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D’Annapolis à Paris : le temps des illusions samedi 29 décembre 2007 - Jean-Paul Chagnollaud - Confluences méditerranée http://www.info-palestine.net:80/article.php3?id_article=3477 Pour la première fois, en effet, depuis les négociations de Taba en janvier 2001, les grandes questions du conflit israélo-palestinien, dont tout le monde connaît la solution théorique, ont été évoquées. Il est également très positif que des pays comme l’Arabie saoudite, à l’origine du plan de paix proposé à Israël par la Ligue arabe dès 2002, et la Syrie aient accepté d’y participer. Le Quartet était également présent comme le furent aussi des représentants d’autres puissances comme la France. Quelques semaines plus tard à Paris, pas moins de 70 Etats et une vingtaine d’institutions internationales ont dit leur volonté de donner les moyens nécessaires à la création de cet Etat en offrant plus de sept milliards de dollars sur trois ans pour combler les déficits du budget de l’Autorité palestinienne, lancer des projets économiques et entreprendre des travaux d’infrastructure. Par ailleurs, les déclarations des principaux acteurs ont été dans le même sens pour affirmer une détermination commune d’aller au bout de ce processus qui devrait donc permettre de voir émerger un Etat palestinien à côté d’Israël. A cette occasion, le président Sarkozy a confirmé la politique de la France en demandant le retrait d’Israël de la Cisjordanie tout en se déclarant prêt à aller plus loin dans l’engagement sur le terrain par l’envoi « le moment venu » d’une « force internationale » dont les contours sont cependant restés très flous. A en croire ce qu’on a vu et entendu, tout est donc pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, comme disait Pangloss, un des personnages de Candide, le classique conte de Voltaire. Malheureusement le fossé qui sépare l’énoncé de ces bonnes intentions des pesanteurs politiques sur le terrain est d’une profondeur abyssale. D’abord, il y a l’amnésie... si, en effet, le budget de l’Autorité palestinienne a été englouti par le tourbillon infernal des déficits cumulés, c’est parce que les Etats-Unis et l’Union européenne ont décidé de cesser brusquement leur aide financière au lendemain de la victoire du Hamas, en 2006 ; victoire dont on ne répètera jamais assez qu’elle fut parfaitement régulière comme l’ont attesté les observateurs internationaux (dont nombre d’Européens) qui les ont suivies. Mais comme, selon les Occidentaux, le peuple palestinien avait mal voté, il fallait le punir. Ce qui fut fait avec un acharnement systématique pour le plus grand bonheur du gouvernement israélien qui pouvait ainsi continuer de refuser de négocier tout en poursuivant sans relâche la colonisation de la Cisjordanie et l’annexion de Jérusalem-Est. Le résultat était prévisible : en moins de deux ans la situation économique et sociale des Palestiniens est devenue catastrophique aussi bien à Gaza, étouffé par un implacable blocus, qu’en Cisjordanie dont le territoire est fragmenté, émietté, balafré par la centaine de colonies, les cinq ou six cents barrages et le mur qui, du haut de ses huit mètres de béton, écrase la Palestine. Mais tout ceci, nous dira-t-on, s’explique et se justifie pour des raisons de sécurité. Les Israéliens veulent et doivent se protéger contre les attaques des terroristes ; les blocus, les barrages et la répression sont donc légitimes et il est vrai que tout Etat a le droit et même le devoir d’assurer la protection de ses citoyens. Mais cette argumentation, sans cesse répétée en Israël, aux Etats-Unis et ailleurs, laisse de côté un aspect capital du problème : si des violences erratiques surgissent du tréfonds de la société palestinienne, c’est que cette société est soumise depuis quarante ans à une occupation militaire qui la prive de ses libertés les plus élémentaires et de ses droits les plus fondamentaux. En d’autres termes, la source principale de l’insécurité d’Israël par rapport aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza est précisément l’occupation qu’il impose par la force pour le plus grand profit des 450.000 colons installés en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, c’est-à-dire en territoire palestinien. Prétendre qu’il n’est pas possible de lever des barrages pour des raisons de sécurité revient à confondre l’effet et la cause car un barrage est aussi et sans doute d’abord une forme d’oppression contre laquelle les plus jeunes et les plus déterminés voudront toujours se dresser par tous les moyens. Au point que certains choisiront même de mourir pour donner un sens à leur vie, aujourd’hui dénuée de tout espoir. Et si on doit parler de sécurité, il faut absolument que ce soit pour tous. On ne peut rien construire de fort et de durable dans ce domaine si la sécurité pour les seuls Israéliens se fonde sur l’insécurité absolue pour les Palestiniens qui, à tout moment, de jour comme de nuit, peuvent subir l’intervention arbitraire de la puissance occupante. Compte tenu de l’évolution des mentalités en Israël depuis le début de cette désastreuse Intifada, il est peu probable qu’un gouvernement puisse trouver les ressources politiques nécessaires pour oser prendre les risques de la paix d’autant moins qu’aujourd’hui ce pays n’a plus de personnalités d’envergure capables de montrer la voie comme l’ont fait, chacun à leur manière, des hommes comme Yitzak Rabin ou Ariel Sharon. L’actuel premier ministre, Ehoud Olmert, n’est qu’un « héritier » sans charisme qui, de surcroît, a perdu l’essentiel de sa crédibilité avec le déclenchement de la guerre du Liban en 2006. Par ailleurs, il est dépendant d’une coalition parlementaire très hétéroclite dans laquelle cohabitent, pour le maintien du statu quo, des hommes du centre et de l’extrême droite comme Avigdor Liberman, partisan déclaré d’un transfert des Arabes israéliens, pour lequel la moindre concession qui serait faite aux Palestiniens relève de la trahison. Du côté palestinien, la situation politique n’est guère plus enviable. Mahmoud Abbas est lui aussi un « héritier » sans charisme qui ne peut s’appuyer que sur une bureaucratie démantelée par six années d’une répression particulièrement lourde. Son parti, le Fatah, ne vaut guère mieux puisqu’il est, depuis des années, en proie à de vives contradictions internes. Incapable de gérer sa défaite face au Hamas lors des élections législatives de janvier 2006, le Fatah s’est lancé dans une offensive tous azimuts de déstabilisation du gouvernement dirigé par les islamistes sans voir qu’il en serait aussi la victime puisque cela revenait à saper en profondeur les fondements de l’unité nationale palestinienne sans laquelle aucune perspective de libération n’est possible. Cela a conduit à un affrontement qui a dégénéré en violences armées entre les deux mouvements, en particulier à Gaza où le Hamas est très bien implanté. On connaît l’issue de ces combats fratricides. Désormais cette opposition frontale s’est matérialisée par une cassure du territoire palestinien avec d’un côté la Cisjordanie contrôlée par le Fatah et, de l’autre, Gaza dominé par le Hamas. Dans cette affaire dramatique, il est évident que le Hamas porte aussi une énorme part de responsabilité même si les conditions qui lui ont été imposées par les Occidentaux rendaient sa tâche pratiquement impossible. Cette situation chaotique a renforcé les éléments les plus radicaux de ses instances dirigeantes qui, depuis des mois maintenant, multiplient les postures aussi agressives que stériles. Les premières victimes de ces errements sont les habitants de Gaza qui, dans l’indifférence générale, s’enfoncent dans une crise économique, sociale et sanitaire absolument catastrophique, malgré les cris d’alarme lancés par l’Unwra ou la Banque mondiale. Comment imaginer que ces deux leadership presque en lambeaux puissent réussir à surmonter leurs désaccords sur les questions qui sont au cœur du conflit depuis des décennies : la sécurité, les réfugiés, Jérusalem, les frontières et la colonisation. Cela est d’autant moins vraisemblable qu’on refait la même erreur qu’au moment du processus d’Oslo : laisser seuls, face à face, les Israéliens et les Palestiniens, sans la moindre médiation internationale capable d’arbitrer dans l’intérêt des deux parties. Ce n’est que lorsqu’il y eut, entre juillet et décembre 2000, l’intervention du président Clinton et de ses fameux paramètres que la négociation avait été relancée ; mais il était déjà trop tard, la deuxième Intifada avait commencé, le mandat du président américain arrivait à son terme et Ariel Sharon était aux portes du pouvoir. Or l’initiative lancée à Annapolis n’a prévu que des rencontres régulières entre Ehoud Olmert et Mahmoud Abbas qui sont ainsi condamnés à un huis-clos qui sera probablement stérile d’autant plus qu’il ne faut jamais oublier qu’ il ne s’agit pas de négociations entre acteurs politiques situés sur un même pied d’égalité mais d’un face à face inégal entre le représentant d’une puissance occupante et celui d’un peuple sous occupation. Le rapport de forces est donc totalement déséquilibré. D’où l’importance cruciale d’une médiation fondée sur le respect du droit international et des résolutions des Nations unies. Ce qui passe nécessairement par des pressions internationales sur Israël à l’instar de ce qu’avaient fait les Etats-Unis avec James Baker au moment de la conférence de Madrid en 1991. Un tel engagement serait dans l’intérêt des Palestiniens qui pourraient enfin espérer sortir de leur condition de peuple dominé mais aussi dans celui de l’Etat hébreu pour lequel la création d’un Etat palestinien à ses côtés est la meilleure garantie de sa sécurité à long terme car elle lui permettrait de réussir sa pleine intégration dans la région. Sans un tel effort diplomatique, il est à craindre que la perspective d’un Etat palestinien en 2008 ne soit qu’une illusion de plus. Le processus d’Oslo l’envisageait déjà pour 1999 et la feuille de route pour 2005 ! La conférence de Paris qui a réussi de manière spectaculaire à rassembler toute la communauté internationale pour dégager des milliards de dollars « pour l’Etat palestinien » risque ainsi, faute de véritable volonté politique, de manquer complètement ses objectifs alors qu’elle constitue un grand pas dans la bonne direction. Un nouvel échec de cette ampleur ne pourra que renforcer le camp de tous les extrémistes et relancer le cycle tragique des violences sans fin. Jean-Paul Chagnollaud est professeur de sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise, et spécialiste de la question palestinienne. Il est le rédacteur en chef de la revue Confluences Méditerranée et directeur de la collection Comprendre le Moyen-Orient chez L’Harmattan. |