La colonisation de la Palestine entrave la paix Par Jimmy CARTER L’Orient Le jour - Samedi 11 mars 2006 Depuis plus de vingt-cinq ans, la politique israélienne est en conflit avec celle des États-Unis et de la communauté internationale. L’occupation de la Palestine par Israël fait obstacle à un accord global de paix en Terre sainte, abstraction du fait que les Palestiniens aient pu être privés de tout gouvernement officiel, présidé par Yasser Arafat ou Mahmoud Abbas, ou qu’ils aient un président, ce même Abbas, et un Parlement et un gouvernement contrôlés par le Hamas. La position des États-Unis, qui n’a pas changé depuis la présidence de Dwight Eisenhower, reste que les frontières physiques d’Israël coïncident avec celles établies en 1949, et, depuis 1967, la résolution 242 des Nations unies, adoptée à l’unanimité, ordonne le retrait d’Israël des territoires occupés. Cette politique a été réaffirmée, par Israël lui-même, en 1978 et 1993, et soulignée par tous les présidents américains, y compris par George W. Bush. Membre du quartette avec la Russie, les Nations unies et l’Union européenne, il a avalisé la « feuille de route » pour la paix. Israël a pourtant rejeté officiellement ses clauses liminaires avec des mises en garde et des préalables manifestement inacceptables. Avec l’accord d’Israël, des membres du Centre Carter ont suivi chacune des trois élections palestiniennes. Supervisés par une commission composée de représentants triés sur le volet de présidents d’université et de juristes distingués, ils ont tous gardé une attitude honnête, juste, pacifique, et leurs conclusions ont été acceptées par les vainqueurs et les perdants. Le Hamas contrôlera le cabinet ministériel et le bureau du Premier ministre, mais Mahmoud Abbas conservera l’autorité et le pouvoir autrefois exercés par Yasser Arafat. Il conserve également la direction de l’OLP, la seule organisation palestinienne reconnue par Israël, et pourrait très bien traiter avec les dirigeants israéliens sous cette étiquette, indépendamment de tout contrôle du Hamas. Il a pleinement avalisé la « feuille de route » du quartette pour la paix. Les sondages d’opinion qui ont suivi les élections montrent que 80 % des Palestiniens aspirent toujours à un accord de paix avec Israël et près de 70 % soutiennent M. Abbas dans son rôle de président. Israël a annoncé vouloir poursuivre une politique d’isolement et de déstabilisation du nouveau gouvernement (éventuellement rejoint en cela par les États-Unis). Les représentants palestiniens officiellement élus se verront refuser le droit de voyager ; les travailleurs de la bande de Gaza, isolés, se verront interdire l’entrée en Israël et tous les efforts possibles seront mis en œuvre pour bloquer les fonds des Palestiniens. Le représentant spécial du quartette, James Wolfensohn, a proposé que les pays donateurs aident le peuple palestinien sans contrevenir aux lois sur la lutte contre le terrorisme, qui interdisent le versement direct de fonds au Hamas. À court terme, la meilleure approche est de suivre le conseil de M. Wolfensohn, de laisser à la poussière l’occasion de retomber en Palestine, et d’attendre le résultat des élections israéliennes prévues ce mois-ci. Le Hamas souhaite maintenant consolider son avantage politique, maintenir l’ordre public et la stabilité et éviter tout contact avec Israël. Il serait tragique, particulièrement pour les Palestiniens, qu’il ferme les yeux sur le terrorisme ou le favorise. La colonisation de la Palestine par Israël reste l’obstacle principal à tout accord de paix. Il n’y avait guère plus de quelques centaines de colons dans la bande de Gaza et en Cisjordanie lors de mon accession à la présidence des États-Unis, mais le gouvernement israélien, sous la direction du Likoud, a étendu les installations après mon départ de la présidence. Le président Ronald Reagan a condamné cette politique et réaffirmé que la résolution 242 restait « la pierre angulaire de l’effort de paix américain au Moyen-Orient ». Le président George H. W. Bush a même menacé de réduire l’aide américaine à Israël. Bien que le président Bill Clinton ait fait des efforts importants pour promouvoir la paix, la colonisation a connu une forte augmentation durant son mandat, portant le nombre de colons à 225 000, sous la responsabilité du Premier ministre Ehud Barak. La meilleure proposition officielle ayant été faite aux Palestiniens concernait le retrait de 20 % des colons, ce qui porte leur nombre à 180 000 dans 209 peuplements couvrant 5 % des territoires occupés. Ce chiffre de 5 % induit gravement en erreur, du fait des zones périphériques prises ou réservées pour l’expansion, de la jonction du réseau routier des points de peuplement les uns avec les autres et avec Jérusalem, de larges couloirs artériels apportant l’eau, le tout-à-l’égout, l’électricité et les communications. Ce réseau complexe divise la totalité de la Cisjordanie en fragments multiples, souvent inhabitables, voire inaccessibles. Récemment, les dirigeants israéliens ont pris des décisions unilatérales sans impliquer les États-Unis ni les Palestiniens, leur retrait de la bande de Gaza représentant une première étape dans cette voie. La bande de Gaza, dans son isolement et ses limites actuelles, sans accès à un espace aérien, à la mer, ou à la Cisjordanie, ne représente pas une entité politique et économique viable. L’avenir de la Cisjordanie paraît tout aussi sombre. La construction qu’a lancée Israël de ces murs de division, massifs et en béton, dans les zones peuplées, et de ces barrières en bois dans les zones rurales, est particulièrement troublante : ils sont entièrement situés en territoire palestinien et représentent souvent d’importants empiètements qui englobent plus de terres et de territoires colonisés. Le mur est conçu pour entourer une Palestine totalement tronquée, et un réseau d’autoroutes distinctes traversera ce qu’il en restera pour relier Israël à la vallée du Jourdain. Cela ne sera jamais acceptable pour les Palestiniens ou la communauté internationale et amplifiera inévitablement les tensions et les violences en Palestine, ainsi qu’un ressentiment et une animosité plus grands dans le monde arabe à l’encontre de l’Amérique, qui sera tenue responsable du malheur qui frappe les Palestiniens. Le Premier ministre par intérim, Ehud Olmert, et d’autres que lui ont démontré il y a plusieurs années qu’une occupation israélienne permanente sera toujours plus difficile à réaliser, au fur et à mesure que le nombre de citoyens juifs décroît du point de vue démographique aussi bien en Israël qu’en Palestine. Cela est évident aux yeux de la plupart des Israéliens, qui perçoivent également ce rôle dominant comme une distorsion de leur morale ancestrale et de leurs valeurs religieuses. Au fil des ans, les sondages d’opinion ont constamment apporté la preuve que près de 60 % des Israéliens sont favorables à un retrait de Cisjordanie en contrepartie d’une paix durable. De même, une majorité écrasante d’Israéliens et de Palestiniens souhaitent une solution durable fondée sur deux États. Les contrôles toujours plus resserrés imposés par les forces d’occupation ont accru le nombre de victimes au cours de ces dernières années. De septembre 2000 à mars 2006, 3 982 Palestiniens et 1 084 Israéliens ont été tués dans ce conflit, et cela comprend de nombreux enfants : 708 enfants palestiniens et 123 enfants israéliens. Il est indubitable qu’une entente avec les Palestiniens peut créer les conditions d’une reconnaissance d’Israël dans le monde arabe et de son droit à vivre en paix. Toute politique de rejet de la part du Hamas ou de tout groupe terroriste peut être contrée par un engagement général de la part des pays arabes à limiter toute violence supplémentaire et à promouvoir le bien-être du peuple palestinien. Toutes ces années, j’ai constaté combien le désespoir et la frustration peuvent évoluer vers l’optimisme et le progrès. Aujourd’hui même, nous ne devons pas abandonner l’espoir d’une paix permanente pour les Israéliens, de la liberté et de la justice pour les Palestiniens si l’on peut respecter trois fondements de base : 1. Le droit d’Israël à exister et à vivre en paix doit être reconnu et accepté par les Palestiniens et tous les pays voisins. 2. Le massacre de victimes innocentes dans des attaques-suicide et d’autres actes de violence ne peut pas être toléré. 3. Les Palestiniens doivent pouvoir vivre dans la paix et la dignité et la présence permanente de colonies israéliennes sur leurs terres représente un obstacle important dans la réalisation de ce but.
Jimmy Carter, ancien président des États-Unis, a dirigé les observations menées par le Centre Carter et l’Institut national pour la démocratie lors des élections palestiniennes qui se sont tenues en janvier.
© Project Syndicate et The Council on Foreign Relations, 2006. |