lundi 11 août 2008 http://www.liberation.fr/culture/344162.FR.php Mahmoud Darwich dernier exil
Le poète
palestinien traduit dans le monde entier, qui fut proche d’Arafat, CHRISTOPHE AYAD
«Au dernier soir sur
cette terre, Nous ne disons adieu à rien A son dernier soir sur cette terre, Mahmoud Darwich est mort samedi à Houston, Texas, autant dire nulle part. Il venait d’être opéré du cœur, cette satanée pompe, qu’il avait fini par ménager en arrêtant de fumer, après l’avoir beaucoup sollicitée en aimant plus encore. Quelle triste fin pour lui, le poète, qui avait réussi à faire exister la Palestine par la seule force de ses mots ! Quelle ironie pour celui qui comparait les Palestiniens aux Indiens d’Amérique, chassés de leur terre et se laissant mourir, comme des arbres déracinés. Mahmoud Darwich est mort à 67 ans, loin de chez lui. Non pas de Ramallah où il avait fini par s’installer et se faire oublier, recevant avec parcimonie, mais de la Galilée et de son village de Birweh, près de Saint-Jean-d’Acre. En 2000, il nous disait dans un café parisien, un dimanche matin froid et clair : «Ramallah, la Cisjordanie, ce n’est pas ma terre. Les gens, les paysages ne me sont pas familiers. Je suis de Galilée. C’est comme si j’étais encore en exil, mais chez moi.» Finalement, sa seule patrie aura été la poésie. Convocation. En arabe, Birweh signifie «mousse de savon» : il n’en reste rien, comme un souvenir d’enfance, une écume qui se dissout à peine croit-on la saisir au creux de la main. C’est l’un des centaines de villages détruits par l’armée israélienne lors de la guerre de 1948. Sa famille, qui avait fui au Liban, rentre clandestinement en Galilée deux ans plus tard. Il grandit avec les «Palestiniens de l’intérieur», sous administration militaire. Un poème sur la «naqba» (la «catastrophe» de 1948) écrit à 12 ans, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance d’Israël, lui vaut une convocation chez le gouverneur. Mais c’est aussi à l’école qu’il apprend l’hébreu, qu’il parlait et écrivait couramment, et qu’il prend goût à la littérature grâce à une professeure juive allemande. Il poursuit ses études à l’université de Haïfa, où il découvre la politique et les femmes. Il milite au Parti communiste israélien, seul parti à compter des Juifs et des Arabes, ce qui lui vaut d’être plusieurs fois arrêté et emprisonné. Il écrit des poèmes, des articles dans la presse. Sa jeune renommée, son charisme et surtout ses textes, qui donnent chair à la Palestine (Mon pays est une valise, Inscris : je suis arabe, etc.) et sont appris comme des hymnes à la liberté, agacent les autorités israéliennes. Qui ne cachent pas leur soulagement lorsqu’il quitte Haïfa, où il est assigné à résidence, pour rejoindre Moscou, qui lui a décerné une bourse d’études. Bien plus tard, en 1983, il recevra le Prix Lénine pour la Paix. Commence alors une longue période d’errance et d’exil, qui épouse les aléas de l’OLP dont il est devenu un cadre dirigeant : Le Caire en 1971, Beyrouth en 1973, Le Caire à nouveau après l’invasion du Liban par Israël en 1982, puis Tunis et enfin Paris. Plus la politique est présente et pressante, plus ses poèmes se font hermétiques ou élégiaques. Il comprend d’instinct qu’il lui faut se délivrer du «sang des martyrs» s’il ne veut pas devenir prisonnier de la cause palestinienne. Il préfère chanter la vie, la mort, l’amour, les femmes… Les femmes justement, il les a toutes aimées et elles le lui ont bien rendu, toutes : arabes, juives, chrétiennes, athées, brunes, blondes ou rousses. Malgré l’âge et une crise cardiaque en 1998, Mahmoud Darwich conservait un air d’éternel gamin avec sa mèche au front et ses yeux couleur de l’eau, insaisissables. Fidélité. En 1993, il avait démissionné du Comité exécutif de l’OLP, après la signature des accords d’Oslo. Lui, le «modéré», n’approuvait pas cette paix mal ficelée, oublieuse des réfugiés palestiniens et des colonies juives. «Mon rôle est de demander toujours plus», disait-il, à l’instar d’Edward Said, l’autre grand intellectuel palestinien, mort lui aussi. Mais jamais il n’a accablé Arafat, par fidélité. En 1996, il fut pour la première fois autorisé à se rendre à nouveau à Haïfa, juste à temps pour enterrer son ami le romancier Emile Habibi. Il aurait pu - dû - avoir le Nobel de littérature mais ses prises de position intransigeantes contre l’occupation israélienne l’en ont probablement privé. Rock star. Dans le monde arabe, on ne lisait pas ses recueils de poésie, mais l’on venait à ses récitals comme l’on va voir une rock star, par dizaines de milliers. Lors de sa dernière intervention, à Haïfa, en juillet 2007, il s’était montré amer, ironisant sur le coup de force du Hamas à Gaza : «Nous avons triomphé. Gaza a gagné son indépendance de la Cisjordanie. Un seul peuple a désormais deux Etats, deux prisons qui ne se saluent pas. Nous sommes des victimes habillées en bourreaux.» Dans ce café parisien, ce dimanche matin d’hiver, il nous avait aussi dit cette vérité essentielle : «J’ai longtemps cru que la poésie était une arme. Et puis j’ai compris qu’un poème ne changeait rien. Rien que la poésie.» C’est déjà beaucoup. |