Reportage
L'organisation
de la saison culturelle arabe
à Jérusalem-Est est un défi
JÉRUSALEM CORRESPONDANCE
Qu'importe le résultat du processus de paix
israélo-palestinien : en 2009, Jérusalem sera la capitale culturelle du
monde arabe. A l'image de ce qui s'est fait en 2008 à Damas, une série
d'expositions, concerts, pièces de théâtre et projections de films
devraient être présentés dès janvier 2009 dans la partie orientale de la
Ville sainte, où les Palestiniens ambitionnent de bâtir leur capitale.
|
Cette décision, prise par la Ligue arabe et soutenue par
l'Unesco, heurte de front les prétentions d'Israël, qui considère
officiellement Jérusalem dans son ensemble comme la "capitale
éternelle" du peuple juif. La culture arabe est-elle soluble dans les
slogans sionistes ? Le télescopage d'agendas aussi diamétralement opposés
dans le point névralgique du conflit israélo-palestinien est-il gérable ? "On
zigzague entre les mines, mais Jérusalem le vaut bien, répond Ahmed
Dari, directeur franco-palestinien de la programmation. Face aux menaces
d'Israël sur notre identité, nous ne pouvons pas laisser passer l'occasion
de rappeler que la partie orientale de la ville est et restera arabe."
La paternité de l'idée revient au Hamas, le mouvement
islamiste aux commandes de la bande de Gaza. En novembre 2006, alors qu'il
dirige le gouvernement palestinien formé dans la foulée de son triomphe aux
élections législatives, le ministre de la culture, Attalah Abu Sabah,
rencontre ses homologues arabes à Mascate, dans le sultanat d'Oman.
Initialement, c'est Bagdad qui avait été choisie pour organiser l'édition
2009 de la saison culturelle arabe. Mais, de peur que l'insécurité ne gâche
la fête, les autorités irakiennes renoncent.
Le ministre du Hamas soumet alors la candidature de
Jérusalem, "Al-Quds" en arabe. La faisabilité d'un projet pareil
dans une ville sous occupation est à peine évoquée. Le symbole est trop
beau et la suggestion du Hamas est acceptée. Entretemps, le camp
palestinien s'embrase. Les islamistes s'emparent de la bande de Gaza, mais
leur gouvernement perd la reconnaissance des régimes arabes.
Du coup, le casse-tête est renvoyé dans le camp de la
présidence palestinienne, à Ramallah. "Il y a eu beaucoup
d'hésitations, explique Hassan Balawi, le directeur de la
communication. On savait qu'il serait impossible de faire venir la
moindre star, et que même les ministres de la culture arabes refuseraient
de venir dans une ville sous contrôle israélien. Malgré tout, Mahmoud Abbas
a décidé de poursuivre ce projet. Il ne pouvait pas se permettre
d'apparaître moins ferme que le Hamas sur la question de Jérusalem."
Une équipe est alors mise en place, avec à sa tête M. Dari,
détaché de la délégation palestinienne auprès de l'Unesco, à Paris, où il
secondait jusque-là l'écrivain Elias Sanbar. Avec un pied dans le secteur
public, un autre dans le monde artistique - il est calligraphe et musicien
-, M. Dari est le pont idéal entre le régime palestinien, tuteur de
l'événement, et les créateurs, anxieux d'être mis à l'écart.
Sa mission principale : définir une ligne qui assume la
charge politique de l'événement mais l'orchestrer d'une façon acceptable
par les autorités israéliennes. En mars, en guise de rappel de leur
capacité de nuisance, celles-ci avaient interrompu la cérémonie de
présentation du logo de la manifestation dans un théâtre de Jérusalem, au
motif que le ministre de la culture palestinien y assistait. "Notre
objectif n'est pas de provoquer les Israéliens, explique M. Dari. Il
faut ruser. Un poète comme Samih Al-Qassem représente aussi bien la
Palestine que n'importe quel dirigeant officiel. La politique est omniprésente
à Jérusalem, avec les checkpoints, les démolitions de maisons, les
contrôles d'identité. Equilibrer avec de la culture, ce n'est pas une
mauvaise chose."
Pour l'instant, Israël se cantonne à une position
attentiste. "Qu'il y ait des événements culturels à Jérusalem-Est,
ce n'est pas un problème, explique Ygal Palmor, porte-parole du
ministère des affaires étrangères. Cela se fait déjà. Mais si ces
événements prennent une tournure politique, alors une réaction
s'imposera."
L'autre dossier hypersensible sur le bureau de M. Dari
concerne les relations avec la bande de Gaza. Des événements y sont prévus
simultanément à ceux organisés à Jérusalem et en Cisjordanie. Mais le
Hamas, dépossédé de son projet, acceptera-t-il la tutelle de Ramallah sur
les célébrations ? "On ne maîtrise pas tous les paramètres,
précise M. Balawi. Il y a un début de rapprochement entre les deux
partis. Ce serait beau que, pour Jérusalem, ils acceptent de taire leurs
rivalités."
La réussite de l'opération dépend d'ailleurs de trois autres
inconnues du calendrier 2009 : le résultat des élections israéliennes
prévues le 10 février, celui du processus de paix, en "stand-by"
pour l'instant, et le sort de la trêve à Gaza qui se termine à la fin 2008.
Une issue positive dans ces trois dossiers favoriserait grandement la tâche
des organisateurs. Dans le cas contraire, le champ de mines évoqué par M.
Dari pourrait très vite exploser sous leurs pieds.
Benjamin Barthe
|
|