Extrait du Courrier International 13 avril 2006 http://www.courrierinternational.com/article.asp?obj_id=61726&provenance=moyenorient&bloc=07
ISRAËL-PALESTINE • La Terre sainte, son mur, ses couvre-feux
Les organisations israéliennes Briser le silence et Ir Amim proposent aux touristes de leur montrer les réalités cachées de leur pays en les emmenant dans des quartiers palestiniens.
Reportage. Au dernier étage d’une maison palestinienne réquisitionnée à Hébron, en Cisjordanie, Yehuda Shaul, un ancien soldat israélien, se tient au milieu d’un groupe de touristes allemands qui boivent ses paroles. Il leur parle du temps où il tirait au lance-grenades sur des hommes armés. “J’ai été formé au lance-grenades, voilà mon erreur, regrette-il. On tirait sur des maisons situées à une distance de 800 mètres. Alors, on touchait forcément aussi des cibles innocentes.” Par “cibles innocentes”, Shaul entend civils palestiniens. Il ne craint pas d’évoquer des souvenirs accumulés lors de ses quatorze mois de service passés dans l’armée israélienne à Hébron. “Avions-nous le droit de tirer des grenades sur des zones où vivaient des Palestiniens ? Bien sûr que oui. Pourquoi pas ?” ironise-t-il, décrivant les nombreuses actions de Tsahal qui enfreignent les propres règles d’engagement de l’armée. “C’était très amusant. Pouvions-nous fermer 2 000 boutiques palestiniennes en décrétant un couvre-feu selon notre bon vouloir ? Bien sûr. Pourquoi pas ?” Les visiteurs israéliens sont bouleversés Depuis neuf mois, Shaul et les membres de l’association Briser le silence, dont il est le fondateur, ont conduit une quarantaine de groupes – soit 1 200 personnes au total – dans les environs de la ville divisée d’Hébron, où 500 colons juifs vivent au milieu de 100 000 Palestiniens. Ces touristes d’un genre nouveau n’ont rien à payer, à l’exception des frais de transport, mais ils ont la possibilité de voir de l’intérieur, sans censure, l’effet des colonies israéliennes – et de la présence de centaines de soldats chargés de les protéger – sur la population palestinienne de la ville. “Les patrouilles font irruption dans les maisons vingt-quatre heures sur vingt-quatre, non pour arrêter des terroristes mais pour montrer que nous sommes là, dénonce Shaul. Alors, on entre chez les gens et on les réveille au milieu de la nuit. On ne traite pas les Palestiniens comme nos égaux. C’est comme si on mettait toute notre moralité et notre éducation dans un mixeur : au bout d’une minute, il n’en reste rien.” Le moins qu’on puisse dire, c’est que Briser le silence n’est pas populaire chez les colons juifs de la ville. “Ils soutiennent les terroristes. Ils veulent voir les Juifs exilés et tués”, accuse Noam Arnort, leur porte-parole. Mais les visites organisées par l’association sont de plus en plus demandées sur le marché du tourisme alternatif en Israël – qui prospère à mesure que la violence fait fuir les touristes traditionnels. Parmi ces nouvelles “excursions” figurent des marches le long de la clôture de sécurité – le très controversé ensemble de murs et de barrières qui serpente à travers la Cisjordanie. Ir Amim [La cité des nations], une organisation créée par l’avocat israélien Danny Seidemann, fait le même travail. “Jérusalem, avec ses 470 000 Juifs et ses 230 000 Arabes, est une ville partagée entre les Palestiniens et les Israéliens”, explique l’un de ses guides, Sarah Kreimer. Ce que contestent les politiques en Israël, pour qui la ville reste la capitale “éternelle et indivisible” de l’Etat juif. Ir Amim a organisé des dizaines de visites, proposant une inspection de visu de la clotûre de sécurité aux Juifs d’Israël et de l’étranger, ainsi qu’aux diplomates et aux politiques. “Il s’opère un changement visible chez les Israéliens qu’on emmène, rapporte Mme Kreimer. On peut voir une lueur dans leurs yeux.” Pour autant, toutes les visites ne sont pas critiques à l’endroit des politiques menées par Israël. Le Centre juridique israélien, qui apporte une assistance juridique aux victimes du terrorisme palestinien, conduit des “missions” d’une semaine qui plongent les clients, moyennant finances, dans la “réalité sur la sécurité” d’Israël. “Nous sommes pour Israël, et nous voulons montrer aux gens la réalité sans fard”, martèle le directeur du centre, Avi Leitner. “Nous leur faisons voir le passage aux points de contrôle et aux barrages militaires, et nous ne présentons pas d’excuses. Nos clients s’amusent beaucoup.” Mais, lorsque Briser le silence a emmené des Israéliens chez Hossam Al-Azzeh, à Hébron, rares sont ceux qui se sont amusés. Le Palestinien montre systématiquement à ses visiteurs un film où l’on peut voir des colons juifs s’attaquer à des écolières palestiniennes à coups de pierres, sous le regard impassible des soldats. “Beaucoup d’Israéliens sont choqués, rapporte-t-il. Certains ont les larmes aux yeux.”
Harry de Quetteville The Daily Telegraph |