Photos de Genevi-ève pendant son séjour :
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Bernard et Annie A., Cécile, Bernadette, Hélène et André B., Madeleine, (tous membres d'une paroisse de Marcq-en-Barœul, jumelée avec une paroisse chrétienne de Ramallah), Claudine L. et Genevi-ève (moi-même), pièces rapportées.
Vendredi 2 mars,
Vol sans problème (Air France), un vent favorable nous permet d'arriver un peu en avance malgré un départ retardé. Sortie de l'aéroport Ben Gourion normale et donc rapide. Nous sommes attendus par un minibus envoyé par la Maison d'Abraham, notre gîte, sur une colline de Jérusalem, en bordure du Mont des Oliviers, près d' Abou Dis. Arrivée à deux heures du matin, nous avons une belle vue sur la vieille ville éclairée de Jérusalem, le dôme du Rocher, les remparts de Suleyman le Magnifique (XVI°). La maison d'Abraham (deir Ibrahim) est loin d'être spartiate, érigée en belle pierre de taille au début du XX° siècle. Elle fut d'abord un séminaire puis un hôtel avant de devenir une maison du Secours Catholique, à la suite de la rencontre du pape Paul VI en janvier 1964, avec le patriarche de Constantinople. Le pape souhaitait une maison pour accueillir les pèlerins du monde arabe (Liban, Syrie, Jordanie, Egypte), comme à Rome. Après 1967, la vocation de la maison a changé, ce ne sont plus seulement des pèlerins qui sont accueillis mais des militants, des groupes de personnes en difficulté et aussi des Palestiniens, des musulmans du quartier, des enfants des territoires occupés en camps d'été, même si cela est difficile à organiser. A l'accueil ordinaire s'ajoute une dimension plus « politique » : création de liens entre femmes israéliennes et palestiniennes (« sisters for peace »), contacts avec des rabbins, des refuzniks, volonté de donner une image positive de l'islam. Michel Warschawski, qui chante dans une chorale avec M. Sullivan, le prêtre irlandais dirigeant cette maison, sera là dans quelques jours. La maison se veut ouverte au monde, Abraham n'est-il pas la référence commune des trois religions monothéistes !
Samedi 3 mars,
Après une toute petite nuit dans des chambres confortables, nous découvrons un beau soleil qui baigne Jérusalem, à nos pieds, d'une lumière douce et paisible. Comment imaginer la violence de l'occupation, de l'annexion de Jérusalem-est ? Catherine D. (Médecins du Monde) arrive de Naplouse, encore bouleversée par la violence de l'incursion israélienne de ces derniers jours. Visite au patriarcat latin, près de la Porte neuve du vieux Jérusalem. Nous avons une audience avec Michel Sabbah, le patriarche qui ne mâche pas ses mots quant à la situation faite aux Palestiniens : « le pain quotidien est difficile... la violence est localisée, c'est calme ici, ce ne l'est pas là... rien ne change, rien n'avance, rien ne se fait, aucune volonté politique, le Président palestinien a tout donné et on le fait plonger dans une position de faiblesse qui le fait refuser par son peuple... une nouvelle mathématique veut que 4 est beaucoup plus que 10 000 ( référence aux quatre soldats israéliens capturés par le Hezbollah, au Liban et prétexte à la guerre déclenchée par Israël et aux 10 000 prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes)... quand il n'y aura plus personne pour demander ses droits, peut-être alors y aura-t-il la paix... Tant qu'il y a injustice, il y a violence... ceux qui doivent mourir meurent, ceux qui sont en prison sont en prison, la vie continue, les messes sont pleines, tout le monde prie, nous continuons à croire en Dieu, nous entrons dans son mystère, il est le maître... nous recevons beaucoup de groupes (des évêques allemands, le cardinal de Washington...), c'est un signe d'espoir et de réconfort, il faut maintenir l'espérance dans le cœur des gens, la vie consiste dans l'espérance dans le fait de savoir que nous ne sommes pas isolés... » Nous quittons Jérusalem pour Ramallah, en taxi collectif, par les bons soins de Laurent R.. Nous ne rencontrons pas de check point mais nous logeons le mur, à Kalandia. A Ramallah, nous sommes accueillis par le vicaire Elias, natif de Jérusalem. Il parle français, anglais, arabe, hébreu et araméen (syriaque) et sera en poste en Jordanie, dans quelques semaines. Il nous informe de l'absence d'ordination cette année, sans doute l'année prochaine aussi. Le petit séminaire compte soixante-dix jeunes, quelques uns deviendront prêtres. Les orthodoxes se partagent, voire se disputent, entre russes et grecs. Certains venant de Russie se sont dits juifs alors qu'en fait ils sont chrétiens mais Israël ne voit pas d'un bon œil qu'ils deviennent chrétiens orthodoxes, ils sont très nombreux. Abouna Aktam, le prêtre de la paroisse, arrive. Je le reconnais, il est venu à Lille (à l'ISEN) l'année dernière. C'est un jordanien, originaire du village chrétien de Smakié, au sud d'Amman. En fait, il descend d'une tribu d'Arabie, chrétienne depuis le premier siècle et chassée par l'Islam au VII°. Jusqu'au XIX°, la tribu de bédouins a vécu dans le désert, sans prêtre puis a acheté les ruines du petit village de Smakié. Aujourd'hui, ils sont huit mille membres descendants de cette famille chrétienne qui a donné de nombreux prêtres et religieux. Aktam est arrivé au séminaire de Bethlehem en 1981, il a été ordonné prêtre en Jordanie. Il dirige l'école paroissiale qui accueille 510 élèves, de la maternelle au baccalauréat, 60% de chrétiens, 40% de musulmans, 15% de professeurs musulmans. Les élèves assistent aux cours de leur religion. La situation financière de l'école est difficile, toujours en déficit, comblé par le Patriarcat, c'est ce qui amène à ouvrir l'école aux non chrétiens et ce qui ne va pas sans discussion, voire contestation. A Ramallah, il y a 48 écoles privées dont sept chrétiennes, y compris les Quakers. Les meilleurs élèves ont la possibilité, s'ils en ont les moyens ou s'ils obtiennent des aides, du Patriarcat par exemple, de poursuivre leurs études à l'Université, éventuellement à l'étranger. Abouna Aktam évoque la question de la mobilité des personnes dans la prison qu'est devenue la Palestine : pour aller à Naplouse, distante de 40 kms, il fallait 45 minutes, maintenant une journée entière pour franchir les deux checks-points « de luxe », « c'est de la folie, nous sommes traités comme des animaux, nous devons passer à pied, nous déshabiller ... ». Jénine est interdit d'accès aux voitures palestiniennes, Aktam a voulu passer « si tu ne retournes pas, je mets la grenade dans la voiture »- « mets-là », ne pas montrer sa peur, y compris quand les chiens entourent la voiture... Aktam peut résister, il est jordanien, les Palestiniens, eux, doivent subir. Les Israéliens ont inventé un jeu, le « Bingo » : tu choisis ta punition, pour pouvoir passer ! Nous rencontrons Nasser Hamdan, originaire de Naplouse, et Bayen Yacine, jeunes enseignants de français à l'école El Nadja (« le succès »), non confessionnelle. Nasser est l’aîné d'une famille de neuf enfants dont la mère est en prison à Asharon depuis quatre ans. Son plus jeune fils avait deux ans quand elle a été emmenée puis condamnée à huit ans de réclusion, accusée d'avoir protégé un cousin. Les soldats cherchaient celui-ci, faute de le trouver, ils se sont rabattus sur la cousine, mère de famille nombreuse. Nasser a pu voir sa mère pour la première fois trois ans après son arrestation. La visite à la prison est très éprouvante, épuisante, il faut se lever à quatre heures du matin, revenir à 23 heures, les enfants pleurent, ne veulent plus y aller. A la prison, il faut descendre trois étages pour voir les prisonniers, à travers une vitre, pendant quarante-cinq minutes, la communication se fait par téléphone. Nasser n'a droit qu'à deux visites par an. Ses parents sont des réfugiés, expulsés de Jaffa. Bayen fait partie d'une fratrie de six enfants, il n'y a pas de prisonniers dans sa famille « mais il y a des projets » rigole Aktam ! Nasser et Bayen souhaiteraient obtenir une bourse pour poursuivre leurs études en France, Bayen voudrait se spécialiser dans la traduction. Concernant les voyages à l'extérieur du pays, les étrangers d'origine palestinienne n'ont plus droit qu'à une seule visite annuelle, ceux possédant une double nationalité ne sont considérés que comme palestiniens et subissent les mêmes entraves à leurs déplacements. Pour sortir, l'aéroport de Tel-Aviv est interdit, il faut passer par la Jordanie et cela coûte plus cher. Nous prenons un repas copieux dans la maison de la paroisse et Claudine et moi partons en ballade en ville où il y a beaucoup de monde, c'est samedi. Pubs en veux-tu en voilà et embouteillages. A 17 heures, messe célébrée par Abouna Aktam et son vicaire. Six gamines sont enfants de chœur, l'église est très remplie, il y a même deux pépés aux keffiehs traditionnels sur la tête. De nombreuses arrivées assez tardives, mon voisin consulte son téléphone, où ne va donc pas se cacher l'addiction ! A la sortie, les fidèles sont invités à boire le café à la cardamome et à manger de délicieux gâteaux, dans la maison de la paroisse. Nous sommes alors répartis dans les familles, Madeleine et moi accompagnons Nermine (15 ans) - filleule de la paroisse marcquoise - et son père Basim qui ne parle pas l'anglais. Ils habitent tout près et nous sommes accueillies par America (!), la maman. Nous croyons d'abord avoir mal compris mais c'est bien cela. Elle est palestinienne du Venezuela et son père a souhaité se souvenir de l'Amérique, elle raconte que ce prénom interpelle toujours, y compris aux check points ! Nous sommes reçues très chaleureusement, je ne sais pas encore qu'ils savent que je suis mécréante et qu'America s'est demandé « pourquoi chez elle » ! L'appartement est assez vaste, quatre pièces, ameublement occidental, une pièce -atelier de couture pour America qui dessine des modèles de vêtement et les réalise parfois, comme cette robe de mariée qui sera bientôt exposée dans un salon à Bethlehem. Basim est « intermittent » du bâtiment, il chôme souvent et le travail est très dur, il aimerait pouvoir travailler avec le matériel utilisé en Europe. Les ressources de la famille sont faibles, aléatoires, il est déjà arrivé que l'électricité soit coupée faute d'avoir été payée, la vie est très chère, davantage qu'ailleurs, est-ce parce que Ramallah est le siège de l'« autorité palestinienne », des ministères et administrations diverses se demande America . La famille comprend quatre enfants, Bachar, l'aîné est séminariste à Bethlehem, ensuite une jeune fille de 18 ans, étudiante en médecine en Italie (bourse du Patriarcat), puis Nermine et enfin Aïssa qui aura 12 ans dans quelques jours. Ils sont tous deux écoliers et travaillent très bien. Arrive Kafa, la meilleure amie de America, elle est infirmière pour l'UNRWA, dans un camp de réfugiés. Son mari, Sameer, ingénieur en électronique, nous rejoint avec deux de leurs quatre enfants, Georgette, belle fille de 17 ans qui veut être une « grande artiste » (peinture) et Majdi, de l'âge de Aïssa et son copain. L'aîné est séminariste, lui aussi. Repas copieux et délicieux bien sûr, agrémenté de vin de Palestine (Bethlehem), cela change du coca. Sameer prétend que le christianisme est une religion d'amour, au contraire de l'islam. Je désapprouve alors il nuance, à peine, « seule une minorité, 5% pratique un bon islam, les autres restent bornés sur une religion agressive ». La journée fut longue et très remplie, nous nous installons dans la chambre de Aïssa et Nermine qui tiendront compagnie à leurs parents. Il fait frisquet, nous apprécions les couvertures.
Dimanche 4 mars,
Soleil éclatant quand j'ouvre l'œil vers 6h30, nous traînons un peu avant un petit-déjeuner riche et varié : zaatar, huile d'olive, pain maison, beignets au zaatar, pain d'épices maison, omelette aux herbes, thé à volonté, fromage, concombre, confiture... Nermine et Aïssa iront passer la journée à Jérusalem avec les jeunes de la paroisse. Il n'y a pas de problème pour eux, pour passer les check points. America est allée à la messe de 7 heures pour pouvoir disposer de sa matinée afin de préparer le déjeuner mais aurons-nous faim, j'en doute... Grand-messe à 10 heures, l'église est pleine à craquer. Les retardataires, très nombreux, ne trouvent pas facilement à s'asseoir, une bonne sœur avec qui nous avons déjeuné hier, fait le service de placement, telle une ouvreuse de salle de spectacle. Aïssa et Majdi ont rejoint les filles-enfants de chœur (à moins que je ne les aie seulement pas vues, hier). Les chants sont très beaux. Au moment de l'offrande, un bébé est porté à bout de bras, par Abouna Aktam, vers le ciel, au-dessus de l'autel. En terre dite sainte, j'ai le sentiment d'assister à un rite originel chez des chrétiens très minoritaires et d'autant plus « communautaires ». Abouna Aktam signale notre présence, nous souhaite la bienvenue « dans votre deuxième paroisse, votre deuxième prison », c'est ce que j'ai compris... et pas compris et pour cause, il s'agissait de « deuxième maison », celle-ci étant devenue une prison, j'ai fait la traduction simultanée, mais qu'elle aurait été la première prison, je me suis perdue en conjectures ! A la sortie de la messe, les corbeilles qui étaient disposées dans le nartex sont remplies de dons en nature (farine, gâteaux...) et, devant la maison de la paroisse, sont vendues des pâtisseries au profit des nécessiteux. America est venue nous rejoindre, elle nous fait les honneurs de Ramallah, le centre et le vieux quartier chrétien. De vieilles maisons, surmontées de sculptures chrétiennes sont aujourd'hui habitées par des musulmans. Dans une sorte de friche, jouxtant la rue des restaurants, un panneau indique la construction prochaine d'une banque « arab islamic ». De retour à la maison, c'est l'heure du déjeuner. Basim n'est pas là, il travaille aujourd'hui. Il estime que sur le chantier de la paroisse, il aurait dû être engagé mais « les musulmans gardent le travail pour eux ». America raconte la vie difficile, comment elle a dû vendre son alliance quand Basim a été malade et que les soins quotidiens du kiné étaient si onéreux. Il n'y a pas d'assurance sociale, pas d'aide publique. Il faut travailler pour l'Autorité palestinienne ou des administrations pour avoir une couverture sociale. La belle-sœur de Basim est actuellement hospitalisée à Rammalah pour une grave opération du colon, c'est si cher qu'il a fallu demander de l'aide à la paroisse. Nous sommes invitées chez Rania qui habite dans le même escalier. Sa belle-sœur, présente, parle français, elle vit et travaille à Jérusalem, chez les sœurs de Saint Vincent de Paul qui recueillent des enfants en difficulté, abandonnés ou dont les parents sont en prison, et aussi des handicapés. La situation est très difficile pour tous ces malheureux. Venir de Jérusalem n'est pas facile, certes, mais « nous venons, la vie continue ». Son fils arrive, accompagné de sa jeune épouse de 18 ans qui est aussi sa cousine. Ils sont mariés depuis quelques semaines, la jeune mariée est une palestinienne de Mexico, elle apprend l'arabe avec son mari et sa tante-belle-mère, elle leur enseigne l'espagnol, échange de bons procédés ! Dimanche après-midi ordinaire, en famille, avec la télévision et un programme tunisien en toile de fond . Quand nous redescendons chez America, Basim est rentré, fourbu. Il est au téléphone... Et me passe le combiné (?). C'est son fils, Bachar qui me salue en un excellent français. Nous sommes invités ce soir chez Kafa, qui signifierait « enough », son père ne voulait plus d'enfants, explique Sameer, son mari, en rigolant. Georgette nous montre ses peintures à l'huile, elles sont intéressantes. Majdi rentre de Jérusalem, fatigué, il nous offre des cadeaux de la part de sa mère, une broderie au point de croix, encadrée et un petit bougeoir. Sameer n'a pas beaucoup de travail ces temps-ci, il dit qu'il pourrait être riche, avoir une belle maison mais il s'est toujours refusé à toucher des « commissions » (corruption). Il apprend que je suis athée et nous tombons d'accord que le monde « needs justice ». Il recommence avec sa théorie d'un islam agressif, il en veut pour preuve la diminution drastique du nombre de chrétiens en Palestine, c'est oublier que si 45 000 chrétiens ont disparu de Ramallah, cela date de… 1948 et les musulmans n'en sont pas responsables ! Mon anglais est opportunément trop hasardeux pour que je soutienne la polémique. Repas fin et copieux, bien sûr. America m'épluche une orange « choucrane, mamma ! » et me sert abondamment en fraises, peu parfumées. Kafa appréhende demain lundi, retour au travail, pour six jours de dur labeur. Beaucoup de femmes battues, des hommes ont deux, trois femmes, de très nombreux enfants, dans la pauvreté. Le planning familial fait ce qu'il peut, les médecins hommes sont souvent refusés pour les soins et c'est Kafa qui doit assumer. Nous abordons un sujet moins douloureux, la littérature arabe. Mahmoud Darwich est très aimé dans cette famille, Khalil Gibran aussi et des noms que je ne connais pas. Majdi montre un livre de français, de l'école, écrit par des Espagnols, semble-t-il. Comme au Maroc, je suis très sceptique, les textes font référence à un univers bien éloigné de ces enfants ; « où es-tu allé en vacance ? - en Hollande – wouah, c'est trop, la Hollande ! » et aussi « je suis resté sur la terrasse pour bronzer ». Pour signifier que les patronymes français tirent leur origine de noms de lieux, de caractères, des exemples sont proposés, photos à l'appui : Gérard Lenormand, Françoise Hardy... André Breton n'a pas droit à son portrait ! Exercice : décrire des personnages en photo, sans aucune référence : Sheila, Anne Franck, Karl Marx, j'ai oublié le quatrième, dommage ! Question : « au sujet des noms patronymiques, que s'est-il passé au XVI° ? », réponse : « ils ont été institués »... Je l'apprends ! Sameer, comme Basim, regrette que ses enfants lisent le français, le comprennent à peu près à l'écrit mais soient quasiment incapables de le parler, il leur faudrait de la pratique. Sameer nous montre les photocopies – il possède les originaux - des registres du cadastre de Jaffa, si je ne me trompe, où figure la maison familiale, de deux étages.
Lundi 5 mars,
Visite des écoles du patriarcat, nombreuses classes, cours de français, de sciences... Les classes sont mixtes, sauf à Saint-Joseph où les filles sont en uniforme. Les écoliers ont préparé des chants en français, dans une classe se répète un prochain spectacle relatif au Petit Prince. Un jeune garçon, qui sera le héros, joue de la guitare, une petite fille est au violon. Dans un atelier informatique, des gamines s'initient aux nouvelles technologies. Nous recevons, à la maison de la paroisse, la visite de Abouna Ibrahim, l'ancien curé de la paroisse, aujourd'hui en charge de Jénine, il a mis quatre heures pour venir, via les check points, « aujourd'hui, ça passe assez bien », et quatre heures aussi pour le retour, pour une heure avec nous ! « C'est très dur, les juifs (sic) sont très durs avec les palestiniens, cela n'a rien à voir avec Ramallah, Bethlehem ». Abouna Ibrahim rappelle qu'en 1948, 45 000 chrétiens de Ramallah sont partis, il en reste 3000 aujourd'hui soit 10% de la population mais la municipalité est chrétienne, par principe et par décision de Yasser Arafat. Il en est de même pour Bethlehem. L'équipe municipale a cependant besoin du soutien politique d'autres organisations, le Hamas, en l'occurrence, à Ramallah, où le maire est une femme. Nous ne pourrons la rencontrer, contrairement à ce qui avait été prévu, elle n'est pas disponible. Nous nous rendons à l'école de musique fondée par Ramzi Aburedwan, musicien du groupe Dalouna (à Lille, au Festival Palestine, en février 2005). Ramzi partage sa vie entre Angers et Ramallah, il nous reçoit aujourd'hui, nous parle des dix centres musicaux au travers de la Palestine, des 300 enfants et même un peu plus qui s'adonnent aux instruments, arrivés pour la plupart dans un conteneur venu de France. Il nous informe aussi q'une incursion israélienne a eu lieu cette nuit, juste derrière son école de musique, les Israéliens ont sommé la population de sortir des maisons pour les fouilles. En sortant, je découvre une affiche nouvelle, avec le portrait d'un jeune homme...y aurait-il eu un attentat ? Non, ce n'est « qu'un prisonnier », régulièrement l'un d'entre eux (ils sont 10 000 !) est rappelé au souvenir des passants. Et encore l'école de musique Yamaha où il fait froid (le chauffage coûte trop cher). Elle est ouverte depuis septembre 2006, école pour nantis dans quartier relativement chic, au voisinage de l'ambassade chinoise. Nous écoutons un jeune pianiste... Son frère, sa tante et son cousin ont été tués, il y a quelques semaines, dans l'explosion accidentelle de leur voiture à une station-service (normes de sécurité non respectées). De retour à la maison paroissiale, nous accueillons Abouna Youssef, [prêtre] de l’église melkite (uniate), venu de Naplouse, avec son frère aîné, aux responsabilités que je saisis mal, et... son fils Jubran, car cette église chrétienne permet le mariage (« ils ont bien de la chance » remarque Abouna Aktam !) Il a fallu franchir cinq check points et présenter six documents. « Les circonstances sont très très mauvaises, surtout dans le domaine de l'éducation des enfants mais aussi en matière sociale, économique et familiale, les relations ne sont plus comme avant... La dernière semaine a été un cauchemar, un homme de cinquante ans et son fils de dix ans ont été tués alors qu'ils cherchaient à manger pour la famille... 82% de la population de Naplouse est pauvre, 40% sont sous la ligne rouge. Naplouse était fameuse pour son économie, depuis six ans, l'industrie est sinistrée... à Noël, trois familles chrétiennes n'avaient absolument rien à la maison. Chrétiens (ils sont 650) et musulmans sont dans la même situation. Les prêtres ne sont plus là pour la prière mais pour la vie sociale... Quelquefois, nous avons honte, nous mendions pour des familles auprès de Caritas (Secours Catholique). Moktar, le frère aîné, prend la parole, nous souhaite la bienvenue et revient sur la situation de Naplouse où se trouvent cinq camps de réfugiés, 175 000 habitants dont près d'un tiers dans les camps. « A cause du siège, de l'enfermement, tout devient plus cher, il n'est pas possible de faire entrer ou sortir des marchandises librement, il faut un permis pour sortir légumes et attendre aux check points ... Jusqu'à ce que les produits soient périmés... De plus en plus nombreux sont ceux qui pensent à quitter la ville et même le pays... La vie des enfants est très difficile, ils ne connaissent que la maison et l'école... Pour un enfant palestinien, il est plus facile d'en rencontrer un autre à ... Lille qu'à l'intérieur de son propre pays ! Nous ne cherchons pas le soutien matériel mais moral, pour que nos enfants sortent de cette ambiance, de cette violence... Une petite fille de neuf ans a, un matin, dit à sa mère qu'elle « préférait la mort à cette vie, c'est la peur ici, ce n'est pas la vie comme ailleurs »... Nous n'oublions pas la France qui a soutenu et soigné Arafat, soutenant ainsi le peuple palestinien... La prochaine fois, à Naplouse, nos maisons, nos cœurs sont ouverts, cent fois bienvenue ! ». Abouna Youssef reprend « la violence, c'est le droit de la résistance, combien de temps encore rester sous occupation ? Celui qui perd l'espérance ne trouve devant lui que la mort... c'est un peuple qui commence à perdre l'espérance, ce sont des jeunes gens qui ne voient que le Mur, des check-points... Que faire...à Jénine, c'est une jeune femme avocate qui s'est faite kamikaze, son fiancé et son frère avaient été victimes d'Israël... La cause palestinienne est la cause du Moyen-Orient, la Palestine est une marionnette... ». Après la visite de Chirac, et sa manifestation de mauvaise humeur vis-à-vis d'Israël, restée dans toutes les mémoires, les écoles privées ont commencé à enseigner le français, il y a grand besoin de volontaires, comme professeurs et encadrant pour l'été. Avant de nous quitter, nous partageons une spécialité de Naplouse, apportée par Jubran, le fils du curé. C'est à base de crème de sésame, très sucré. Retour dans les familles, America commençait à trouver le temps long... Nous fêtons, en avance d'un jour et en notre honneur, l'anniversaire d'Aïssa (12 ans). Cela tombe bien, Madeleine a apporté une petite bouteille de champagne. Le repas est copieux, encore, c'est trop, vivement la diète ! Avant le gâteau d'anniversaire, des cadeaux... Pour nous. Il m'échoit une sorte de coupe volumineuse, kitch à souhait et flanquée de deux bougeoirs tout aussi étonnants. Va falloir trouver de la place dans le sac à dos. Madeleine donne une leçon de musique à Aïssa et Nermeen qui tousse toujours autant si ce n'est plus. Basim engage une longue conversation via America qui sert d'interprète, de l'arabe à l'anglais. Il se demande si les arabes, les musulmans sont vraiment idiots puisque la science, la technologie sont l'apanage des occidentaux, pourquoi cette suprématie ? En fait, il est seulement curieux de connaître ma position, il a son idée là-dessus et la convergence effective de nos points de vue le réjouit. America, quant à elle, avoue aimer être seule, lire, dessiner, ce qui plaît moins à Basim, elle pense qu'être mariée pour la vie n'est pas très bien, son mari est bon, ils s'entendent bien, certes, mais elle aspire à plus d'autonomie. Enfermée par l'occupation israélienne, enfermée par les conventions sociales...
Mardi 6 mars,
Le brouillard d'hier soir a disparu et il ne pleut pas finalement comme certains le prévoyaient. Petit-déjeuner avec America et Basim, adieux, nous rentrons à Jérusalem, en taxi collectif immatriculé en Israël, pas de problème de check point donc. Retour à la maison d'Abraham, comme un retour à la maison, tout simplement ! Nous avons tous hâte de faire un peu la diète et pourtant le déjeuner est assez copieux. Nous allons dans la vieille ville à pied, il faut descendre au pied du Mont des Oliviers, tout blanc de tombes juives, jusqu'au Cédron et remonter vers la Porte des Lions qui mène à Sainte-Anne-Bethesda qui appartient à la France depuis la fin de la guerre de Crimée (1854-1856). Les ottomans l'offrirent en remerciement de l'aide apportée et c'est là que Chirac piqua sa colère, en 1996. Des bassins, des citernes, des grottes, les fouilles sont importantes. Puis Via Dolorosa, Saint-Sépulcre et mur des lamentations où nous pouvons voir les travaux litigieux (nouvelle rampe d'accès à l'esplanade et fouilles archéologiques). Nous quittons la vieille ville par la Porte des Détritus, ou Porte des Immondices ou encore Porte des Maures (bab el Maghariba). A l'époque byzantine, les chrétiens avaient l'habitude de jeter les ordures sur le parvis du Temple
C'est la plus petite
porte de Jérusalem, encadrée de deux beaux palmiers. Repas en commun et parlote au salon où je découvre que Laurent, notre guide, architecte à Bethlehem, a fait ses études à Lille et a eu Rudoplh comme professeur de mathématiques ! Nous exposons les cadeaux qui nous ont été faits, plus kitchs les uns que les autres mais j'ai décroché le pompon ! Demain Bethlehem...
Mercredi 7 mars,
Le Père Sullivan, directeur de la maison d 'Abraham, nous accueille dans sa maison qui a porte ouverte sur le quartier ... Elle a un dispensaire, très utile pour les accidents domestiques, très fréquents, presque journaliers, du fait des petits appareils de chauffage et de l'eau bouillante. Nous avons vu, en effet, hier, à notre arrivée, un petit brûlé au visage que sa mère avait amené. « En 1967 et cet été aussi (guerre au Liban), il y eut beaucoup de réfugiés, c'était un peu chaotique... « Nous sommes huit... Sans compter les femmes et les enfants ! »... Les USA certes mais l'UE pourrait jouer un rôle si elle n'était affaiblie par son élargissement (Pologne, Tchéquie et d'autres... Favorables à Israël). Soixante universitaires irlandais ont lancé un mouvement de boycott des universités israéliennes, cela présente l'intérêt de poser le problème, c'est un débat sain... La dernière guerre du Liban a écœuré, même Carter écrit « Palestine, peace not apartheid »... Il faut démasquer la langue de bois et les mensonges, la guerre n'est pas seulement militaire, elle est aussi économique, il n'y a pas de libre circulation des marchandises et des personnes, les fleurs cultivées à Gaza, pour l'exportation, empêchée, ne se mangent pas ! Guerre de la propagande, chantage à l'antisémitisme, comme cet anglais juif accusé de corruption et qui crie à l'antisémitisme ! Le boycott est un moyen d'information ... » Nous partons à Bethlehem, en taxi collectif qui vient nous chercher à la maison d'Abraham. Le Mur, à Bethlehem est tel que je l'ai vu sur les photos de Catherine D. : le ministère du tourisme israélien souhaite la bienvenue, sur un immense panneau accolé à la barrière grise et haute de huit mètres, humour noir ? Nous passons si vite et facilement que je n'ai pas le temps de faire au moins une photo, si ce n'est celle des herses sur le sol. Nous cafouillons un peu pour arriver à bon port, aux bureaux de l'ARIJ (centre de recherche appliquée) où nous attend Jad ISAAC, docteur en chimie, directeur de l'équipe de l'environnement lors des négociations d'Oslo. Nous avons eu le temps de voir les ravages de la colonisation : la colonie HOMAR domine une colline qui a été dépouillée de sa forêt, celle dans laquelle Laurent jouait quand il était jeune. Jad Isaac explique que l'environnement est la première victime de l'occupation: confiscation de la terre, arrachage des arbres, enfermement, destruction des infrastructures, problème de l'eau... L'ARIJ, centre de recherche donc, vise à promouvoir le développement durable, gageure dans ce contexte ! Le centre a un CA de 25 membres et 85 salariés, en Cisjordanie et Gaza. L'ARIJ pense que l'urgence ne peut remplacer la recherche, recherche de solutions domestiques pour le bien-être de la société (citernes, compost, traitement des eaux usées à petite échelle, agriculture urbaine, sur terre sèche, sécurité alimentaire...). Les obstacles au développement ne manquent pas : pas de continuité géographique, manque d'espace ouvert, ghettos urbains à très forte densité de population. Cette situation est dissuasive pour les investisseurs d'où une limitation de l'économie nationale dont découlent des problèmes sociaux et sanitaires, un chômage très élevé, une pauvreté grandissante, un extrémisme progressant très logiquement et l'émigration, soit un cercle vicieux. A ce travail de développement durable s'ajoutent celui de formation, de coopération avec des institutions publiques (FAO UNESCO) et des ONG (PENGON) et aussi des publications (120 livres de recherche publiés). « From peace to pieces »... La Palestine est fragmentée, en zones A, B et C Selon les accords d'Oslo, la Palestine devait être en zone A (administration palestinienne) à 95% en 1995.Or, en 2007, 93% de la Palestine est en zone C, sous contrôle israélien, sans permis de construire, entre autre ! Les accords d'Oslo prévoyaient le gel des colonies : de janvier 2002 à août 2006, 100 000 colons de plus dans 25 656 maisons supplémentaires pour moins 2000 à Gaza. La moitié de ces maisons nouvelles sont à Jérusalem, un tiers à Bethlehem, 7 et 5% à Ramallah et à Naplouse. Aujourd'hui, il y a 470 000 colons. « Le prix payé pour le retrait de Gaza fut la militarisation de la Cisjordanie ». Mais Gaza reste contrôlé, sur terre, dans les airs et dans la mer, par Israël, le retrait n'est que symbolique. Il y a aujourd'hui une barrière maritime, un mur dans la mer, à 950 mètres du rivage, qui empêche les pêcheurs de travailler ! Le plan de ségrégation se réalise avec le MUR qui est prévu sur 702 kilomètres, 200 sont terminés, 122 en cours, soixante communes ont été annexées, 90 000 Palestiniens sont ainsi isolés du reste de la population, prisonniers dans leurs maisons. La vallée du Jourdain n'est pas en reste : quarante deux communes et 52 000 personnes sont entre des barbelés. Au total, 142 000 Palestiniens sont gravement affectés et... 375 000 colons « accomodateed ». Près de la moitié de la Cisjordanie est perdue. Jad Isaac peut faire le point des « postes avancés » de la colonisation (caravanes et miradors, d'abord) grâce aux photos satellites ! Il y a, actuellement, 56 postes avancés à l'intérieur de la Cisjordanie, 28 points de colonisation à l'est, 68 dans les « corridors » pour relier est-ouest et 65 dans le sud. A Jérusalem, c'est un programme de déportation, il s'agit d' « israéliser » la ville, il y a aujourd'hui plus de colons à Jérusalem que de Palestiniens ! En janvier dernier, vingt-trois maisons palestiniennes ont été détruites à Jérusalem. A Bethlehem, 94% de la population (170 000 personnes) vit sur 13% de son territoire, Beit Jala a perdu 22 puis 24% de son espace, Bethlehem 8 puis 12%, Beit Sahour 22 puis 10%, les deuxièmes pertes sont dues à la construction du Mur. Trois nouvelles colonies sont en projet tandis que la belle forêt de Abu Gneim a été détruite pour laisser place à la colonie d'Hamor. Bethlehem est un ghetto avec quatre ouvertures dans le Mur qui l'enserre, une seule porte pour sortir, le Cremisan monastère, seul endroit où l'on produit du vin, en Palestine, n'est plus accessible. Le Mur sert à exproprier, Israël veut récupérer ce qu'il appelle la Judée et Samarie. C'est la première fois dans l'histoire que Bethlehem et Jérusalem sont séparés, alors que selon le plan de l'ONU de 1947, Bethlehem est partie prenante de Jérusalem, « honte pour le monde entier ! » Et puis les 743 kilomètres de routes interdites aux Palestiniens, les check-points (518 barrages militaires dans les territoires occupés), les 1 170 000 arbres coupés, arrachés... Ce ne sont pas deux Etats côte à côte mais « l'un dans l'autre ». « Que négocier ? Au mieux 60% de la Cisjordanie dans... 200 ans ? ça ne peut continuer, ça va exploser... ». Il y a des leçons à tirer : - En Israël, tous ont les mêmes idées, - only free persons can negociate, il faut pouvoir être libre de ses déplacements, - Le jeu ne peut être sans fin, comme le jouent les israéliens, il faut fixer une limite temporelle, - il n'y a pas de date sacrée, Israël n'a pas à refuser un calendrier, - la colonisation s'accélère alors qu e les colonies devaient se vider, - l'unilatéralisme n'est pas acceptable, - l'absence de mécanisme d'arbitrage est très préjudiciable, - l'Europe est toujours renvoyée à l'holocauste..., - les USA sont complices, - l'asymétrie est manifeste, deux poids deux mesures
La responsabilité morale de la communauté internationale, pour le non-respect des résolutions de l'ONU, est immense. « Israel needs to be cured of its occupation addiction »! (occupation qui est un bon business). « Instability will continue and may spread to the whole region, the clock is ticking... A fertile ground for rising fundamentalism and/or volontary transfer ». L'analyse est percutante, l'avertissement aussi, nous ne sommes pas surpris mais nous nous sentons un peu écrasés, impuissants devant un tel plan, qui vient de si loin, avec le silence complice de la « communauté » internationale, quand ce n'est pas le soutien et l'aide active à Israël. Remember Mme Royal finalement convertie au Mur, pour lequel il conviendrait que les parties « négocient en bonne entente » (sic) son tracé... Il est l'heure de déjeuner, les émotions, ça creuse. Rendez-vous raté avec Sœur Sophie, nous investissons alors un petit restaurant populaire où nous mangeons un sandwich (kebab) avant de goûter de belles et bonnes pâtisseries dans le « restaurant (!) » voisin
Nous nous rendons en taxis au camp Al Dheisheh, près de Bethlehem. Bernard et Annie y ont rendez-vous avec leur filleule de huit ans, son père est tchétchène, sa mère jordanienne, comment ont-ils échoué ici ? Nous sommes accueillis par Hussein, un jeune homme parlant très bien l'anglais. Le camp date de 1948, de la nakba, il regroupait alors la population de quarante six villages d'alentour, soit environ mille personnes. A l'origine, il n'y avait que des tentes installées par la Croix Rouge, il y eut beaucoup de victimes du froid, de la neige. Les Nations Unies ont pris le relais et des constructions en dur furent entreprises. Il s'agissait de petites maisons de trois mètres sur trois, une maison par famille, entre six et huit personnes. Les toilettes et salles d'eau étaient publiques, deux pour vingt-huit familles, pour hommes et femmes. Il était très difficile d'utiliser les sanitaires la nuit, pour les femmes et les enfants. En 1967, le camp, se trouvant donner sur la rue qui va de Jérusalem à Hébron, est occupé par Israël. Il est aussi l'un des camps les plus actifs, les plus résistants. En réaction, les Israéliens infligent une punition collective sous forme de clôture minée, en 1984. Il y avait quinze ouvertures à l'origine mais bientôt plus qu'une seule entrée, avec tourniquet qui amuse les enfants, contrôlée en permanence par les Israéliens. Il en fut ainsi jusqu'en 1994. Nous pouvons encore voir cet infâme tourniquet. C'est seulement à partir de 1994 qu'il fut possible d'agrandir les maisons en les rehaussant d'un étage. Il y a, en moyenne 6,3 enfants par famille, certaines peuvent avoir 12-14 enfants, « c'est à cause du couvre-feu », Hussein a le sens de l'humour ! Le sol n'appartient pas à ceux qui y habitent, les Nations Unies le louent, avec un bail de 99 ans, à des propriétaires de Bethlehem.
Hussein plaisante « on n'aime pas trop le mur, par expérience... » Aujourd'hui, 11 000 personnes dans le camp, dont 60% de moins de 18 ans. Deux écoles (du CP à la 3°) des Nations Unies, 1400 élèves par école, il peut y avoir jusqu'à 50-55 élèves par classe. Pour le lycée, public ou privé, il faut aller en ville et c'est très cher. Il y a deux universités à Bethlehem mais il est très difficile de terminer ses études et d'avoir du travail. Par ailleurs, certaines matières comme la chimie ne sont pas enseignées en Palestine ! Une clinique ou plutôt un dispensaire ( Nations Unies), un médecin qui travaille six heures par jour, six jours sur sept pour, en moyenne 280 malades par jour soit « cinq à six secondes par malade, it's enough », blague encore Hussein. L'électricité et l'eau sont contrôlées par les Israéliens et posent beaucoup de problèmes (coupures). Trois mosquées et « aussi des chrétiens et aussi des palestiniens juifs (?) », nous n'en saurons pas plus, nous ne comprenons pas bien les réponses à nos demandes d'explication. Avant l'Intifada, beaucoup travaillaient dans la construction, y compris en Israël. Maintenant, ce n'est plus possible, même avec un permis de travailler, le passage ne se fait plus Le taux de chômage est de 70%. Ceux qui travaillent le font dans les services, « inside and outside » du camp (gouvernement, administrations publiques, Nations Unies...). Depuis cinq ans, les Nations Unies diminuent leur aide aux Palestiniens, elles la réservent aux plus nécessiteux, ce sont des organisations dans le camp qui prennent en charge la solidarité.
Le centre culturel IBDA (« to create something out of nothing »), dans le camp, vise à faire connaître aux jeunes leur culture (collecte des objets de leurs villages), à permettre aux femmes de trouver leur place, d'être fières de leur travail de broderie (80 familles impliquées dans ce projet). Le sport n'est pas oublié : foot (y compris une équipe féminine), hand, basket, natation (piscine à Bethlehem), athlétisme, de très nombreuses coupes sont exposées. Une salle informatique fonctionne depuis 1998, c'est la première de tous les camps de réfugiés (il y en a 59, y compris au Liban, en Syrie, en Jordanie, à Gaza), elle permet de communiquer avec cinq écoles catholiques aux USA. Un atelier média travaille à la réalisation d'un CD sur l'histoire du camp tandis qu'un projet de station radio et télévision est déjà bien avancé, le bâtiment est en construction, reste la formation à la technique. Nous sommes conviés au bar où des boissons nous sont servies et la conversation continue avec Hussein et Areej, belle jeune femme de 21 ans, membre du conseil d'administration d'IBDA., tandis que Bernard et Annie nous ont rejoints, accompagnés de leur guide. Nous avons une large vue sur le camp qui grimpe une petite colline. Nous laissons quelque soutien, sur notre cagnotte commune et rejoignons le centre de Bethlehem pour visiter ND de la Nativité alors que le jour décline. Plusieurs communautés chrétiennes se partagent, voire se disputent, les lieux saints, c'est (ce fut) un business ! C'est dans cette église de la Nativité que se retranchèrent pendant de longs jours d'un siège fameux des Palestiniens pourchassés par Tsahal (année 2002 ?). A la sortie, je vois un beau pope à la barbe blanche, il m'autorise à le photographier mais il est trop sérieux, il pose ! Je lui demande un beau sourire, il s'exécute en me bénissant, bénédiction popale, y'en a que pour les mécréants ! Dîner chez Laurent et Nadia. Très belle maison de 1920, réaménagée par Laurent (architecte). Jacques, leur gamin de deux ans est élevé dans trois langues, arabe, anglais, français. Il sait compter jusqu'à dix, dans chaque langue et est capable, de même, de nommer les parties du visage. Repas de fête encore. Laurent s'intéresse aux présidentielles françaises, tombe des nues quand nous évoquons la percée de Bayrou, il en était resté à Sarkozy-Royal. Retour à la maison d'Abraham, à Jérusalem, vers 21h30. Nous avons passé le check point très facilement, une soldate blondinette était au téléphone, son collègue a demandé s'il y avait toujours autant de crottes de chien sur les trottoirs à Paris. Etait-ce insultant ? Je n'ai pas eu le temps de photographier les graffitis et un lion, sur le mur, j'ai quand même activé l'appareil, à tout hasard alors que nous roulions dans notre mini-bus, il en est résulté une image floue un peu surréaliste « welcome in Israël » ...
Jeudi 8 mars 2007,
Journée internationale de la femme, je consulte ma messagerie, un message de Catherine D. partie à Gaza, elle a été interviewée par une télé palestinienne sur cette journée du 8 mars. Le déjeuner est prévu à 12 h, pour un départ vers l'aéroport à 13h. La matinée est libre, je file, en solo, jusqu'à Abou Dis, à environ vingt minutes de marche. Je tombe sur le Mur, exactement là où je fus à la Toussaint 2004 mais... De l'autre côté. Cette fois, je ne vois que le haut du minaret de la petite mosquée. Face à cette monstruosité qu'est le Mur, un établissement religieux « ND des douleurs » ! Nombreux graffitis et dessins: « from Warsaw ghetto to Abou Dis ghetto », « this wall is a shame on the jewish people, on my people », « laughs not war », « wall = landgrab », « - who are you, catholic, jew, muslim ? - A human being »... et surtout une formidable exposition photographique toute récente : des portraits géants de palestiniens et israéliens, y compris un religieux avec ses torsades, des jeunes, des vieux, tous grimaçants à qui mieux- mieux, en noir et blanc (projet « face2face » franco-suisse-israélo-palestinien, contre le Mur). Je crois reconnaître... Areej, du camp d'Al Dheisheh, je pense que c'est bien elle, sans ses lunettes. Certaines affiches sont partiellement déchirées et, au milieu d'elles, un « fuck the palestin, fuck the pice (sic) » sur des couleurs israéliennes (fond bleu, croix blanche). Je pense qu'il est bon que le portrait du juif orthodoxe se trouve à bonne hauteur ! Sur Euronews, dans l'avion du retour, petit reportage sur cette exposition, les prises de vue sont exactement celles que j'ai faites, au même endroit mais avec les colleurs en action, sur leurs échelles. En remontant vers le Mont des Oliviers, je fais encore des photos du Mur, de plus loin, donc. J'entends « no photo, no photo », trois hommes bricolent autour d'une voiture, « I take the wall away ! », ils se marrent, si cela pouvait être ... J'entre dans le très vaste cimetière du Mont des Oliviers, je tombe sur ... Un mirador et des travaux d'excavation à proximité d'une belle ruine de maison. Des jeunes gens (Palestiniens ?) « briquent » de vieilles tombes. Des cailloux sur de nombreuses tombes, selon la tradition. Ma déambulation est un peu répétitive, je quitte ce plus grand cimetière juif du monde pour rendre visite à l'église orthodoxe russe, toute proche. Elle est un havre de paix, des nonnes qui parlent russe, me semble-t-il, nettoient le jardin, un panneau invite à ne pas cueillir les fleurs. Puis l'église des Nations, au pied de l'église orthodoxe. C'est là que Jésus aurait été trahi par Judas. Dans le jardin, de magnifiques oliviers sans âge, aux troncs particulièrement noueux et parfois soutenus par un petit muret de pierre. A la sortie, des petits « marchands du Temple » distribuent des petits rameux d'oliviers pour alpaguer le client. Retour à la maison d'Abraham, dernier déjeuner et départ pour Tel-Aviv. Petit contrôle assez anodin à l'entrée de l'aéroport, ensuite nous passons comme une fleur, grâce à l'étiquette verte. L'avion décolle avec une heure de retard au-dessus de Tel-Aviv illuminé en bord de mer, indifférente au sort des Palestiniens, à quelques dizaines de kilomètres.
Genevi-ève Caré. |
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Photos de Genevi-ève pendant son séjour : " Résistance ..."
Fresques au camp de réfugiés d'Al Dhaïcheh
(Bethlehem) |