Diviser pour mieux régner Michel Warschawski Publié
le 18 novembre 2006 par LCR
et
Le grand soir.info
Les attaques israéliennes contre la population palestinienne de la bande de Gaza se sont multipliées. Israël cherche à déclencher une guerre civile en Palestine.
Aux portes de Gaza, samedi 11 novembre. Gaza, ce gigantesque camp de concentration, Gaza, à la densité la plus grande du monde, où les victimes que l’on dit collatérales sont inévitables, donc programmées, Gaza, cible trop facile pour les massacreurs de l’artillerie israélienne, Gaza la martyre : 200 Israéliens et une douzaine de militants palestiniens de Jérusalem-Est sont venus manifester, ce jour-là, leur honte et leur rage. Depuis juillet, on a cessé de compter les morts, victimes des bombardements, des tirs de barrage, des incursions et des assassinats ciblés. Jusqu’à ce que, dans la ville de Beit Hanoun, vingt personnes d’une même famille soient tuées dans leur sommeil par une roquette de l’artillerie israélienne lancée - par erreur évidemment - sur un bâtiment situé en plein cœur d’un quartier populaire. Arrêtons au moins l’hypocrisie : quand on bombarde avec des milliers d’obus et de roquettes un quartier populaire où vivent des dizaines de milliers de personnes, on sait que l’on va commettre un massacre. Les excuses du ministre de la Défense, Amir Peretz (Parti travailliste), et les explications gênées du Premier ministre, Ehud Olmert (Kadima, parti fondé par Ariel Sharon), insultent les victimes. Quant à l’Union européenne, la stupéfaction de ses porte-parole est une gifle pour chaque Palestinien. Reconnaissons à George W. Bush qu’en usant de son veto à la déclaration du Conseil de sécurité de l’ONU condamnant ce massacre, il faisait état de moins de tartuferie que ses collègues européens : on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs et, dans la lutte de survie de la civilisation judéo-chrétienne contre le terrorisme (musulman), on ne peut pas prendre de gants. À la guerre comme à la guerre... Après la guerre de cet été, au Liban, on est aujourd’hui en droit de se poser des questions de fond sur ce qu’on ne peut qu’appeler une politique de massacre. D’autant qu’elle se conjugue avec une politique similaire des États-Unis en Irak. Plan génocidaire ? Certains, que la rage - légitime - aveugle, l’évoquent. Mais ni les États-Unis ni Israël ne pensent éradiquer l’existence de ceux qu’ils appellent des « peuples terroristes ». Même s’ils multipliaient par dix le nombre de leurs victimes quotidiennes, il leur faudrait plus d’un demi-siècle pour parvenir à leurs fins, et ceci uniquement concernant les résidents palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Provoquer un exode de masse ? S’il ne fait pas de doute que le « transfert » est un fantasme profondément ancré dans l’inconscient de la grande majorité des sionistes, rien n’indique que le terrorisme d’État d’Israël soit en mesure de provoquer un tel exode. Le fait est que le rapport démographique entre Israéliens juifs et Palestiniens continue, systématiquement, être déséquilibré en faveur de ces derniers. En fait, à travers ces massacres, les dirigeants israéliens recherchent la destruction de la Palestine en tant que nation - ce que le sociologue israélien Baruch Kimerling appelle un « politicide » et son homologue palestinien, Salah Abdel Jawad, un « sociocide ». Tout comme les néoconservateurs américains ont mené la guerre en Irak avec la volonté de détruire l’État irakien, en transformant cet État arabe en un ensemble d’entités ethniques. C’est pourquoi, il est indispensable, dans cette stratégie, de fomenter des guerres civiles, ethniques si possible. En Palestine, les tentatives d’opposer la minorité chrétienne aux musulmans ont fait long feu, et ce depuis les premiers jours de l’occupation israélienne : la force du sentiment national a réduit à néant ce rêve sioniste, vieux comme le colonialisme lui-même. C’est donc une guerre civile politique que les stratèges israéliens et américains ont essayé de fomenter, en posant à Yasser Arafat l’éradication du terrorisme comme l’une des exigences du processus d’Oslo. Mais, rapidement, et une fois les réseaux neutralisés, l’exigence s’est transformée en « éradication de l’infrastructure terroriste », autre façon de dire que l’Autorité palestinienne devait écraser le mouvement Hamas. Sur cette question, plus encore que sur d’autres, Yasser Arafat a été intransigeant, répétant à qui voulait l’entendre que la Palestine ne serait pas l’Algérie, et qu’il ne fomenterait pas une guerre civile entre « islamistes » et « laïques ». Unité nationale La neutralisation de Yasser Arafat, à partir de 2001, a été le résultat de ce refus de fomenter une guerre civile interpalestinienne. Pour sa part, la société palestinienne a répondu à ce chantage en donnant au Hamas une majorité au Conseil législatif. Face à cette provocation, les Israéliens et les Américains, mais aussi les Européens, ont répondu en imposant un blocus criminel contre le peuple palestinien, tout en laissant entendre que, si le président Abbas mettait à bas le gouvernement élu, les sanctions pouvaient être levées. En arrière-plan, se dessine l’espoir de voir une partie de la société palestinienne, menée par l’aile droite du Fatah, se soulever contre le gouvernement légitime, et provoquer ainsi la guerre civile. L’atomisation de l’espace palestinien, résultat de la politique de bouclage dont le mur n’est que l’élément le plus visible, la misère imposée par le blocus, le vol par Israël de sommes immenses qui appartiennent à l’Autorité palestinienne, et le refus de certains cadres du Fatah d’accepter le choix populaire créent une situation extrêmement instable et lourde de conflits internes de plus en plus graves. À Gaza, il y a déjà eu plusieurs morts dus à des conflits qui sont tout autant des conflits claniques que des conflits interfractionnels. Si l’unité nationale reste un facteur déterminant dans la politique palestinienne et dans le sentiment populaire, et si la haine de l’occupant reste plus forte que les conflits internes, il y a néanmoins lieu de craindre qu’à moyen terme, la situation ne dégénère. L’Irak est là pour nous le rappeler. De Jérusalem, Michel Warschawski |