Il a débuté sa carrière en
solo, s'est fait connaître en duo avec son frère Wassim et joue
désormais en trio avec le cadet Adnan sur les scènes du monde
entier : le Palestinien Samir Jubran, 34 ans, et ses frères âgés
de 23 et 21 ans, trois virtuoses du oud, le luth arabe, ont
ouvert, jeudi 19 juillet, le Festival de Jérusalem, sommet de la
saison musicale dans les territoires occupés, qui s'achève le 27
juillet. Le concert était organisé dans le monumental Tombeau
des rois, un caveau antique, propriété de la France, au coeur de
la partie arabe de la ville sainte. A cette occasion, le trio
Jubran, accompagné du percussionniste Youssef Hbeisch, a joué
les morceaux de Majaz (Métaphore) disque dont la
sortie en France est prévue le 25 octobre. En attendant, le trio
doit se produire à Langon (Gironde), le 27 juillet.
Guerre civile entre le
Hamas et le Fatah, mise en quarantaine de la bande de Gaza,
grignotage de la Cisjordanie par les colonies, comment être un
artiste dans une ambiance pareille ?
Pour nous Palestiniens, la
politique est notre pain quotidien. Qu'on le veuille ou non,
elle s'engouffre dans chaque minute de notre existence. Dans une
réalité qui n'est pas normale, nous ne serons jamais des
artistes normaux. A ma mesure, en tant que musicien, mon travail
consiste cependant à lutter pour garder une place au rêve. Si
nous laissons la politique envahir complètement notre vie, nous
sommes finis. Tout seul, je suis incapable de construire un
avenir meilleur. Mais avec mon oud, je peux maintenir cet espoir
vivant.
A une soirée poétique à
Haïfa à laquelle vous avez participé, le poète palestinien
Mahmoud Darwish a qualifié de "suicide collectif" les
combats de Gaza. Comment réagissez-vous au coup de force du
Hamas ?
Je ne peux pas me
reconnaître dans un mouvement qui veut donner à la Palestine la
couleur de la religion. Pour moi, la Palestine est beaucoup plus
qu'une carte, qu'un gouvernement ou même qu'un Etat. C'est
d'abord une terre et des gens, animés par la rage de rester
vivants.
Cette identité, en tant que
Palestinien citoyen d'Israël, né à Nazareth, je l'ai longtemps
cherchée. Au début de ma carrière, j'enseignais la musique dans
une école israélienne à Haïfa. En 1996, de retour d'un concert à
Aix-en-Provence, avec, déjà, Mahmoud Darwish, un fonctionnaire
du ministère de l'éducation israélien m'a reproché de m'y être
présenté comme "Palestinien" et m'a dit qu'à l'étranger je
devais représenter Israël. Ce fut un tournant pour moi.
Peu de temps après, j'ai
rencontré ma femme, je me suis installé avec elle à Ramallah et
j'ai cessé de me poser des questions. Maintenant, nous avons
deux gouvernements et notre identité est de nouveau chamboulée.
Mais est-ce si important ? Ici, la seule véritable autorité est
aux mains des Israéliens. Nous n'aurons un gouvernement digne de
ce nom que lorsque l'occupation sera terminée. Pas avant.
Votre identité est
palestinienne, votre inspiration est-elle plurielle ?
Il y a deux types de
joueurs d'oud. Celui qui se produit sur scène vêtu d'une
galabeya qu'il ne porte jamais dans sa propre vie et qui se
comporte comme un conservatoire ambulant des traditions arabes.
Et puis ceux, comme moi et mes frères, qui se servent de leur
oud comme d'une guitare. Bien sûr, nous restons des musiciens
arabes. Nous n'utilisons pas les harmonies de la musique
occidentale et nous n'écrivons jamais nos morceaux. Mais nous
sommes aussi ouverts à de multiples influences.
Pour cet album, par
exemple, j'ai beaucoup écouté de flamenco, notamment les
enregistrements de Paco de Lucia. C'est d'ailleurs le trio qu'il
forma au début des années 1980 avec les guitaristes Al Di Meola
et John McLaughlin à l'origine de l'album Friday Night in San
Francisco, qui m'a donné l'idée de bâtir ma propre
formation.
Propos recueillis par Benjamin Barthe
Lu aussi sur
http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=2321