Alors que la société palestinienne n’en finit plus de sombrer
politiquement et économiquement, Sam Bahour, un citoyen
américain d’origine palestinienne, est de ceux qui entreprennent
et construisent. En 2003, c’est avec une grande fierté qu’il
inaugurait, en tant que directeur général, le Plaza Shopping
Center de Ramallah, premier édifice du genre dans les
territoires palestiniens. À l’époque, il avait accroché dans son
bureau un petit panneau sur lequel était inscrit : « Construis
pour l’éternité, sois prêt à partir en 24 heures ».
Toute sa vie durant, il s’est concentré sur la première partie
de cette devise. Aujourd’hui, Sam Bahour, 43 ans, pourrait avoir
à subir la deuxième partie de cette phrase.
À l’origine de cette situation, une nouvelle politique
israélienne visant à empêcher les étrangers et les membres de la
diaspora palestinienne d’entrer dans les Territoires. Selon
l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem,
l’État hébreu a rejeté, depuis l’an 2000, 120 000 demandes de
regroupement familial présentées par des Palestiniens mariés à
des étrangers. Généralement, les époux non dotés de la
nationalité palestinienne pouvaient entrer avec un visa de
tourisme renouvelé régulièrement. Toutefois, depuis mars
dernier, selon B’Tselem et le Ipcri (Israel/Palestine Center for
Research and Information), Israël refuse systématiquement le
renouvellement de ces visas. Pour le plus grand malheur de Sam
Bahour.
« L’occupant israélien a décrété que j’ai vécu assez longtemps
avec ma femme et mes deux filles », explique-il, interrogé par
mail. « Après m’avoir donné un visa d’un mois pour entrer dans
les territoires palestiniens à partir de la frontière
israélienne, les Israéliens ont rejeté ma demande de
prolongation de trois mois de ce visa. À la place, ils m’ont
donné une prolongation d’un mois sur laquelle est inscrit, en
arabe, en hébreu et en anglais “Dernier permis”. »
Sam Bahour est né aux États-unis. Il y a quelques années, il
s’est marié avec une Palestinienne qui lui a donné deux filles,
Areen, 12 ans, et Nadine, 6 ans. Depuis 13 ans, il entre des
territoires palestiniens et en sort afin de renouveler le visa
qui lui permet de vivre, 10 mois sur 12, avec sa famille et de
poursuivre son travail à Ramallah.
Face au refus israélien de prolonger de trois mois son visa, il
pourrait envisager de sortir d’Israël et de reformuler une
demande de visa, comme d’habitude. « Israël a refusé à des
milliers d’étrangers d’origine palestinienne mais non dotés de
cartes d’identité palestiniennes, le droit d’entrée dans les
Territoires ces derniers mois », explique toutefois cet homme
qui a présenté en 1994 une demande de regroupement familial,
systématiquement rejetée.
Sam Bahour n’est qu’un cas parmi d’autres. Dans les colonnes du
quotidien israélien Haaretz, Amira Hass relatait la semaine
dernière l’histoire de Enayeh Samara, née en 1950 en
Cisjordanie. En 1967, deux mois avant le début de la guerre des
Six-Jours, Enayeh s’est rendue aux États-Unis. Après avoir
occupé la bande de Gaza et la Cisjordanie, Israël a procédé à un
recensement de la population palestinienne duquel étaient exclus
tous ceux qui n’étaient pas présents physiquement dans les
Territoires. « Comme des milliers de Palestiniens, Enayeh a
alors perdu son statut de résidente palestinienne », explique
Amira Hass. Il y a 30 ans, lors d’un voyage dans les territoires
palestiniens, Enayeh a rencontré Adel et s’est marié avec lui.
Ils ont eu deux enfants. Trente ans durant, Enayeh a vécu avec
sa famille sur un visa touristique, entrant et sortant des
Territoires avant que le visa israélien apposé sur son passeport
américain n’expire. Le 26 mai dernier, les autorités
israéliennes ont toutefois refusé de la laisser entrer par le
terminal de Cheikh Hussein. Deux jours plus tard, elle essuyait
un nouveau refus au pont Allenby. En désespoir de cause,
Enayeh est retournée aux États-unis, à des milliers de
kilomètres de sa famille.
Selon le Jerusalem Post, citant des sources diplomatiques
américaines, une douzaine de citoyens américains sont empêchés
chaque jour d’entrer en Israël.
Pour Sam Bahour, la stratégie israélienne est claire : pousser
les Palestiniens à l’exil en empêchant la réunion des familles.
Avec, en résultat final, « une terre sans peuple pour un peuple
sans terre ». Sur le plan économique, cette politique est
également perverse. « J’étais sur le point de lancer un nouveau
projet dans le domaine des médias. Aujourd’hui, je dois revoir
mon planning », explique M. Bahour. Lors d’une conférence
organisée par le Ipcri, Zahi Khouri, un entrepreneur de la
diaspora palestinienne, soulignait également que cette politique
va poser un problème aux hommes d’affaires qui vont désormais
hésiter à voyager par peur de ne plus pouvoir revenir.
Sabine Haddad, porte-parole du ministère israélien de
l’Intérieur, citée par le Jerusalem Post, a démenti qu’Israël
ait mis en vigueur une nouvelle politique. « Haddad a expliqué
que les demandeurs n’auraient pas de problème pour obtenir un
permis si la demande était présentée à l’avance, mais le Ipcri
et B’Tselem ont confirmé que ce permis était devenu quasiment
impossible à obtenir », lit-on dans le quotidien israélien.
Face à cette situation, Sam Bahour est entré en campagne et dit
espérer qu’Israël et les États-Unis mettront rapidement fin « à
cette politique stupide ». « Mais ma famille et surtout ma
petite fille de 12 ans vivent très mal cette situation. Le 1er
octobre (date à laquelle son visa expire) tombe en plein milieu
du ramadan, un moment où être en famille est très important. »
Que compte-t-il faire pour que le cauchemar ne devienne pas
réalité ? « Franchir chaque obstacle dès qu’il se présente
devant moi. »
Émilie SUEUR