3 JUILLET 2008 www.lemonde.fr/proche-orient/article/2008/07/02/aqaba... ISRAËL-PALESTINE L'EXTENSION D'UNE ZONE MILITAIRE ISRAELIENNE Aqaba, « un minuscule village » de Cisjordanie, redoute l'arrivée des bulldozers israéliens AQABA (Cisjordanie) De toutes les mairies de Cisjordanie, celle d'Aqaba est sûrement la plus modeste. Elle consiste en cinq bancs de pierre disposés autour du tronc noueux d'un caroubier centenaire. Une option bucolique imposée par la bureaucratie militaire israélienne. Comme dans des centaines d'autres localités palestiniennes, les gens d'Aqaba, un modeste hameau de la vallée du Jourdain, n'ont pas le droit de construire sur leur propre terre. Pis : les trois quarts des bâtiments étant frappés d'un ordre de démolition dans la mesure où ils ont été bâtis sans permis, Aqaba est menacé de disparaître. "Une honte pour Israël" L'armée israélienne, qui dispose déjà de deux bases à proximité, ne cache pas son désir d'étendre la zone d'entraînement qui jouxte l'endroit et perturbe les nuits de ses trois cents habitants. « Ce serait une honte pour Israël et pour la communauté internationale qu'un Etat aussi puissant s'amuse à détruire un minuscule village comme le nôtre », s'indigne Sami Sadek, le maire. « Ce serait une catastrophe, la répétition des événements de 1948 », ajoute-t-il en référence à l'exode forcé de centaines de milliers de Palestiniens, lors de la création d'Israël. Le malheur d'Aqaba se résume en un mot et une lettre : zone C. Ce jargon hérité du processus de paix, désigne les secteurs de la Cisjordanie où l'Autorité palestinienne ne dispose d'aucun contrôle, ni civil ni sécuritaire. Eparpillées sur des aires jugées stratégiques par Israël, comme les frontières, les grands axes de communication et les terres d'implantation des colonies, les zones C regroupent plus de 60 % de la superficie de la Cisjordanie et abritent, partiellement ou totalement, 260 000 Palestiniens. Une population qui fait l'objet d'une campagne de discrimination érigée en système, comme l'a démontré un récent rapport du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA). Permis de construire refusés Selon ses enquêteurs, entre 2000 et 2007, 94 % des demandes de permis de construire déposées par des habitants de la zone C ont été refusées par l'administration militaire israélienne. Seulement 91 autorisations ont été accordées, alors que, durant la même période, près de 18 500 habitations ont été bâties dans les colonies juives voisines. Obligés de construire sans permis, les Palestiniens sont alors sanctionnés, avec une vigueur qui n'est pas moins sélective. Selon le rapport, 30 % des ordres de démolition édictés entre 2000 et 2007 à l'encontre de bâtiments en zone C ont été exécutés, contre 7 % dans le cas des colonies. Salim Jaber est l'un de ces habitants dont la vie à Aqaba est en sursis. Il y a six mois, cet octogénaire qui travaillait comme cheikh dans une mosquée des environs de Jéricho est mis à la retraite. Il revient sur sa terre natale et bricole une bicoque de fortune pour héberger les sept filles et deux garçons que lui a donnés sa seconde femme. Deux mois plus tard, un inspecteur israélien lui signifie l'arrêt de démolition. « J'ai hérité cette propriété de mon père, dit le vieil homme, assis au milieu des poules qui caquettent dans le jardinet. C'est la seule que je possède. J'ai besoin de donner un toit à ma famille. Ne peut-on pas, nous les Palestiniens, vivre comme n'importe quel autre peuple, libre sur sa terre ? » Ecoeuré par ce déni de justice, Sami Sadek organise la riposte. A défaut d'avoir fondé une famille, ce quadragénaire barbu, cloué dans un fauteuil roulant depuis ses 17 ans à cause d'une balle perdue israélienne, investit tout son temps dans cette cause. Entre 1999 et 2007, l'exemplarité du cas d'Aqaba et la détermination de son porte-drapeau drainent plus de 800 000 dollars en donations étrangères. Un argent investi dans la construction d'une clinique, d'une crèche et d'un système de recueillement des eaux de pluie. Des structures illégales aux yeux d'Israël mais qui dans l'esprit de Sami doivent être protégées des bulldozers israéliens par le panneau accroché à leur entrée, mentionnant en grosses lettres le nom du bienfaiteur : US Aid, le consulat britannique, la coopération norvégienne... Grisé par son succès, Sami s'est même permis de doter sa minuscule commune de noms de rue, avec des panonceaux fichés sur les poteaux électriques. Pour l'instant la justice israélienne ne paraît pas impressionnée. Le 17 mai, la Cour suprême a rejeté une demande de levée des ordres de démolition. Non sans une bonne dose d'humour involontaire, les juges ont reproché au maire de pratiquer «une politique de faits accomplis». Les réunions sous le caroubier continuent. Benjamin Barthe |