Hind Khoury : la voix de la Palestine à Paris
Gilles Paris, jeudi 05 janvier 2006 Ses allures de paisible bourgeoise chrétienne de Bethléem sont trompeuses. C'est une experte en vie impossible qui va tenter de porter en France, pour quatre ans, la voix d'une Palestine troublée par cinq années d'Intifada. Incollable sur les check points israéliens de plus en plus rebutants dressés tout autour de sa ville natale, brièvement ministre chargée d'une Jérusalem interdite à l'Autorité palestinienne, Hind Khoury est la nouvelle déléguée générale de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris. Elle prend cette charge après le long mandat de Leïla Shahid, nommée en 1993 à cette fonction, et qui rejoint Bruxelles, où elle sera déléguée générale de la Palestine auprès de l'Union européenne. "C'est le bon profil, elle devrait savoir faire", assure un diplomate européen qui la connaît depuis longtemps. Rien, pourtant, ne prédestinait Hind Khoury à cette fonction. Née à Bethléem alors sous autorité jordanienne, elle grandit auprès d'un père tailleur jusqu'à l'arrivée des troupes israéliennes, en 1967. "C'est bien après que j'ai compris combien ma vie avait été protégée jusque-là", avoue-t-elle. Éduquée chez les soeurs, elle suit des études d'économie tout d'abord à Bir Zeit, près de Ramallah, puis à l'Université américaine de Beyrouth, où se pressent les élites politiques du Proche-Orient dans les années qui précèdent le déclenchement de la guerre civile. Elle suit de très loin l'OLP au faîte de sa puissance au Liban, puis rentre à Bethléem. Après quelques expériences professionnelles, elle se marie à un architecte et se consacre à l'éducation de ses trois enfants. "Malgré l'occupation, c'était une vie agréable, se souvient-elle, puis, tout à coup, il y a eu l'Intifada." Hind Khoury avoue volontiers avoir été surprise par le premier soulèvement palestinien, qui la tire très vite de la routine de sa vie de famille. Les mouvements de protestation se multiplient. La jeune femme y participe, assure des cours de soutien dans sa maison. Au bout de quelques mois, elle décide de reprendre ses études pour participer à la construction d'un pays à venir. "Je me suis dit qu'il faudrait être prêt le moment venu", assure-t-elle. Elle suit donc un cursus en administration publique de l'université de Boston, dispensé à Beer Sheva, en Israël, tout en travaillant pour l'agence américaine USAID. C'est à la même époque que la route entre Bethléem et Jérusalem est coupée par les premiers barrages militaires israéliens. "Cela a été un choc. Au début, au moment de la guerre du Golfe (en 1991), cela allait encore. Avec Oslo (en 1993), c'est devenu plus compliqué." Ses enfants, qui étudient au lycée français de Jérusalem, sont stupéfaits devant ses accès de colère lorsqu'elle est confrontée à l'arbitraire des soldats sur le chemin de l'école. "Ils côtoyaient des enseignants israéliens francophones, alors à leurs yeux j'étais "raciste. Plus tard, ils ont compris..." Alors que la communauté internationale célèbre le premier pas vers une paix qu'elle croit inéluctable, Hind Khoury fait l'expérience du désenchantement qui accompagne ce processus chez les Palestiniens : les bouclages qui se multiplient, les check-points qui se perfectionnent et une Autorité palestinienne rentrée de Tunis dont les moeurs tranchent avec celles des élites "de l'intérieur", sûres de leurs compétences mais promptes à se sentir marginalisées. Ses fonctions, pendant dix ans, dans les agences des Nations unies ou au travers de programmes de développement européens, ont fait de Hind Khoury une professionnelle de la gestion. En février 2005, elle accède au gouvernement palestinien formé après l'élection de Mahmoud Abbas. Raillée par certains caciques du Fatah, qui la qualifient avec mépris de "secrétaire", elle a rallié ce mouvement sur le tard. Elle cohabite avec les nationalistes de la première heure, qui lui opposent la légitimité des années de prison et des interrogatoires musclés. Encore peu connue, elle a renoncé à se présenter aux élections législatives. "Lorsque la génération des fondateurs du Fatah disparaîtra, la succession se jouera entre ces deux courants, les "professionnels et les "activistes. Mais ne sous-estimons pas les premiers", avertit Ghassan Khatib, ministre du Plan et ancien professeur de sciences politiques. A Paris, Hind Khoury va prendre un peu de distance avec la pétaudière palestinienne, les rivalités personnelles qui laissent parfois, comme à Jérusalem-Est depuis la mort du charismatique Fayçal Husseini en 2001, le champ libre à l'implacable machine israélienne. Pendant près d'un an, aidée par une poignée d'assistants, la ministre a multiplié auprès des délégations étrangères les présentations alarmistes des derniers progrès de la colonisation, corroborées par un rapport européen prestement enterré. "Avec le mur construit par Israël autour de Jérusalem officiellement pour empêcher les infiltrations de Palestiniens, Israël brise l'ensemble humain, politique, social et économique qui a toujours rassemblé Ramallah, Jérusalem et Bethléem, tout en rendant impossible un accord de paix, déplore-t-elle. En parlant sans cesse de capitale réunifiée à propos de Jérusalem, les Israéliens trahissent l'âme d'une ville qui a toujours été diverse, cosmopolite." Elle avait quitté, avant sa nomination à Paris, son quartier de Bethléem défiguré par les fortifications qui entourent le Tombeau de Rachel, un lieu saint juif fréquenté autrefois également par les musulmans. Elle s'était installée dans un quartier de Jérusalem pour éviter aussi les tracasseries quotidiennes au barrage dont le dernier avatar, assure-t-elle, a été financé en partie par des fonds publics américains alloués théoriquement aux Palestiniens. "L'occupation israélienne a enlaidi les paysages et elle nous enlaidit nous-mêmes", soupire-t-elle. En France, où étudient deux de ses enfants, Hind Khoury n'aura pas la tâche facile. Il lui faudra beaucoup d'habileté pour s'affranchir de l'aura écrasante de celle qui l'a précédée et qui a su nouer un dialogue singulier avec sa terre de mission, pour contrer la nouvelle image d'Ariel Sharon depuis le retrait de Gaza et pour redonner du crédit à son camp. Gilles Paris, Le Monde du 05 janvier 2006 |
Parcours 1953. Naissance à Bethléem. 1987. Participe à la première Intifada palestinienne. 1999. Responsable des événements du projet Bethléem 2000, ruiné par la deuxième Intifada. 2005. Devient ministre de l'Autorité palestinienne, chargée de Jérusalem. 2006. Devient déléguée générale de l'OLP en France. |
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