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  31 mai 2007
    Analyse

Le désarroi des Palestiniens
par Gilles Paris

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-916657,0.html

Dans le sang, une page de l'histoire du peuple palestinien se tourne. Une guerre civile larvée entre les nationalistes du Fatah et les islamistes du Hamas mine Gaza. Elle est le produit paradoxal de la deuxième Intifada et de l'échec du mouvement national organisé par et autour du Fatah de Yasser Arafat, incapable de parvenir à son objectif de création négociée d'un Etat palestinien à Gaza et en Cisjordanie. Les ressorts profonds du soulèvement de 2000 résidaient tout autant dans une politique israélienne de plus en plus coercitive (les bouclages) et de plus en plus dévoreuse de terres (l'extension des colonies) que dans des institutions palestiniennes jugées corrompues, inefficaces et impuissantes.

Le ressentiment vis-à-vis de la très improprement dénommée Autorité palestinienne a assuré logiquement la victoire électorale du Hamas en 2006 sur le Fatah, pourtant porté à bout de bras par une bonne partie de la communauté internationale mais incapable de se renouveler après la mort de son fondateur, en 2004. Empêché de prendre totalement le pouvoir - les services de sécurité restant aux mains du camp défait -, le Hamas s'est lancé dans le défi armé avec la mise en place à Gaza, où il n'a pas été détruit militairement par Israël, d'une force militaire concurrente de celle du Fatah.

 

L'affrontement était écrit et même souhaité par les Etats-Unis et Israël, qui veulent l'écrasement, pourtant improbable, des islamistes. Seule une dynamique politique et diplomatique d'envergure aurait pu permettre d'échapper aux combats fratricides. On l'attend toujours.

Les Palestiniens, assiégés à Gaza et réoccupés en Cisjordanie, sont entrés dans un nouveau cycle qui clôt définitivement la parenthèse ouverte par la signature des accords d'Oslo, en 1993. Ce cycle est marqué par la déconstruction des institutions édifiées à grands frais entre 1994 et 2000. Cette destruction a tout d'abord été opérée par Israël en représailles aux attentats organisés par les opposants palestiniens les plus résolus de ces institutions, les islamistes du Hamas.

Hostile à Oslo, Ariel Sharon a mis à profit les erreurs tactiques de Yasser Arafat pour réécrire les règles du jeu à sa convenance. C'est avec lui qu'Israël a définitivement rompu avec la négociation au profit de l'unilatéralisme, comme on a pu le vérifier en 2005 après la mort du fondateur du mouvement palestinien et l'arrivée d'un successeur, Mahmoud Abbas, auquel les Israéliens n'avaient rien à reprocher.

La politique israélienne a été amplifiée par les errements des Etats-Unis et de l'Union européenne, prompts par exemple à affaiblir la fonction présidentielle occupée par un Yasser Arafat tombé en disgrâce, puis à adopter une politique rigoureusement inverse après la victoire électorale du Hamas. Les bricolages financiers mis en place par les Européens pour contourner les islamistes ruinent aujourd'hui les efforts de gestion et de transparence demandés légitimement aux Palestiniens après des années d'un laxisme irresponsable, comme l'atteste le rapport rédigé pour les Nations unies par un ancien membre du Fonds monétaire international (FMI), Karim Nashashibi. Ces bricolages, inspirés par le souci louable de venir en aide à la population palestinienne indépendamment des aléas politiques, aboutissent à un résultat perturbant : plus l'aide augmente en volume, moins elle est efficace.

Un autre phénomène attesté par les affrontements de Gaza, batailles de clans tout d'abord devenues batailles de factions politiques, est la déstructuration de la société palestinienne. Face à l'occupant israélien, cette société avait montré son unité et sa capacité de résistance à l'occasion de la première Intifada, qui avait tiré Israël de l'illusion dans laquelle l'avaient plongé la victoire éclair de 1967 et l'acceptation résignée des Palestiniens du nouvel occupant. L'objectif d'un Etat palestinien à Gaza et en Cisjordanie constituait un ciment fédérateur pour une mosaïque de communautés (citadins, ruraux, réfugiés) structurée par des clans familiaux. Yasser Arafat, par sa science de la politique et sa connaissance incomparable des siens, avait ensuite masqué les ratés d'Oslo et préservé l'unité palestinienne.

 

BLOCUS PHYSIQUE ET MENTAL

 

Les illusions sont aujourd'hui dissipées. L'Etat indépendant semble moins réalisable aujourd'hui d'un point de vue pratique, alors qu'il est devenu, paradoxalement, le programme commun auquel même le Hamas s'est résigné. En ont témoigné successivement l'entrée des islamistes dans les institutions héritées des accords honnis d'Oslo, leur participation à un gouvernement d'union avec le Fatah et enfin leur acceptation de l'initiative de la Ligue arabe, qui prévoit une normalisation avec Israël en échange d'un Etat palestinien à Gaza et en Cisjordanie.

Le désarroi face à une Palestine apparemment impossible est renforcé par les bouleversements profonds impliqués par le dispositif militaro-sécuritaire israélien, dont la pérennité devient évidente, qu'il s'agisse du "mur" qui sépare notamment les quartiers palestiniens de Jérusalem du reste de la Cisjordanie, ou du découpage de cette même Cisjordanie en cantons. Jamais les Palestiniens n'ont été aussi isolés les uns des autres en dépit de l'exiguïté de leur espace. Cet enfermement, ce blocus physique et mental ne sont pas au bout de produire leurs effets ravageurs.

Ces processus participent tous de l'affaiblissement palestinien : une fabrique sociale et économique en lambeaux, une image internationale plombée par le recours au terrorisme, surtout après le 11-Septembre, une direction divisée. Cet affaissement débouche sur la "dépalestinisation" de la cause palestinienne, selon le chercheur Jean-François Legrain.

Quarante ans après la défaite arabe de 1967, qui avait permis, au contraire, aux Palestiniens de prendre en main pour la première fois leur destin, ce dernier leur échappe. Le temps des puissants parrains - Iraniens ou Saoudiens - est revenu. Certes, le poids des organisations sociales, militantes ou militaires du Hamas, à Gaza et en Cisjordanie, a préservé jusqu'à présent les Palestiniens de tentations djihadistes idéologiquement pures, dans lesquelles la Palestine n'est plus centrale mais un élément parmi d'autres, presque désacralisé, d'un projet islamiste global.

Manipulables par des pays tiers, ces tentations radicales redoubleront certainement si le désespoir et le sentiment d'impasse perdurent. Les "laboratoires" des camps de réfugiés d'Aïn El-Héloué ou de Nahr Al-Bared, au Liban, en attestent aujourd'hui. Pour le pire.

Gilles Paris

Article paru dans l'édition du 31.05.07

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