Haidar Abdel Shafi Article paru dans l'édition du 30 septembre 2007 Dirigeant de la délégation palestinienne à la Conférence de Madrid sur le Proche-Orient, en 1991, Haidar Abdel Shafi est mort le 25 septembre à Gaza des suites d'une longue maladie. Il était âgé de 88 ans. L'histoire lui avait enseigné la résistance, et la manière d'en faire bon usage. Il avait connu tour à tour à Gaza la fin de l'Empire ottoman, le mandat britannique, la tutelle égyptienne, l'occupation israélienne, la création de l'Autorité palestinienne et enfin le fiasco d'un processus de paix qui s'acheva dans les flammes de la deuxième Intifada. Cette traversée mouvementée avait forgé en lui un pessimisme raisonné. S'il n'a jamais désespéré de la création d'un Etat palestinien, il a toujours été convaincu que les chemins suivis jusqu'à présent ne menaient nulle part. Haidar Abdel Shafi naît en 1919 dans une famille respectée. Son père, Mouheddin Abdel Shafi, dirige le conseil chargé de la gestion des lieux saints musulmans. Il étudie à Gaza puis à Jérusalem, avant de se tourner vers la médecine, à l'Université américaine de Beyrouth, haut lieu du nationalisme arabe, d'où il sort diplômé en 1943. Il rejoint un an plus tard l'armée britannique puis s'établit après la guerre à Gaza. C'est d'ailleurs en tant que médecin qu'il est mêlé à la première guerre israélo-arabe qui suit la proclamation de l'Etat juif en 1948. Il participe à l'accueil des 200 000 Palestiniens chassés de leurs terres par les combats, et qui ont trouvé refuge à Gaza. Menant de front la médecine et la politique, il préside le premier Conseil législatif palestinien institué à Gaza en 1962 et assiste à ce titre, deux ans plus tard, au Congrès national palestinien au cours duquel est créée l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), dans la partie orientale de Jérusalem. A partir de la fin des années 1960, la percée de Yasser Arafat et de ses fedayins dans l'opinion internationale marginalise durablement les nationalistes restés comme lui dans les territoires occupés. Compagnon de route de Georges Habache, qui étudia également la médecine à l'Université américaine de Beyrouth, et du Front populaire de libération de la Palestine, Haidar Abdel Shafi a maille à partir avec Israël, qui occupe Gaza à partir de 1967. Directeur du Croissant-Rouge palestinien à partir de 1972, il critique vivement les accords de Camp David, qui voient l'Egypte rompre l'unité arabe en 1978 pour signer une paix séparée avec Israël. Avec la première Intifada, soulèvement populaire qui prend de court, en 1987, Yasser Arafat, replié à Tunis après son éviction du Liban cinq ans plus tôt, le nationalisme palestinien "de l'intérieur" retrouve du prestige. Haidar Abdel Shafi s'impose comme l'une des voix les plus écoutées de ce mouvement de désobéissance civile qui malmène Israël. Il est propulsé à la tête de la délégation palestinienne dépêchée sous "tutelle" jordanienne à la Conférence de Madrid en 1991, puis à Washington. Haidar Abdel Shafi, qui s'est prononcé sans ambiguïtés en faveur de deux Etats vivant côte à côte, négocie âprement pendant plus d'un an en liaison avec la direction extérieure palestinienne sans rien obtenir d'Israël. Il est frappé de stupeur lorsqu'il découvre très tardivement l'existence d'un canal secret de négociations supervisé par Yasser Arafat qui parvient à Oslo à un accord paraphé de manière spectaculaire sur les pelouses de la Maison Blanche, le 13 septembre 1993. UNE ANALYSE PRÉMONITOIRE Cet accord, selon lui, porte les germes de son échec. Le chef de l'OLP, bientôt patron de l'Autorité palestinienne, n'est pas parvenu à obtenir le gel de la colonisation de Gaza et de la Cisjordanie que lui considère comme un préalable non négociable. Cette analyse s'avère prémonitoire puisque le nombre de colons israéliens va doubler pendant les années qui vont suivre. Critique opiniâtre de l'Autorité palestinienne, Haidar Abdel Shafi est plébiscité lors des premières élections législatives palestiniennes organisées en janvier 1996, mais Yasser Arafat prend soin de verrouiller le Conseil législatif en imposant contre lui à sa présidence Ahmed Qoreï, l'un des principaux négociateurs d'Oslo. Les faits, dès lors, ne cesseront de donner raison à Haidar Abdel Shafi. Convaincu de l'incapacité des Israéliens à se résoudre à la création de la Palestine, il dénonce les dérives autoritaires du chef de l'Autorité palestinienne. Au début de la deuxième Intifada, il plaide inlassablement pour un gouvernement d'union nationale associant le Fatah et le Hamas. En vain. Il soutient, à la mort de Yasser Arafat, fidèle à ses idées, un ancien responsable communiste, Moustafa Barghouti, lors de l'élection présidentielle de 2005 remportée par Mahmoud Abbas. Ce sera son dernier acte politique. A Gaza comme en Cisjordanie, le nationalisme intransigeant et épuré de toute religiosité dont il était l'un des dépositaires les plus convaincants a depuis longtemps cédé la place aux islamistes du Hamas.
Gilles Paris |