Georges Ibrahim est comédien, dramaturge et metteur en scène palestinien. Il commente pour Rue89 la situation de la culture et le climat politique des territoires palestiniens. Connu par tous, y compris en Israël, pour sa participation depuis de nombreuses années à des feuilletons télévisés, il a également joué dans nombre de films palestiniens, dont ceux de Hany Abu-Assad (Rana’s Wedding, 2002) et d’Elia Suleiman (Intervention divine, 2002).
Il fut à l’origine de la création, dans les années soixante-dix, du théâtre Al-Kasaba de Jérusalem et en 2000 du théâtre et de la cinémathèque du même nom à Ramallah, institutions dont il est également le directeur. La cinémathèque de Ramallah est le seul cinéma des territoires à proposer, en plus des festivals et des performances, des projections quotidiennes, malgré les problèmes financiers qui l'ont obligé, par le passé, à fermer l’antenne Al-Kasaba de Jérusalem.
Quand et comment avez-vous vous créé la cinémathèque?
La cinémathèque a ouvert en juin 2000 et malheureusement la deuxième Intifada a commencé immédiatement après. Une femme française remarquable nous a donné l’argent nécessaire à la construction du bâtiment. A l’heure actuelle nous ne recevons pas de subventions pour notre fonctionnement quotidien, nous essayons donc de “vendre“ des projets à des sponsors.
Quel est l’état de la culture dans les territoires occupés?
Il est très difficile de travailler dans la culture à l’heure actuelle parce que nous n’avons pas de pays, pas de gouvernement et pas d’argent. Or la culture a besoin d’argent pour exister. Nous ne pouvons produire grand chose sans argent. Comme nous avons vécu sous occupation toute notre vie, nous n’avons jamais été en mesure d’avoir notre propre gouvernement. La culture n’a donc jamais été une priorité. Nous essayons maintenant d’en faire une priorité de la vie quotidienne.
Vous avez récemment dit que la culture était le seul moyen de dépasser les différences et oppositions politiques et idéologiques?
Oui, mais j’évoquais les Palestiniens en tant que peuple plutôt que moi en tant qu’individu. Nous avons beaucoup de difficultés, en tant que nation, à créer une infrastructure culturelle, c’est-à-dire à construire des cinémas et des organisations culturelles dans chaque ville et à obtenir de l’argent pour des productions. Nous n’en avons pas les moyens. Pendant toutes ces années d’occupation, israélienne et auparavant jordanienne, la culture a peu compté. Après les accords d’Oslo, nous avons tenté de mettre en avant la culture mais, encore une fois, les financements n’ont pas suivi. Aujourd’hui, la culture dépend de la générosité de particuliers. Le ministère de la culture, bien qu’existant, est dans l’impossibilité de fonctionner normalement puisque son budget est d’environ 250-300 000 dollars par an, en d’autres termes rien du tout. Ce que nous réalisons dans ce domaine, nous gens de culture, est le fruit de notre amour profond du théâtre, du cinéma, et de la performance, entre autres. Nous prenons nous-mêmes les initiatives et faisons aboutir les projets sans aide ni soutien financier significatifs.
Vous même, dans la journée, consacrez une partie de votre temps à mettre en scène et montrer du théâtre de marionnettes aux enfants des villes et villages de Cisjordanie?
Nous devons commencer à éduquer les enfants dans ce domaine dès le plus jeune âge. Certains d’entre eux seront nos futurs acteurs, réalisateurs de films, ou metteurs en scène de théâtre. Nous produisons de nombreuses pièces de théâtre et nous les emmenons dans les villages, les camps de réfugiés, les écoles, dans le plus grand nombre de lieux différents.
Que pensez-vous de la situation actuelle des territoires palestiniens, et notamment de la quasi-séparation entre Gaza et la Cisjordanie?
Cet état des choses est très mauvais. Ça ne durera pas. Les palestiniens doivent impérativement trouver une solution. S’emparer du pouvoir par la force n’est pas la bonne solution.
En tant que palestinien chrétien comment ressentez-vous la montée du Hamas ?
Je n’ai rien à ressentir en tant que chrétien vis-à-vis du Hamas car notre problème n’est pas un problème religieux. Les palestiniens n’ont pas, entre eux, de problème religieux. Nous avons l’habitude de nous battre ensemble et nous avons aussi l’habitude de vivre ensemble. Notre problème avec le Hamas est politique bien plus qu’il n’est religieux. Le Hamas fait partie de la société palestinienne, il n’est pas notre ennemi.
Quelles sont, selon vous, les options concernant la division entre les territoires et la division entre Hamas et Fatah?
Une chose est certaine: ce problème doit
être résolu au plus vite et il le sera sans doute dans un
futur proche. Nous ne pouvons pas vivre de la sorte, avec le
Hamas au pouvoir à Gaza et le Fatah en Cisjordanie. C’est
complètement absurde. Ce que les Israéliens ont fait, en nous
divisant, suffit largement. Si les palestiniens se mettent
maintenant à faire la même chose, la situation devient
complètement ridicule.
Après l’élection du Hamas et l’entrée de ses membres au
gouvernement, les robinets ont été fermés. Nous avons été
punis collectivement, et la vie culturelle en est affectée.
Ceci est absurde et injuste, on essaie de nous imposer des
actions sans jamais nous donner le choix. La culture et
l’éducation sont en outre nos seuls outils pour faire face à
la montée du Hamas.
Pensez-vous que cette situation aggrave les relations avec Israël ? Quelles sont les possibilités de négociations?
Israël tire tous les bénéfices de cette situation et les Israéliens profitent ce que nous nous infligeons à nous-mêmes. Mais Israël se trompe en refusant de résoudre le problème et en reportant constamment les négociations. Ils pensent encore que c’est en maintenant le status quo que le problème sera résolu. Cette attitude a fonctionné en 1948 mais elle ne fonctionne plus à l’heure actuelle parce que les palestiniens, en tous les cas je l’espère, ont compris la leçon et ne donneront pas à Israël la possibilité de maintenir cette situation éternellement. Aujourd’hui, les Palestiniens sont plus de 3 millions et demi ici et 6 millions à l’étranger. Il faut absolument trouver une solution, le monde entier --et en particulier l’Europe-- est responsable et doit trouver une solution. Et l’Europe ne prend aucune initiative dans ce domaine. Je souhaite qu’une solution soit trouvée dans les plus brefs délais. Dans le cas contraire, cette région s’expose à vivre des temps désastreux.
Si des lecteurs souhaitent aider George Ibrahim, le théâtre Al-Kasaba et la cinémathèque de Ramallah, il est possible de rentrer directement en contact avec lui: info@alkasaba.org
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