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 Liberté-Hebdo   n°766 du 10 au 16 août 2007 - page 19 Arts&Cultures

 

Le « Ministère des Affaires Populaires » rentre d’une tournée en Palestine.

Entretien avec Dias, l’un des auteurs et interprètes du groupe de rap nordiste.

Dias

«Réconcilié avec l’humanité »

Lille. Lundi 6 août 2007. Terrasse d’un bistrot des rues piétonnes. Dias se pose volontiers quelques minutes. Demain, le Ministère des Affaires Populaires (MAP) se lèvera tôt. Direction la Hongrie. Le Sziget Festival de Budapest. Pas de trêve estivale pour les rappeurs nordistes du Ministère des Affaires Populaires. Mais plongeon la tête la première dans le bonheur de se produire sur des scènes rassemblant plusieurs dizaines de milliers de personnes. Dans l’actu du groupe : le premier album « Debout là d'dans » vendu à 20 000 exemplaires, une présélection pour représenter la France à l’Eurovision, des concerts au Maroc, au Festival Solidays, aux Francofolies de La Rochelle, une semaine entière sur scène et autant de trajets dans le même camion en parfaite complicité avec Hakim et Mouss (ex-Zebda), quelques dates en Algérie en septembre... « Récompense », reconnaissance, pour ce groupe qui tchatche désormais à l’international, en blouse bleue, sur des airs d’accordéon musette et de violon oriental, demeurant pourtant étrangement absent des programmes des radios à large audience. Mais le rap du MAP ne se pose jamais en victime. Se disant effectivement «pas plus victime que la majorité des autres face à une société individualiste et aux lois du business », Dias, le fils d’immigrés algériens qui a poussé à Roubaix, rencontre aujourd’hui Liberté Hebdo pour évoquer l’actu des actus du groupe : la tournée en Palestine ! « C’était en juin dernier, à l’initiative de centres culturels français. Les Palestiniens nous demandaient sans cesse de ne pas les oublier. On n’oubliera jamais ! »


L’atterrissage en Israël

« Débarquer à Tel Aviv, c’est débarquer dans l’aéroport le plus protégé du monde. Une heure au moins d’interrogatoire sur les motifs de ton séjour. Et on te signifie qu’avec ta belle tronche basanée tu n’es pas le bienvenu ici. Tel Aviv c’est Saint-Tropez. Tout est dans le paraître. Personne ne vient à ta rencontre. Même discrimination que dans les pays occidentaux envers les plus pauvres, les prolos, qui sont ici notamment les juifs sépharades venus du Maghreb, et les Bédouins que l’ont qualifierait chez nous « de gens du voyage »... Devant la porte du moindre snack, un vigile armé. »

Le concert à Haïfa

« Sauf erreur, Haïfa est la ville où Sarkozy a réalisé son meilleur score mondial. 95% des voix. Au début, à tort ou à raison, dans le souci d’être cohérent avec nos prises de position contre l’occupation de la Palestine, nous avions refusé les dates israéliennes de la tournée. Mais cela signifiait tout annuler. Nous avons donc accepté de chanter aussi en Israël. C’était le prix à payer… Nos affiches avec l’accordéon, annonçant un groupe venu de France, ont attiré la foule. Salle bondée, notamment d’expatriés français. Puis sont venues les paroles de « Debout là d’dans » qui disent notamment « ce soir on vous met dans la tête une idée révolutionnaire, peace unity à coup de ghetto blaster, message de paix, de Buenos Aires à Ramallah, tous solidaires de Dakar à Jakarta, etc. » Les trois quarts des spectateurs ont quitté la salle… Aucun article dans la presse. Désolés, mais nous sommes justes restés nous-mêmes. »

La Palestine occupée, le mur de séparation…

« Désolation. Des paysages à la Mad Max, à dix minutes des beaux quartiers de Tel Aviv. Dans le camp de réfugiés d’Aïda, près de Bethléem, la scène pour le concert était collée au mur ! Ce mur, la première fois que tu le vois tu te le prends comme un coup de boule. L’occupation, ces check points dont tu as entendu parler à travers le spectre de la presse, là, sont des passages obligés. Tu vis tout à coup l’humiliation, l’exclusion, l’injustice. Et tu n’abordes plus seulement ce fait avec le coeur comme tu le fais depuis la France, mais avec ta révolte d’être humain. Les plaques d’immatriculation ne distinguent pas seulement la région d’où tu es. Mais aussi le fait que tu sois Palestinien ou Israélien. La couleur des éclairages publics des quartiers palestiniens est différente de celle des quartiers abritant des colons. En cas de bombardement de nuit, pas d’erreur possible. »

Le concert à Ramallah

« Soirée de clôture de la Semaine de la Musique. Nous partagions l’affiche avec Souad Massi. Nous avons fait des efforts pour nous exprimer en arabe littéraire entre les morceaux. Ayant même recours à des traducteurs en direct pour être sûrs d’être compris. Et là, l’émotion était au maximum. Jamais nous n’avions vécu un concert avec une telle intensité. Au niveau humain comme au niveau artistique. »

Le peuple palestinien

« L’arabe dialectal que nous parlons avec nos parents algériens n’était pas suffisant pour dialoguer. Nous échangions surtout en anglais. A peine tu arrives, qu’une cinquantaine d’enfants t’entourent. Te prenant par la main pour t’emmener boire et manger à la maison. Pas pour taxer une pièce ou une clope. La culture de la générosité, de la dignité et le sens de l’accueil de l’étranger sont frappants. Aller vers l’autre, savoir qui il est, pour échanger avec lui est une chose naturelle. De quoi nous réconcilier définitivement avec l’humanité. La preuve que l’homme est bon. (…) N’importe qui là-bas, connaît parfaitement l’histoire du pays. Les opinions s’expriment en permanence, à travers des conversations souvent très vives. Chacun fait preuve d’un niveau de conscience politique qu’on ne trouve en France que chez les intellos ! (…) Nous avions un rapport d’autant plus sensible avec la population que, sous la présidence de Boumediene, nombre de jeunes Palestiniens étaient allés étudier à Alger. Beaucoup en sont revenus mariés. Exilés, fils d’exilés… ça crée des liens particuliers. Mais tout le Ministère des Affaires Populaires a été accueilli avec une immense chaleur. Au point de tomber amoureux de ce peuple. (…) Iran, Irak, Pakistan, Palestine, sur nos écrans tout se confond. Mais pas du tout en réalité ! Promis, on mettra prochainement des photos sur le site internet. Pas de photos de gens qui hurlent en trimballant des cercueils. On n’a pas vu cela. Alors que dans nos médias on a le sentiment que cela se passe à chaque coin de rue. « Ne nous oubliez pas », la seule demande qui nous était faite. On n’oubliera jamais. A mon avis, cette tournée n’inspirera pas une chanson en particulier, mais influera toujours sur le regard que nous porterons sur la société et l’humanité. »

Propos recueillis
par Laurence Mauriaucourt

Pour en savoir plus sur le Ministère des Affaires Populaires, le site Internet : www.map-site.fr

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