La tâche centrale du mouvement de solidarité Michel Warchawski publié le samedi 4 février 2006.
"Pour
les hommes et les femmes de Palestine, Mercredi dernier, la plupart des journalistes étrangers parlaient d’ambiance festive dans les villes et les villages palestiniens où la population était en train de voter, massivement d’ailleurs, puisque le taux de participation dépassait les 75%. « Fête de la démocratie » annonçait une chaîne européenne, en insistant sur l’absence d’incidents ou d’irrégularités. Mentionnons pourtant une irrégularité majeure : les menaces des puissances américaine et européenne de couper l’aide économique au cas où les Palestiniens éliraient au Conseil législatif une majorité de membres du Hamas. Puis vinrent les résultats : il s’avère que les menaces n’ont pas eu le succès attendu, et c’est avec une majorité écrasante que le Hamas entre au Conseil législatif palestinien, à la surprise de tous, y compris de la direction du parti islamiste. Car s’il était évident que ce dernier allait faire un bon score, capitalisant la déception populaire de la gestion catastrophique du Fatah qui avait monopolisé le pouvoir dès la mise en place de l’Autorité palestinienne en 1994, personne ne s’attendait à un tel ras de marée. Sur les 132 députés du nouveau Conseil Législatif, le Hamas a 76 élus, le Fatah 43, et les diverses listes de gauche 13. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans le collège proportionnel (le conseil étant composé à moitié de députés élus à la proportionnelle sur des listes nationales et à moitié par des représentants de districts élus à la majorité des voix) les chiffres sont sensiblement différents : sur 66 députés, le Hamas a 30 élus (45%), le Fatah 27 (41%) et la gauche 9 (14%), ce qui représente plus fidèlement le véritable rapport de forces politique dans les territoires palestiniens. Des l’annonce des résultats, commence une immense campagne de mystification internationale : « nous n’avons plus de partenaires » affirment les dirigeants israéliens ; avec la victoire du Hamas, renchérissent les médias occidentaux, le processus de paix est maintenant enterré. Comme si, à la veille des élections, il y avait eu un processus de paix ou pour le moins des négociations israélo-palestiniennes ! Comme si Mahmud Abas, le Président de l’Autorité palestinienne, et avant lui, Yasser Arafat n’avaient pas été eux aussi disqualifies comme partenaires par Ariel Sharon ! Ariel Sharon a fait, depuis longtemps, le choix de l’unilatéralisme et systématiquement refusé de considérer les dirigeants du Fatah comme des interlocuteurs, y compris dans le « retrait unilatéral de Gaza ». Ce n’est pas l’élection du Hamas qui a mis fin au processus négocié mais le refus, déclaré, du gouvernement israélien de continuer le processus d’Oslo. Pas plus qu’Ariel Sharon aurait été, sur le tard, un homme de paix, la victoire du Hamas serait le signe d’une reprise de la guerre... qui, malgré la trêve unilatérale des Palestiniens, et en particulier du Hamas, n’a jamais été arrêtée par les forces d’occupation israéliennes. Autre composante de la campagne de mystification, ouvertement raciste cette fois, est la description du Hamas comme un courant « fanatique », irrationnel, pour qui la violence est un but en soi, et la mort des Juifs un devoir sacré. Le Hamas est un mouvement islamiste intégriste, guidé par une certaine lecture de l’Islam avec un projet de société où il ne ferait pas bon vivre pour quiconque est épris de liberté et d’égalité. Il prône en outre la destruction de l’Etat d’Israël et la constitution d’une république islamiste sur l’ensemble du monde ou la culture musulmane est majoritaire. Pour les hommes et les femmes de Palestine, la victoire du Hamas est une terrible défaite dans leur lutte pour un Etat laïque et démocratique. En fait le Hamas n’est pas différent des nombreux partis intégristes israéliens dont le projet de société est assez proche de celui du Hamas, et de certains partis israéliens d’extrême-droite qui s’opposent farouchement à l’autodétermination des Palestiniens et appellent à leur expulsion et leur dispersion à travers le monde arabe. Ces partis ont participé à des gouvernements israéliens divers, que ce soit celui de Yitshak Rabin (le Parti National Religieux, le Shass) ou le gouvernement du pacifiste Ariel Sharon (Moledet, l’Union Nationale), et cela n’a pas provoqué le boycott d’Israël ou la rupture de l’accord d’association entre Israël et l’Union Européenne. Mais, contrairement aux images racistes propagées par les médias israéliens et internationaux, le Hamas est un mouvement politique extrêmement rationnel et pragmatiste : si l’islamisation du monde arabe est son objectif à long terme, y compris, pour l’instant, la disparition d’Israël, il est tout à fait prêt à accepter un cadre de coexistence avec l’Etat sioniste, à négocier avec ses dirigeants et à respecter les accords signés par l’OLP avec l’Etat juif. Il l’a clairement annoncé, dès lors qu’il acceptait de prendre part au jeu démocratique et de revendiquer le pouvoir. L’acceptation d’une trêve à long terme avec Israël, et ce malgré le fait qu’Israël pour sa part s’est opposée à une trêve dans sa guerre de pacification, prouve que le mouvement islamiste sait être pragmatique, et le respect scrupuleux de cette trêve, malgré les innombrables provocations israéliennes montre en outre que c’est un mouvement extrêmement discipliné. Trois décisions prises par la direction du Hamas ces derniers jours montrent la voie qu’il entend suivre : d’abord, l’acceptation de l’autorité de l’OLP (toujours encore dirigée par le Fatah) sur l’Autorité nationale palestinienne, ce qui laisse au Président Abbas une très grande marge de manoeuvre dans la poursuite d’un éventuel processus négocié... si Israël décide de mettre fin à son sabotage. Ensuite l’appel à un gouvernement d’union nationale avec le Fatah, où les portefeuilles les plus importants seraient aux mains d’experts et de technocrates et dans lequel les dirigeants du Hamas seraient en fait minoritaires. Finalement, la dissolution de ses propres milices dans des forces armées nationales palestiniennes. On est donc loin d’un projet de guerre sainte, comme on nous en rabat les oreilles depuis quelques jours. En fait, la balle est dès à présent dans le camp du Fatah : répondra-t-il aux appels à l’union du Hamas ? Acceptera-t-il de renoncer au monopole du pouvoir, en particulier sur les finances et les forces armées officielles ? Le Fatah est profondément divisé face aux enjeux nouveaux auquel il est confronté, et les risques de confrontations entre tendances rivales de la formation d’Abou Mazen sont tout à fait réels. Des tensions similaires menacent également le mouvement de solidarité internationale, avec le risque de voir poindre des tendances à réduire une solidarité plus nécessaire que jamais, à cause du « mauvais vote » des Palestiniens. Or la tâche centrale du mouvement de solidarité en Europe est aujourd’hui de combattre avec vigueur, et sans compromis aucun, le chantage exercé par certains gouvernements européens et certains dirigeants de l’UE : les Palestiniens ont besoin du soutien international, les Palestiniens ont droit au soutien international, indépendamment du choix démocratique qui a été le leur. Se dérober à une telle tâche reviendrait à confirmer l’horrible discours défendu par le gouvernement israélien depuis près de six ans, selon lequel en soutenant une direction terroriste (il s’agissait à l’époque de Yasser Arafat !), le peuple palestinien prouve qu’il est un peuple terroriste et qu’en conséquence, il a perdu tous ses droits. Michel Warchawski Transmis et traduit par la CCIPPP. http://www.protection-palestine.org/article.php3?id_article=2137 |