Les sons apaisants de la vie et de l'espoir en territoires occupés Article paru dans l'édition du 19 avril 2007 Un groupe français milite en mixant bruits, musique et poésie Reconstruire « le paysage sonore de la vie quotidienne » dans les territoires occupés. C'est le défi que tente de relever Check Point 303, un nouveau groupe de musique électronique français qui est né et se développe à toute vitesse sur l'Internet (www.checkpoint303.com).
Ouvert il y a deux ans par une poignée d'amis familiers du conflit israélo-palestinien qui, pour certains, résident dans la région, le site offre une dizaine de morceaux en téléchargement gratuit. Sur fond de rythmique synthétique, ces compositions mêlent les bruits caractéristiques de l'occupation (contrôle d'identité, rafales de kalachnikov, manifestations, etc.) à des ambiances beaucoup plus anodines tirées de la vie quotidienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. L'un des titres, Abraj (« Horoscope »), incorpore par exemple des extraits d'une émission d'astrologie diffusée par une radio de Bethléem, où les auditeurs appellent pour s'enquérir de leur avenir en matière de santé ou d'amour. Hawiya dha'ya (« Identité perdue ») recycle, comme une métaphore amère de la condition palestinienne, un appel lancé dans une manifestation à Ramallah pour retrouver le propriétaire d'une carte d'identité égarée. Le nom même du groupe est inspiré du check-point 300, le barrage militaire israélien à l'entrée de Bethléem. Ancrés dans la réalité à la fois tranquille et tragique des territoires occupés, les samples puisent également dans le patrimoine artistique arabe. L'une des pistes, intitulée Rissala min Qalandia (Lettre de Qalandia), du nom d'un des check-points autour de Jérusalem, utilise la voix du poète syrien Nizzar Qabbani, le chantre des femmes et de l'exil, qui lit Rissala min taht el ma (« Lettre de sous l'eau »), l'une de ses plus célèbres compositions sur le thème de l'oppression. « Nous voulions trouver un moyen de parler de la situation sans passer par les formes classiques du militantisme ou du journalisme », explique SC Yosh, le nom de scène d'un jeune trentenaire qui fait partie du groupe. Depuis Jérusalem, où il habite, SC Yosh alimente son compère lyonnais SC Mocha en enregistrements bruts que celui-ci retravaille ensuite sur ordinateur. « L'idée était de se positionner à mi-chemin de l'art et de l'information afin de montrer que la vie des Palestiniens ne se réduit pas à l'occupation. Il y a une société avec des gens normaux, qui vivent certes une situation terrible et injuste mais qui tentent de s'en sortir et d'éduquer leurs enfants. » Ce projet, qui a débuté modestement, comme « un truc entre copains », a vite pris de l'essor grâce à la caisse de résonance du Web. Connexion après connexion, les mix de Check Point 303 sont arrivés jusqu'aux oreilles de Robert Del Naja, le leader du groupe anglais Massive Attack. En février, SC Yosh et SC Mocha, qui n'avaient jusque-là testé leur musique que dans des cafés parisiens, se retrouvaient à assurer la première partie des parrains du trip-hop à la Brixton Academy, l'une des plus grandes salles de spectacles londoniennes. Une prestation de quatre-vingt-dix minutes devant 5 000 personnes réunies par la Hoping Foundation, une ONG britannique qui vient en aide aux réfugiés palestiniens. Depuis ce premier succès imprévu, les invitations affluent. Check Point 303 devrait se produire prochainement en Suède, en Tunisie et à Nazareth, en Israël. SC Yosh est du coup reparti à la pêche aux sons dans les villes de Cisjordanie. Benjamin Barthe |