Nº2227
- SEMAINE
DU JEUDI 12 Juillet 2007
Une interview de la ministre des
Affaires étrangères d'Israël
Tzipi Livni :
«Nous allons aider Mahmoud
Abbas...»
« Pour que le futur Etat palestinien soit
décidé à vivre en paix avec nous, nous sommes prêts à assumer nos
responsabilités et à soutenir les Palestiniens modérés »
http://hebdo.nouvelobs.com/hebdo/parution/p2227/articles/a349730.html
Le Nouvel Observateur. - Depuis le coup de force
du Hamas à Gaza, jamais la légitimité et la qualité du président
palestinien Mahmoud Abbas n'auront été autant soulignées. En
Israël, est-on véritablement disposé à tout faire pour le
renforcer?
Tzipi Livni. - Nous croyons à la solution de deux Etats
pour deux peuples. Pour promouvoir cette solution et la recherche
de la paix, il est évident qu'il faut soutenir les Palestiniens
modérés.
Il nous a toujours paru essentiel de marquer la différence - une
différence réelle, évidente - entre les organisations terroristes
et les éléments palestiniens pragmatiques à la tête desquels se
trouve Mahmoud Abbas. C'est d'autant plus vrai aujourd'hui, après
ce qui s'est passé à Gaza. Les éléments palestiniens modérés sont
plus faibles. Nous voulons les soutenir et les renforcer. La
formation du nouveau gouvernement palestinien nous offre une
occasion de le faire. Nous ne reculerons pas devant nos
responsabilités et nous allons l'aider. Mais il faut que Mahmoud
Abbas et les Palestiniens modérés se montrent eux aussi déterminés
à aller de l'avant. L'avenir du peuple palestinien ne dépend pas
seulement des gestes ou de la bonne volonté d'Israël.
N. O. - Les opérations militaires israéliennes se
poursuivent en Cisjordanie. Comment surmonter la contradiction
entre cette volonté affichée de renforcer Mahmoud Abbas, et ce que
vous considérez comme des impératifs de sécurité pour Israël?
T. Livni. - Il ne faut pas forcément y voir une
contradiction. Il y a des choses qui sont dans l'intérêt des deux
peuples. La sécurité d'Israël, c'est aussi l'affaire des
Palestiniens.
Comme l'amélioration des conditions de vie des Palestiniens est
dans l'intérêt d'Israël. Mais il est exact que notre action reste
liée aux impératifs de notre sécurité. Et nous devons chaque fois
peser les risques de telle ou telle décision en faveur des
Palestiniens. Comment faire autrement?
N. O. - Aussitôt annoncée, la libération par Israël de 250
prisonniers du Fatah semble retardée...
T. Livni. - Non, les prisonniers du Fatah seront libérés.
Il n'y a pas de retard. Tout simplement, Israël est un Etat de
droit qui a des procédures gouvernementales et judiciaires. Le
cabinet entérine la décision. Puis les autorités judiciaires
l'inscrivent dans un cadre légal. Cette mesure d'élargissement,
nous l'avons annoncée lors du dernier sommet de Charm el-Cheikh,
alors que nous avons toujours à Gaza un soldat, d'ailleurs
franco-israélien, Gilad Shalit, qui est encore aux mains du Hamas.
N. O. - On condamne désormais le Hamas avec la même vigueur
chez vous à Jérusalem qu'à Ramallah, au siège de l'Autorité
palestinienne...
T. Livni. - Absolument. Le Hamas, c'est le Hamas. Et le
terrorisme, c'est le terrorisme.
N. O. - Pourtant, est-il raisonnable d'imaginer faire
avancer la paix en oubliant Gaza et en ignorant le Hamas?
T. Livni. - Le Hamas est là. Nous ne sommes pas aveugles.
Mais les événements de Gaza en sont une preuve supplémentaire: les
alliances ou les gouvernements d'union entre des Palestiniens
modérés et des organisations terroristes ne règlent rien, au
contraire. Ni pour les Palestiniens entre eux, ni pour favoriser
le dialogue avec Israël.
N. O. - Ne faut-il pas faire, y compris au sein du Hamas,
une différence entre extrémistes et modérés?
T. Livni. - Non. Ce serait porter atteinte, peut-être même
de façon irrémédiable, au vrai camp palestinien modéré. Le peuple
palestinien ne doit-il pas réaliser que les seuls dirigeants
capables de lui assurer un avenir sont ceux qui ont renoncé au
terrorisme et à la violence? Peu import e les nuances entre la
branche militaire et celle politique du Hamas, ou bien entre le
Hamas de l'intérieur et celui de l'extérieur. Elles sont
artificielles. Le Hamas est inscrit sur la liste des organisations
terroristes. Il doit prendre une décision. Veut-il s'intégrer à la
communauté internationale? Il en connaît les trois conditions:
arrêter la violence, reconnaître Israël et respecter les
précédents accords conclus avec l'Autorité palestinienne. Alors
seulement, il pourra devenir un interlocuteur.
N. O. - Mais au fond, la meilleure façon d'aider Mahmoud
Abbas aujourd'hui, ne serait-ce pas qu'Israël se retire au plus
vite de la Cisjordanie?
T. Livni. - Ce serait surtout prendre le risque de voir la
Cisjordanie sombrer, elle aussi, dans la guerre civile et
ressembler à ce qu'est devenu Gaza. Il est évident qu'un futur
accord de paix entre Israéliens et Palestiniens inclura d'autres
retraits, d'autres évacuations de certains territoires qui sont
actuellement sous contrôle israélien. Mais cela doit se faire dans
un cadre organisé, au terme d'une négociation qui aura abouti.
C'est la raison pour laquelle je suis en faveur d'un dialogue
renforcé avec Mahmoud Abbas. Les Israéliens et les Palestiniens
qui veulent la paix sont dans le même camp. Les autres, les
terroristes, ceux qui font tout pour interdire la paix, sont dans
le camp adverse...
N. O. - Vous préconisez de faire demain en Cisjordanie le
contraire de ce qui a été réalisé à Gaza. Le principe d'un retrait
unilatéral était donc une erreur...
T. Livni. - Je crois en effet qu'il est extrêmement
important de savoir, de prévoir ce qui va se passer dans les
territoires dont Israël se retirera. On ne peut pas se contenter
de partir, de quitter les maisons en jetant les clés derrière
nous... Le processus de retrait doit être clair. A chacune de ses
étapes, il faudra s'assurer que la sécurité d'Israël n'est pas
menacée. Et que l'Etat palestinien qui émergera au terme de ce
processus est décidé à vivre en paix avec nous.
Personne ne peut accepter la naissance d'un Etat terroriste
supplémentaire au Moyen-Orient. Al-Qaida a déjà annoncé qu'elle
allait soutenir le Hamas, à Gaza et ailleurs. Ce qui transforme
désormais les Palestiniens en prisonniers de l'islam extrémiste.
Or les islamistes n'ont pas le même agenda que les Palestiniens
modérés. Le Hamas utilise le terrorisme afin de promouvoir les
idées islamistes radicales. C'est écrit noir sur blanc dans sa
charte. Ses chefs le disent ouvertement. Leur objectif réel n'est
pas la création d'un Etat palestinien.
N. O. - Cet Etat palestinien, vous le voyez émerger à
quelle échéance? Sous quelle forme?
T. Livni. - C'est exactement l'objet du dialogue que nous
devons avoir avec Mahmoud Abbas et le nouveau gouvernement
palestinien. Nous avons déjà une vision commune de l'avenir,
fondée sur deux principes. Celui de deux Etats-nations. L'un,
Israël, est la solution pour le peuple juif. L'autre, l'Etat
palestinien, répond aux aspirations du peuple palestinien, y
compris en ce qui concerne la question des réfugiés.
Second principe: ces deux Etats doivent vivre en paix. Il faut par
conséquent que le nouvel Etat palestinien soit démilitarisé, afin
de limiter les risques de le voir devenir la proie d'organisations
terroristes. Israël n'a aucune intention de contrôler la vie des
Palestiniens, et encore moins de déterminer à l'avenir le mode de
gestion de leur Etat. Notre seule préoccupation est de savoir si
nous pourrons vivre en paix avec cet Etat palestinien, ou s'il
deviendra une nouvelle menace pour la région.
N. O. - Est-ce que vous considérez le mur de séparation -
ou la barrière de sécurité comme on l'appelle en Israël - comme la
future ligne de partage entre les deux Etats?
T. Livni. - Encore une fois, les frontières entre Israël et
les Palestiniens seront déterminées par accord. Nous avons érigé
cette barrière - peu importe comment vous l'appelez - pour des
motifs purement sécuritaires, à un moment où nous devions faire
face presque chaque jour à des attaques terroristes.
Et je crois que, en effet, elle étaye l'idée d'une répartition,
d'un partage de cette terre entre la mer et le Jourdain, entre
Israël et les Palestiniens.
90% de la Cisjordanie sont déjà du côté palestinien de la
barrière, et nous ne sommes pas très loin des lignes de séparation
d'avant la guerre de 1967. Mais on peut évidemment discuter encore
dans le détail de son tracé. Cela dit, je ne comprends pas le
procès qui nous est fait sur le principe de cette séparation.
Israël n'a-t-il pas pour la première fois admis la nécessité d'une
division de la terre? D'ailleurs, chez nous, qui était contre
l'édification de cette barrière? La droite, l'extrême-droite,
bref, tous ceux qui sont opposés à la naissance d'un Etat
palestinien... On l'a aussi parfois comparé au mur de Berlin.
C'est ridicule! A Berlin, le mur séparait le même peuple allemand.
Tandis que la barrière divise une terre entre deux peuples.
N'est-ce pas ce que le monde entier souhaite depuis quarante ans?
N. O. - Un an après la fin de la guerre au Liban, la rumeur
d'une reprise de la négociation entre Israël et la Syrie court un
peu partout. Vous confirmez?
T. Livni. - Absolument pas. La Syrie poursuit le jeu
dangereux qui est le sien dans la région. Elle soutient le
Hezbollah, refuse le principe d'indépendance du Liban et demeure
une menace, autant pour la force internationale que pour Israël.
De plus, Damas, qui est toujours le centre régional du soutien au
terrorisme, est aujourd'hui associé à l'Iran dans un partenariat
qui constitue aussi un danger.
Pour Israël, c'est très clair: au-delà du contentieux
israélo-syrien, la paix avec Damas exige une clarification qui
concerne l'ensemble de la région.
N. O. - L'élection de Nicolas Sarkozy a été très
favorablement accueillie en Israël. Est-ce le début d'une nouvelle
lune de miel entre Paris et Jérusalem?
T. Livni. - Il est très important que la France, Israël et
les autres pays du monde libre soient à l'unisson à propos des
menaces qui nous préoccupent tous, comme le terrorisme ou le
nucléaire iranien. Et c'est vrai: nous savons le président Sarkozy
très clair et déterminé sur les moyens et les actions qu'il va
falloir mettre en oeuvre. Les terroristes ou l'Iran ne menacent
pas seulement Israël mais aussi les Palestiniens et les pays
arabes modérés. Or, à Paris, on a trop longtemps fait l'erreur de
considérer que soutenir Israël, c'était être contre les
Palestiniens ou contre les Arabes. Avec Nicolas Sarkozy, cette
époque me semble révolue, c'est une bonne chose. Et je pense que
la France aura un rôle clé à jouer, un rôle positif dans le
processus de paix et de stabilité du Moyen-Orient.
Ancien officier de l'armée puis du Mossad, Tzipi Livni,
49 ans, est avocate. Elue en 1999 à la Knesset, cette mère de deux
enfants a détenu plusieurs portefeuilles au sein des gouvernements
Sharon et Olmert. Après les révélations de la commission Winograd,
sur les ratés de la guerre du Liban, elle avait souhaité la
démission du Premier ministre, dont elle est aujourd'hui, au sein
du parti Kadima, l'un des successeurs possibles...
Henri Guirchoun
Le Nouvel Observateur |