Retour

    International - Article paru le 18 décembre 2007

Bichara Khader : « On est en pleine fiction »

Le chercheur belge, enseignant à l’université de Louvain, évoque la limite de contributions financières ne pouvant « servir qu’à couvrir les méfaits de l’occupation ».

Bichara Khader est directeur du Centre d’études et de recherches sur le monde arabe contemporain de l’Université catholique de Louvain.
Cet intellectuel belge d’origine palestinienne (il est le frère de Naïm Khader, ancien représentant de l’OLP assassiné à Bruxelles) est un spécialiste réputé des relations euro-arabes (1).
Il répond à nos questions.

Est-il crédible de prétendre financer un État inexistant, dont on ne connaît ni les contours ni les frontières ?

Bichara Khader. On est en pleine fiction ! La Conférence entend débloquer cinq milliards et demi de dollars, ce qui correspond aux demandes faites par le premier ministre palestinien El Fayyad. Mais je ne vois pas en quoi injecter une somme pareille, dans une économie totalement ravagée par la colonisation, peut être utile aux Palestiniens.

Dans quel état est effectivement l’économie palestinienne ?

Bichara Khader. Elle est detruite. Il est même difficile de parler encore d’une économie palestinienne. Le principe fondamental de toute économie est la libre circulation des personnes et des marchandises. Or les territoires palestiniens sont fragmentés par plus de 500 barrages qui entravent totalement cette circulation. Un paysan de Jenine ne peut pas aller vendre sa production à Ramallah. Les Palestiniens n’ont aucun débouché pour leurs produits, ni intérieur, ni extérieur. Ils ne peuvent pas exporter une caisse d’oranges sans autorisation israélienne. Que ce soit vers les pays arabes ou vers l’Europe. Les marchandises agricoles doivent passer par les ports israéliens. Elles y restent à moisir sur les quais et ne sont plus comestibles quand elles arrivent à destination. Quant au secteur de la petite industrie – cimenteries, fabriques de savons, de textile –, il s’est totalement effondré lui aussi. Depuis 2000, les Palestiniens ont perdu la moitié de leur revenu intérieur brut. Le chômage dépasse les 45 % à Gaza, où 35 % de la population vit dans un état d’extrême pauvreté. Et on n’est pas très loin de ce chiffre en Cisjordanie.

Dans un tel contexte, toute contribution financière n’est-elle pas une bouffée d’oxygène ?

Bichara Khader. Les contributions financières sont les bienvenues, mais elles ne peuvent guère servir qu’à couvrir les méfaits de l’occupation. En aucun cas à relancer l’économie, aussi longtemps que le blocus et la fragmentation du territoire perdurera. Au cours des vingt dernières années, la Communauté internationale a versé plus de 5 milliards d’euros, et la situation est pire qu’il y a vingt ans. Ces dépenses ont seule- ment servi à maintenir en place une Autorité palestinienne fictive et à couvrir les méfaits de l’occupation israélienne. Un exemple : l’aéroport de Gaza, qui avait été entièrement financé par l’Union européenne, a été détruit par Israël et labouré au bulldozer. Et il en est de même du port.

En quoi ces dépenses ont-elles aidé les Palestiniens ?

Bichara Khader. La vraie question que devraient se poser les Américains et les Européens, c’est celle de la viabilité. Or, il n’y a pas de viabilité d’une économie tant qu’elle subit de telles entraves, tant que les Palestiniens ne sont pas les maîtres de leurs ressources. Prenez l’eau : 60 % des ressources en eau sont détournées et utilisées par Israël. Un autre vice de cette conférence, c’est qu’elle est aussi faite pour marginaliser le Hamas et diviser les Palestiniens. Si on veut vraiment du bien aux Palestiniens, il faut oeuvrer à leur unité, pas à leur division. Il faut aussi et avant tout arracher à Israël des engagements réels de lever le blocus de l’économie, les barrages sur le territoire et d’arrêter la colonisation. Mais voyez ce qui se passe depuis Annapolis, il y a moins d’un mois : plus de 40 Palestiniens ont été tués et Israël a décidé de construire 307 nouveaux logements coloniaux à Ar Homa. Tant qu’Israël continue de créer des faits accomplis qui rendent impossible la création d’un État palestinien, de telles conférences ne servent à rien.

Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin


(1) Bichara Khader est l’auteur de plusieurs ouvrages. Il vient de publier une étude critique sur le projet d’Union méditerranéenne cher à Nicolas Sarkozy. L’Europe et la Palestine des Croisades à nod jours (1999, l’Harmattan, Académia). Le partenariat euro méditerranéen vu du Sud (2001). Palestine, mémoire et perspective (2005).

Retour