Bethléem, Naplouse et Hébron). Ce responsable précise que les forces armées ennemies ont détruit l’infrastructure et tout particulièrement le réseau d’eau, les sources locales et les réservoirs sur les toits des habitations d’où une pénurie d’eau gravissime pour les habitants. Il ajoute que les soldats ont attaqué‚ le personnel technique de l’APE pour l’empêcher de procéder aux réparations d’urgence. La plupart des réseaux d’eau ainsi que les puits ont été récemment réalisés avec l’aide d’organismes ou d’Etats étrangers dans le cadre de l’aide au peuple palestinien. Le journal Al-Quds du 19 mai 2002 rapporte que de nombreux villages dans le district de Jénine sont privés d’eau depuis le début de l’incursion israélienne car les camions-citernes ne peuvent les atteindre du fait du couvre-feu, du blocage des routes par l’armée... et que les chauffeurs ont été l’objet de tirs de la part des militaires quand ils ont essayé d’accomplir leur mission. Les habitants du village de Beit Furik près de Naplouse ont particulièrement souffert de ce manque d’eau car les camions-citernes sont leur unique moyen de ravitaillement. Le journal Al-Quds affirme que la première construction qui sort de terre dans chaque nouvelle colonie sioniste est "un immense château d’eau entouré de fils de fer barbelés " comme pour souligner l’importance de l’élément vital pour la future implantation et exposer les peurs qui la taraudent dans un environnement où l’allocation d’eau est discriminatoire et foncièrement injuste. Faut-il rappeler ici que l’eau des Palestiniens est sous la férule des militaires ? Ainsi, l’ordonnance militaire n° 158 du 30 octobre 1967 dispose : "Il est interdit à quiconque de mettre en œuvre ou de détenir des installations hydrauliques sans en avoir préalablement obtenu l’autorisation auprès du commandement militaire". Tout village palestinien qui a la malchance de voir une colonie s’installer dans son voisinage sait que des jours sombres l’attendent pour son approvisionnement en eau : les autorités militaires interdisent aux villageois de forer des puits de plus de 18 mètres. Ce type de limitation n’existe pas, bien évidemment, pour les colons dont les puissantes motopompes ont tôt fait de dessécher les pauvres puits du village. Les prélèvements excessifs des colonies juives conduisent ainsi à un désastre écologique : une diminution du niveau de l’aquifère et l’intrusion fréquente d’eau de mer dans les puits comme cela s’observe couramment à Gaza. Or, comme les quantités d’eau auxquelles accèdent les uns et les autres varient dans un rapport de 1 à 4, au désastre environnemental s’ajoute une situation sociale inacceptable. De fait, même si les accords de 1994 tempèrent un peu le diktat militaire, l’échec final du processus d’Oslo puis celui de Taba, laissent peu d’espoir- surtout dans le contexte actuel où la parole est laissée aux Apaches, aux F16 et aux blindés- pour une proche remise en question d’une situation frappée du sceau de l’inégalité d’accès à la ressource entre Palestiniens et Israéliens. Amira Hass, correspondante de Ha’aretz dans les territoires palestiniens occupés, décrit dans le New York Times du 02 septembre 2001, sous le titre "Séparés mais inégaux sur la rive ouest" les multiples injustices qu’Israël fait subir aux quatre millions de Palestiniens vivant sous sa botte et estime que, pour comprendre la Seconde Intifada, il faut examiner "la réalité morale, économique et sociale que la politique de colonisation israélienne a créée au cours des 34 années écoulées". La journaliste note, à propos de la question de l’eau : "L’accès à l’eau est un exemple flagrant d’inégalité. Depuis 1967, Israël contrôle la ressource et sa distribution dans la rive ouest et à Gaza. Ce qui a donné une différence frappante dans la consommation domestique par tête entre Israéliens et Palestiniens - une moyenne de 280 litres par jour contre 60 à 90 litres par jour. Aucun colon israélien n’a à se faire du souci pour l’eau alors que des milliers de Palestiniens habitant les villes et les villages n’ont pas l’eau courante, en été, des jours durant d’affilée. Quand l’eau courante vient à manquer dans mon immeuble (à Ramallah), je saute dans ma voiture pour aller remplir à Jérusalem mes bouteilles d’eau et faire ma lessive. Mes voisins ont besoin d’une autorisation pour entrer à Jérusalem". La question de l’eau et sa gestion au profit de certains lobbies divise, à l’heure actuelle, les gens à l’intérieur d’Israël même. Tzafrir Rinnat écrit dans Ha’aretz (C.I. n° 561, du 02 au 22 août 2002) : " La raréfaction de nos ressources en eau a aggravé la rivalité entre collectivités pour obtenir de l’eau traitée. Voilà dix-huit mois, un conflit violent opposait l’autorité responsable du Yarkon et le ministère de l’Environnement à la commission des eaux de la municipalité de Kfar Sava. En cause : le projet de Kfar Sava d’affecter les eaux recyclées aux besoins de son agriculture plutôt que de les laisser s’écouler dans le Yarkon comme le demande l’Autorité Israélienne des parcs naturels (AIPN) " désireuse de ne pas voir mourir ce minuscule cours d’eau proche de Tel Aviv.(4) Sur le plan international, Israël ne connaît, comme à l’accoutumée que le langage de la force et de la menace s’agissant de la question de l’eau avec ses voisins : ainsi, en septembre 2002, Sharon a affirmé qu’un détournement du petit fleuve Ouazzani constituerait un " casus belli ". Or, ce cours d’eau prend sa source au Liban Sud et se déverse en Israël (Métro du 17/09/2002). De plus, l’Etat juif joue un rôle pour le moins ambigu dans le domaine de l’eau : fin mai, s’est tenue à Ankara une réunion d’experts turcs et israéliens pour la vente d’eau (Wafd Le Caire du 30 mai 2002). Il semble que les choses sont arrivées à terme puisqu’un accord a été signé quelques semaines plus tard. Celui-ci stipule un transfert de l’eau vendue dans d’énormes outres en plastique pour Israël - comme Ankara le fait pour la république turque de Chypre- qui pourrait en dispatcher ensuite vers les pays du Golfe. Ainsi, Israël, à contre-courant de nombreuses ONG et de gouvernements - comme celui du Canada qui a imposé un courageux moratoire sur les ventes d’eau - considère l’eau comme une vulgaire marchandise. De plus, ainsi, ce pays essaie de s’insérer dans le tissu économique de la région. C’est un bien mauvais service que le gouvernement Sharon rend à ceux qui n’ont pas d’eau potable juste à la veille du sommet de la Terre à Johannesburg. Et ils sont légion sur la planète : 1, 2 milliard d’êtres humains. Par contre, c’est un signalé service qu’il rend aux multinationales et aux marchands d’eau. Maxime Rodinson parlait d’Israël comme état néocolonial en 1967. Grâce à Sharon, le voici à présent en supplétif des marchands de l’eau. Faut-il rappeler que cette ressource est vitale et dont nul ne saurait en être privé en raison de son incapacité à ne pouvoir la payer. Autre accord : celui signé avec la française Comex (travaux sous mer) pour l’installation de cloches destinées à recueillir l’eau douce en mer à l’affleurement des résurgences d’eau douce provenant du plateau continental d’où risque de frictions sur la limite des eaux territoriales avec les voisins. Autre rôle trouble prêté à Israël dans le domaine de l’eau : le conflit au sud Soudan. Le récent accord (fin août 2002) entre Khartoum et Garang inquiète le Caire. Les Égyptiens craignent que la nouvelle entité chrétienne ne tombe sous l’influence des Israéliens et ne menace les eaux du Nil (barrage sur le Nil Bleu et dans la Gézira, retour du canal de Jongleï...).Mais, les Egyptiens craignent aussi un pouvoir fondamentaliste au nord et qui remettrait en cause les accords sur le partage de l’eau du Nil signés du temps où la Grande-Bretagne colonisait le Soudan. De plus, un tel régime au nord ne manquerait pas de prêter assistance aux Frères musulmans pourchassés par Moubarak (Emission d’Al Jazeera du 26/08/2002). Il est clair qu’il ne saurait y avoir d’accord sérieux sur la question de l’eau tant qu’Israël aura comme seul langage celui des armes, de la destruction et du mépris(5) et tant qu’un minimum de confiance et de transparence ne domine pas la scène. Pour autant, il faudra maintenir le dialogue entre les partisans de la paix et ceux qui condamnent les menées et la politique insensée de Sharon. Il faudra aussi soutenir le combat des partisans de la démocratie dans toute la région où il faudra bien qu’un jour, on applique le principe cher à Victor Hugo, en cette année du bicentenaire " Un homme, une voix ". La question de l’eau doit d’abord être du ressort des populations, loin des visées et des manœuvres politiciennes des uns et des autres. Alors, et alors seulement, quand les armes se seront tues, on pourra parler, d’égal à égal, d’ " eau virtuelle ", de coopération régionale, de recherche sur le dessalement, d’osmose inverse, de membranes performantes au polycarbonate... et d’emploi de l’énergie nucléaire pour obtenir de l’eau potable. L’eau se prête à ce type d’opération : catalyser le dialogue une fois mis aux rancarts les présupposés religieux, ethniques et autres. Dans les années 1950, le plan d’Eric Johnston aurait pu constituer une plateforme de travail et de dialogue. On dit même que le colonel Nasser y aurait consenti, désireux qu’il était d’obtenir d’abord la neutralité d’Israël dans un conflit avec la France et la Grande-Bretagne (à l’occasion de la nationalisation du canal de Suez) et envisageant ensuite la construction de barrage d’Assouan et son financement par l’Occident. Las ! Les extrémistes de tout bord ont tout fait échouer, semble-t-il (Les Temps Modernes, Numéro spécial Conflit israélo-arabe, 1967). Paul Claudel disait : " L’eau est le regard de la Terre, son appareil à regarder le temps ". Comment transmettre cet appareil unique aux populations, comment leur éviter de vivre la criante injustice que subissent aujourd’hui les Palestiniens ? Leur grand poète Darwich dit de son côté :
Enregistre
en première page : C’est aux amis de la Paix de répondre et de prendre le relais des poètes ! Mohamed Larbi BOUGUERRA, Tunis août 2002. Avec la complicité de Dominique Mailler |
Notes 1- Le 17 avril 1967, quatre Mirage israéliens ont bombardé et détruit le barrage syro-jordanien Khaled Ibn El Walid sur le Yarmouk, achevé en 1966 (Nations Solidaires, 2ème trimestre 1992, n° 185, p. 14-15). 2- On notera cependant que le Ha’aretz du 07/04/2002 rapporte dans un article signé par Amiram Cohen que les ministres de l’agriculture et des finances ont approuvé une réforme du prix de l’eau dans le secteur agricole. Le prix de l’eau potable leur sera dorénavant "équivalent" à celui payé par le consommateur ordinaire. Mais l’agriculture n’en continuera pas moins à être subventionnée pour les terres cultivées. Reste à voir ce que signifie " équivalent " pour les politiciens israéliens, champions de la casuistique. 3- La Convention internationale signée à Genève en 1947 interdit pourtant le bombardement des barrages. 4- Sur les dégâts écologiques dus à la gestion de l’eau en Israël, on citera rapidement l’assèchement du lac de Houlé dès 1953 par les sionistes... De plus, l’irrigation à outrance a amené la pullulation de certains ravageurs des cultures (Cf E. Rivnay in Natural History, 1969). La pollution de l’eau atteint des proportions inquiétantes à en croire le Pr Avital Gazit de l’Université de Tel Aviv qui rapporte la réponse des enfants auxquels on demande ce qu’est une rivière : " C’est un canal qui pue quand vous passez à côté " (Cf Courrier International, loc.cit). On signalera aussi la pollution chronique du complexe industriel Naaman-Afek étudié dans la vallée de Saint Jean d’Acre par L. Fishelson et son équipe en 1994 (The Science of the Total Environment, 144, 1994, p. 33-45 et notre ouvrage " La pollution invisible ", PUF, Paris, 1997). Pour Yossi Inbar (Ministère de l’Environnement), l’altération des ressources naturelles vient s’ajouter aux dégâts infligés aux zones humides par la pollution. " Le sionisme n’a pas seulement réussi à conquérir le désert. Il l’a aussi asséché " ironise-t-il. 5- Yitzhak Shamir, ancien Premier ministre, traitait les Arabes de " sauterelles " : " Nous leur disons, du haut de cette montagne et à partir de la perspective des milliers d’années d’histoire qu’ils sont, comparés à nous, comme des sauterelles". (Voir Adrian Hamilton " Grasshoppers ready to jump on racist Israel ", The Observer, 03 avril 1988). |