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L'armée israélienne transforme en champ de manoeuvre un village sans histoire de Cisjordanie

Benjamin Barthe

Article paru dans l'édition du 23 mars 2007

http://abonnes.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3218,36-886449,0.html?xtor=RSS-3210

Beit Lid est un gros village sans histoire, bâti au sommet d'une colline, en surplomb de la route qui relie Naplouse à Tulkarem. Dimanche 11 février, le sommeil de ses habitants a été interrompu par des cris en hébreu sous leurs fenêtres. "Esh, esh, esh" (Feu, feu, feu) ! En écartant prudemment ses rideaux, Naël Dreidi, l'ingénieur de la municipalité, a pu voir que les abords de sa maison étaient envahis de soldats israéliens. "Ils couraient dans tous les sens en gueulant des ordres incompréhensibles, raconte-t-il. Ça faisait un boucan d'enfer. Quand ils m'ont vu, ils m'ont fait signe de ne pas m'inquiéter. Mais c'était trop tard. Mes enfants étaient terrifiés. Les soldats sont restés dans les rues jusqu'au petit matin. Peu de gens ont osé sortir pour aller prier à la mosquée."

 

 

Ce n'est que quelques heures plus tard, en confrontant leur expérience, que les habitants de Beit Lid ont compris. Aucune arrestation, aucune perquisition, pas même de coups de feu : l'armée israélienne était "juste" venue s'entraîner dans leur village. L'exercice a visiblement donné satisfaction à ses concepteurs, car il a été répété à deux reprises depuis cette date. A chaque fois, plusieurs centaines de soldats débarquent au milieu de la nuit, simulent un assaut avant de se replier en bon ordre en emportant de faux blessés sur de vraies civières.

 

Beit Lid est ainsi devenu bien malgré lui le nouveau terrain d'entraînement in vivo de l'armée israélienne. "Ils pourraient faire cela dans l'un de leurs camps en Cisjordanie ou bien même en Israël, fulmine Naël Draidi. Mais non, il faut qu'ils viennent chez nous. C'est incroyable, mais personne ne peut les arrêter."

Le bureau du porte-parole de Tsahal affirme que ces exercices ont été conduits en conformité avec le règlement militaire. "La population n'a pas été maltraitée. Aucune route n'a été fermée. Les habitants dans leurs maisons n'ont pas été affectés", dit le communiqué officiel.

 

"INVASION"

 

Pour sa part, l'association israélienne de défense des droits de l'homme Yesh Din dénonce ce qu'elle considère comme une violation du code de conduite de Tsahal et de la "dignité" des Palestiniens. "Aucun commandant n'a jamais songé à organiser ces exercices dans la colonie d'Avnei Chefetz, qui est située juste quelques kilomètres au nord du village de Beit Lid, écrit l'avocat Michaël Sfard, dans la plainte qu'il a envoyée au procureur militaire. Aucun commandant n'a jamais osé imaginer une invasion en plein milieu de la nuit de Kochav Yaïr ou Rosh Ha'Ayin (deux villes en Israël)."

L'association Yesh Din a recueilli le témoignage d'un réserviste impliqué dans l'un de ces exercices nocturnes. "C'est un miracle que rien de grave ne soit arrivé, a-t-il confié aux enquêteurs. Tu marches au milieu d'un village en hurlant "feu, feu". C'est complètement fou. Je pense que les habitants ont dû faire une attaque cardiaque."

Ses supérieurs, affirme-t-il, avaient présenté Beit Lid comme un site "froid", c'est-à-dire ne posant aucun risque d'ordre sécuritaire. "Le village froid que nous avons harcelé pourrait bien se transformer en village chaud, dit-il. C'était immoral et inacceptable. Et croyez-vous que je suis davantage prêt à faire la guerre maintenant ? Pas du tout. Pas comme ça."

Benjamin Barthe (Beit Lid, envoyé spécial)

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