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Point de vue

Israël-Palestine, l'ultime tentative

Serge Michaïlof

Article paru dans l'édition du 21 décembre 2007

La paix passe par la construction d'un Etat palestinien
économiquement viable, politiquement pacifié et ouvert

Le gouvernement du premier ministre palestinien Salam Fayyad tente de redresser une situation budgétaire catastrophique et de jeter les bases d'un Etat moderne. Il s'agit d'une opération de la dernière chance pour les modérés du Fatah. Ou bien cette équipe, dont la compétence est reconnue, réussit en 2008 à créer en Cisjordanie l'embryon d'un Etat palestinien, ou bien elle sera balayée par les extrémistes du Hamas. Le monde entier en est conscient, ce qui explique la réussite de la récente conférence des donateurs, à Paris, et la promesse de mobilisation de 7,4 milliards de dollars, soit près de 2 milliards de plus que le montant demandé.

 

La paix va aussi dépendre de la capacité de la nouvelle administration palestinienne à instaurer la sécurité et à convaincre Israël de relâcher l'étau sécuritaire qui paralyse l'économie. L'expérience des cinquante dernières années montre qu'il faut toujours trois piliers pour réussir une sortie de conflit de ce type : un accord politique équilibré, une restauration de la sécurité et une relance de l'économie. Instaurer la sécurité en Cisjordanie suppose le désarmement de toutes les milices qui ont depuis longtemps proliféré. Le Fatah, qui n'est jamais parvenu à choisir clairement entre résistance et paix, doit maintenant sortir de l'ambiguïté qui a autrefois conduit Yasser Arafat à une impasse. La tâche est difficile pour un gouvernement de techniciens, mais il n'a pourtant pas d'autre option qu'instaurer la sécurité en Cisjordanie. Faute de quoi, les Israéliens auront beau jeu de refuser toute levée de leur étau sécuritaire.

 

Toutes les analyses récentes mettent en évidence l'impact ravageur sur l'économie palestinienne des mesures de restriction apportées à la circulation, qui conduisent à une fragmentation de l'espace incompatible avec le fonctionnement d'une économie. Ce bouclage explique que, de 1999 à 2006, le revenu par habitant se soit réduit de près d'un tiers, passant de 1 612 à 1 129 dollars. Ce sont donc désormais principalement l'aide internationale et les transferts de la diaspora qui alimentent une économie dont la base productive est en cours d'implosion.

Les perspectives de croissance qui sous-tendent le plan de réforme et de développement présenté à Paris supposent un desserrement des contraintes de circulation, pour permettre à l'économie de respirer à nouveau. Or nous avons droit sur ce point à un service minimum inquiétant de la part des autorités israéliennes. Peut-être ne croient-elles pas à la capacité du gouvernement Fayyad d'établir la sécurité en Cisjordanie ?

Il est aussi permis de se demander si l'hésitation israélienne à s'engager clairement ne correspond pas à une rivalité entre le ministre israélien de la défense, Ehoud Barak, et le premier ministre, Ehoud Olmert, et à une myopie de l'armée et des services de sécurité. Ces derniers semblent se refuser à reconnaître que la paix en Palestine implique pour Israël un arbitrage entre son souci de sécurité à court terme, qui repose sur le bouclage des territoires palestiniens, et un objectif de sécurité à long terme, qui exige la création d'un Etat palestinien viable. Si la myopie sécuritaire israélienne devait conduire le gouvernement Fayyad à l'échec, pour la population palestinienne, l'option de la négociation conduite par les modérés apparaîtra comme une impasse. Et, ainsi que le répète la propagande du Hamas, la lutte armée et les attentats deviendraient le seul moyen de faire fléchir Israël.

Le maintien du bouclage sécuritaire sur le long terme constitue donc pour Israël une option déraisonnable. L'alternative à un Etat palestinien doté d'une économie dynamique intégrée à la mondialisation est soit l'Etat binational - refusé avec acharnement par Israël -, soit une "bantoustanisation" de la Palestine. Cette dernière solution correspond à la poursuite de la transformation en cours de la Palestine en une série de "cantons" isolés les uns des autres par des colonies israéliennes. Faute d'un accord de paix en 2008, ce schéma a toutes chances de s'imposer rapidement dans les faits.

Mais quelle économie est envisageable dans de tels îlots surpeuplés et sans ressources, dont un modèle est offert par la bande de Gaza, où le taux de chômage atteindrait désormais 44 % ? De quoi pourront vivre ses habitants si, en outre, ces entités sont isolées d'Israël et coupées de l'économie mondiale ? Indépendamment de toute considération éthique, même si un tel schéma est envisageable sur quelques années, dans vingt ans la population palestinienne aura doublé. Croire qu'en 2030 on pourra parquer et oublier derrière un mur 7 millions de personnes sans emploi ni espoir est déraisonnable.

La zone Moyen-Orient - Maghreb constituera dans l'avenir, encore bien plus qu'aujourd'hui, une dangereuse poudrière. Le scénario esquissé ci-dessus consisterait à laisser délibérément construire le détonateur d'une explosion majeure dont les retombées nous concerneraient tous. Le succès ou l'échec du gouvernement Fayyad n'est donc pas un sujet mineur. Si, par myopie sécuritaire, certains responsables israéliens font échouer cette option de la dernière chance, le problème palestinien, de local, deviendra alors un problème majeur global insoluble dans un monde menacé par un "choc des civilisations". Nous avons grand besoin que des sages, en Israël, reprennent le contrôle d'un processus qui risque d'échapper à la raison.

Serge Michaïlof enseigne à Paris-I - Sorbonne et à Sciences Po-Paris

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