Le transfert silencieux à Jérusalem-Est
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www.france-palestine.org/article4558.html
Israël va bientôt mettre en application un plan à long terme pour transformer la structure démographique de Jérusalem-Est annexé. La politique destinée à retirer les autorisations de résidence aux Jérusalémites palestiniens et à judaïser la ville a été qualifiée de nettoyage ethnique. Pour voir les cartes http://www.passia.org/images/pal_facts_MAPS/WallWeb/index.htm Après sa victoire dans la guerre des Six Jours en 1967, Israël a annexé Jérusalem-Est - la partie de la ville qui était sous juridiction jordanienne depuis la fin du Mandat Britannique en 1948 - ainsi que 64 kilomètres carrés qui faisaient partie de la Cisjordanie. Jérusalem -Est devenue ainsi la plus grande ville d’Israël et a été déclarée "sa capitale unifiée et éternelle". La communauté internationale, menée par l’ONU, a dénoncé sans interruption cet acte d’annexion unilatérale, en affirmant qu’il s’agissait d’une violation du principe fondamental contenu dans le droit international qui interdit l’acquisition d’un territoire par la force. La communauté internationale a constamment considéré Jérusalem Est comme étant un territoire occupé, à l’image de la Cisjordanie et de Gaza. Leur soutien à la revendication des Palestiniens au sujet de Jérusalem Est était conforté par le fait qu’au moment de l’occupation, les Palestiniens représentaient la majorité de résidants dans ce secteur de la ville. Israël s’est engagé dans une bataille démographique pour assurer une souveraineté israélienne sur l’ensemble de la ville. Pendant près de quatre décennies, les gouvernements successifs ont mis en oeuvre des politiques conçues pour transformer la structure de la population de la ville et pour assurer une supériorité numérique des Juifs. Jusqu’à la construction du Mur dans et autour de Jérusalem-Est, ces objectifs ont été poursuivis par une série de règlementations discriminatoires destinées à réduire la population palestinienne en leur rendant la vie de plus en plus insupportable et en encourageant la croissance des colonies israéliennes dans les secteurs palestiniens. Aujourd’hui, les près de 230.000 Jérusalemites Palestiniens représentent environ 30% de la population totale de Jérusalem. Dans le cadre du plan post-1967 conçu par les commandants de l’armée israélienne, les secteurs palestiniens fortement peuplés n’ont pas été inclus, mais la terre appartenant à plusieurs villages palestiniens a été incorporée à Jérusalem Ceux qui sont restés à l’extérieur des nouvelles frontières municipales, ou qui se sont retrouvés à l’extérieur de Jérusalem en 1967, sont restés des habitants de la Cisjordanie et donc, en tant que tels, sous juridiction de l’armée. Le gouvernement israélien a effectué un recensement de la population palestinienne vivant dans les nouvelles limites administratives de la ville et a accordé le statut de résidence permanente aux habitants Palestiniens des secteurs annexés. Ils ont été autorisés à devenir des citoyens israéliens à condition qu’ils acceptent de promettre allégeance à l’état d’Israël. Le refus massif de reconnaître la souveraineté israélienne sur la partie occupée de Jérusalem a eu comme conséquence que seuls 2,3% des Jérusalemites palestiniens sont devenus des citoyens israéliens. Les autres sont devenus des résidants permanents d’Israël sujets à la loi et à la juridiction israéliennes, tout comme les étrangers qui s’installent volontairement en Israël. Le statut de résidant permanent à Jérusalem est très différent de la citoyenneté. Les résidants permanents en Israël sont autorisés à habiter et à travailler en Israël sans autorisations spéciales, à percevoir les prestations sociales de l’Institut de l’Assurance Nationale et à voter aux élections locales. La résidence permanente n’est pas accordée automatiquement aux enfants ou aux conjoints des détenteurs de ce statut de résidant, cependant, et les résidants permanents, à la différence des citoyens israéliens, ne jouissent pas du droit de revenir en Israël à tout moment. Entre 1967 et 1994, Israël a confisqué 24,8 kilomètres carrés de terres à Jérusalem-Est, dont 80% appartiennent à des Palestiniens. L’expropriation de terre continue. Aujourd’hui, seuls 7% de la surface de Jérusalem-Est sont disponibles pour les Palestiniens. La terre confisquée a été, la plupart du temps, utilisée pour la construction des colonies juives et des routes de contournement pour les colons, en violation de la loi humanitaire internationale interdisant à une puissance occupante de transférer une partie de sa propre population dans le territoire qu’elle occupe. La municipalité de Jérusalem a utilisé, avec beaucoup d’opportunisme, des restrictions au découpage en zones pour établir "des espaces verts", soi-disant mis de côté pour des objectifs environnementaux et pour des parcs de loisirs, mais en fait, elle a déployé une stratégie afin de retirer aux Palestiniens l’utilisation de la terre et créer une réserve destinée au logement des Juifs. Le Programme d’Aménagement de la Ville (PAV), un autre instrument important dans le "transfert silencieux", limite les permis de construire aux secteurs déjà construits, les seuls secteurs disponibles pour l’usage des Palestiniens. Le PAV a été utilisé pour limiter le développement des quartiers palestiniens. Les Palestiniens ne sont autorisés à construire que des bâtiments de un ou deux-étages tandis que les logements israéliens voisins peuvent avoir jusqu’à huit étages. Les Palestiniens doivent passer par un processus administratif long et complexe pour obtenir un permis de construire. Ils coûtent environ 25.000 dollars - un obstacle considérable alors que les revenus des Palestiniens sont largement inférieurs à ceux des Israéliens. Les Palestiniens obtiennent un nombre très petit et disproportionné de permis de construire émis chaque année par la municipalité de Jérusalem. Seules 7.5% des maisons construites légalement pendant la période entre 1990 et 1997 appartiennent à des Palestiniens. Centre de vie En 1995, le Ministère de l’Intérieur israélien a présenté une nouvelle règlementation exigeant aux résidants palestiniens de prouver qu’ils avaient vécu et travaillé sans interruption à Jérusalem au cours des sept dernières années. Le niveau des preuves demandées est tellement rigoureux que même les personnes qui n’ont jamais quitté Jérusalem ont eu des difficultés à y répondre. Les Palestiniens qui ne peuvent pas prouver que leur "centre de vie" est Jérusalem risquent de se faire retirer leur statut de résidence et leurs demandes de réunification des familles et les enregistrements des enfants seront rejetés. Le nombre de cartes de résidence à Jérusalem confisquées après la promulgation de la politique de "centre de vie" a augmenté de plus de 600%. Les banlieues sur les périphéries de Jérusalem, où de nombreux habitants de Jérusalem-Est s’étaient déplacées en raison des politiques discriminatoires précédentes, ont été déclarées comme étant à l’extérieur de Jérusalem, retirant ainsi le droit de résidence à plus de 50.000 personnes. Afin de défendre leurs revendications de résidence et les droits sociaux qui vont avec, environ 20.000 Palestiniens sont retournés vivre à l’intérieur des frontières municipales de Jérusalem. La politique israélienne du "centre de vie" affecte sérieusement le droit des Palestiniens à la santé et aux prestations sociales, à la réunification des familles, à l’enregistrement des enfants et à l’adhésion au programme d’Assurance Nationale Israélienne. Le "centre de vie" est réexaminé à chaque renouvellement annuel des permis de séjours des conjoints. Des milliers d’enfants palestiniens nés à Jérusalem de parents qui ne possèdent pas tous les deux des papiers d’identité de Jérusalem se sont vus refuser leur enregistrement et ne peuvent pas user de leurs droits fondamentaux, y compris de leur droit à l’éducation. Tandis que la politique du "centre de vie" avait été officiellement interrompue, le soulèvement de l’Intifada Al Aqsa en septembre 2000 a mené à sa réactivation. Depuis mai 2002, Israël a refusé d’accepter les demandes de réunification des familles et a refusé d’enregistrer les enfants des résidants permanents qui sont nés dans les Territoires Palestiniens Occupés. Le Mur consolide les objectifs de la politique du "centre de vie". Il isole non seulement Jérusalem-Est de la Cisjordanie et l’incorpore réellement à Israël mais sépare également les secteurs palestiniens de Jérusalem-Est. (Voir le Mur à Al-Ram et Qalandia) Le Mur est érigé à l’ouest des secteurs qui faisaient précédemment partie de la municipalité de Jérusalem (le camp de réfugiés de Shu’afat et l’ouest d’Anata représentant une population de 55.000 personnes), dont la plupart des habitants détiennent des identifications de Jérusalem. Il sépare également des secteurs de Jérusalem qui dépendent entièrement de la ville pour leur survie et les 50.000 résidants permanents palestiniens sont forcés de déménager en raison du régime discriminatoire des impôts et des restrictions aux permis de construire imposées par les autorités israéliennes. Les Palestiniens détenant des autorisations israéliennes de résidence permanente qui se trouvent maintenant du côté Cisjordanien du Mur, en particulier ceux qui vivent en dehors des frontières de Jérusalem, perdront leur statut de résidence dans le cadre de la politique du "centre de vie". Le mur empêche beaucoup de gens d’accéder à leurs lieux de travail et aux services de base installés à l’intérieur de Jérusalem, ce qu’ils doivent faire pour maintenir le statut israélien de résidence. Les membres de familles qui ne possèdent pas des cartes de résidence permanente ne pourront plus maintenant contourner les règlementations israéliennes concernant la résidence et leurs conjoints détenteurs d’identification israélienne devront choisir entre vivre de l’autre côté du mur ou perdre leur travail et leur droit de résidence à Jérusalem. Selon le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la situation des droits de l’homme dans les Territoires Occupés : "Israël espère réduire encore plus la population palestinienne de Jérusalem-Est en contraignant les conjoints à se déplacer du côté Cisjordanien du Mur". La crise du logement et le niveau de surpeuplement des secteurs palestiniens sont tels que les Palestiniens ont été forcés de quitter les frontières municipales de la ville ou ont été obligés de construire des maisons en violation des lois israéliennes. En les construisant illégalement, ils s’exposent à de fortes amendes et à la menace de la démolition de leur maison. Ces dernières années, le nombre de maisons démolies par manque de permis de construire a augmenté sensiblement Selon l’organisation des droits de l’homme israélienne, B’tselem, entre 1999 et 2003, à Jérusalem-Est, 229 maisons et autres structures ont été démolies alors qu’en 2004 et 2005 seulement, 198 maisons étaient démolies, déplaçant 594 personnes. Cette accélération coïncide avec de nouvelles expropriations de terre et des projets de développement pour de nouvelles colonies juives au coeur des quartiers palestiniens comme à Ras-Al-amud ou sur le Mont des Oliviers. La construction du Mur le long et à l’intérieur des frontières municipales de Jérusalem empêchera définitivement le retour des Palestiniens expulsés de Jérusalem par des confiscations de terre, des démolitions de maison ou par la pression des groupes de colons extrémistes. Ils perdront leurs droits de résider de façon permanente à Jérusalem dans le cadre de la politique du "centre de vie" et ne pourront plus entrer dans la ville sans autorisations spéciales. Les propriétés qu’ils ont abandonnées à Jérusalem risquent d’être saisies en vertu de la loi israélienne sur les Biens des Absents. Ce Mur, haut de 8 mètres a donné à Israël un prétexte pour atteindre des objectifs établis depuis longtemps sous l’apparence de la sécurité. Jérusalem est au coeur de tous les antagonismes au Moyen-Orient. Le silence de la communauté internationale et l’absence de déclarations contre la stratégie israélienne du transfert sont susceptibles d’avoir des conséquences irréversibles et de détruire les perspectives de paix régionales. Le transfert des Palestiniens sera bientôt une réalité incontestée mais ne devrait pas rester "SILENCIEUX".
Source : http://electronicintifada.net/ Traduction : MG pour ISM * Elodie Guego, une avocate spécialisée dans les droits de l’homme, a travaillé comme volontaire dans les Territoires Occupés Palestiniens en 2005 et est actuellement l’analyste auxiliaire de pays à l’Observatoire des déplacements internes du Conseil Norvégien des Réfugiés à Genève. Cet article a été à l’origine publié dans l’édition d’août 2006 de la revue Migrations Forcées, qui s’intitule : "Déplacement des Palestiniens : Un cas à part ?", et est repris avec leur permission. La Revue des migrations forcées est la version francophone de la revue Forced Migration Review éditée en anglais et traduite en français, espagnol et arabe par le Centre d’études sur les réfugiés à l’Université d’Oxford. La Revue des migrations forcées fournit à la communauté humanitaire un forum pour débattre des problèmes que rencontrent les réfugiés et les déplacés de l’intérieur avec pour objectif d’améliorer les politiques et les pratiques de terrain mais aussi de promouvoir l’implication des personnes déplacées dans l’élaboration et l’implémentation de ces programmes. |