Info-Palestine.net http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=5539
Londres,
le 10 décembre 2008.
Cet article a été rédigé pour PalestineChronicle.com
- traduction : JPP-Info-Palestine
Un Israélien dans Gaza :
tour d’horizon avec Jeff Halper
Frank Barat
Entretien entre Jeff Halper, l’un des fondateurs de l’ICAHD, de la gauche
radicale israélienne
et Frank Barat, militant pour la paix.
Un tour d’horizon sur l’axe du conflit israélo-palestinien.
Frank Barat : Vous avez récemment participé au mouvement Free Gaza et
réussi à arriver dans la bande de Gaza avec d’autres militants, journalistes
et défenseurs des droits humains qui venaient du monde entier. Comment
êtes-vous venu à une telle initiative et pourquoi était-il important pour
vous d’y participer ?
Jeff Halper : Les
organisateurs du mouvement Free Gaza m’ont demandé, en tant qu’Israélien et
responsable d’une organisation israélienne pour la paix (ICAHD - comité
israélien contre les démolitions de maisons), de participer à leur action
Briser le siège de Gaza, consistant à se rendre par bateau de Chypre jusqu’au
port maritime de la ville de Gaza. J’ai accepté parce que c’était une action
politique non-violente : briser le siège en impliquant la responsabilité
manifeste d’Israël (qui fait semblant de hausser les épaules) correspond à la
mission de l’ICAHD de faire cesser complètement l’occupation israélienne. Si
l’initiative avait été conçue comme une mission humanitaire, je n’y aurai pas
participé, car la prétendue « crise humanitaire » dans Gaza ne
résulte pas d’une calamité naturelle mais celui de la politique délibérée
d’Israël - et des Etats-Unis, de l’Europe et du Japon, il faut le dire et ce,
avec l’aide de l’Egypte - qui veut briser la volonté des Palestiniens dans
leur résistance, et remplacer le gouvernement démocratiquement élu du Hamas
par un régime collaborationniste plus soumis au contrôle israélien.
Quel était le but de cette initiative et a-t-il été atteint ?
Comme je l’ai indiqué, le but de cette initiative était de briser le
siège israélien et international de Gaza, même si nous avions pris garde de
ne pas déconnecter Gaza de l’occupation israélienne qui touche plus largement
aussi la Cisjordanie et Jérusalem-Est. En un sens, et de façon importante,
nous avons réussi. Une action couronnée de succès soulève un espoir et un
encouragement immenses dans les peuples du monde entier, et les initiatives
de la société civile peuvent faire honte à leur gouvernement et exiger qu’il
freine voire modifie sa politique et exprimer leur solidarité avec le peuple
opprimé. Mais pour briser véritablement le siège, il faut organiser un trafic
maritime régulier. En cela, nous avons partiellement réussi.
Jusqu’ici, cinq bateaux du mouvement Free Gaza ont réussi à arriver à
Gaza (aujourd’hui, 9 décembre, au moment où je vous parle), mais un bateau
libyen at été détourné et un bateau de parlementaires palestiniens d’Israël a
été empêché de prendre la mer. Je suis en campagne, avec des sympathisants
européens, pour organiser des syndicats maritimes dans les ports de la
Méditerranée en solidarité avec Gaza, Gaza qui, avant que nous arrivions,
n’avait pas vu un navire étranger en 40 ans. L’un de nos objectifs, c’est que
le jour fixé, au printemps ou en té, un ou plusieurs bateaux partent vers
Gaza de chacun des ports méditerranéens. Vous imaginez la scène, quel geste
de solidarité et de résistance ce serait !
Vous êtes juif israélien, quel genre d’accueil avez-vous reçu des
Gazaouis ? Avez-vous rencontré quelqu’un du Hamas ?
Tous, nous avons reçu un formidable accueil des Palestiniens de Gaza - 40
000 sont venus nous saluer alors que nous entrions dans le port ! Comme
j’étais, malheureusement, le seul juif israélien (deux autres y sont allés
depuis par bateaux), des Gazaouis m’ont cherché parce qu’ils voulaient parler
avec moi - en hébreu - pour me dire combien ils aspiraient à une paix juste
où tous les habitants du pays pourraient vivre ensemble en paix. J’ai été
frappé du caractère non politique de leur propos. Aucune accusation, aucun
programme politique, juste un profond désir d’aller au-delà de ce conflit
superflu, pour que tout le monde ait une belle vie. Cela, il me semble, est
une base solide pour construire une juste paix.
J’ai été invité à dîner, avec tous les autres membres du groupe, par
Ismail Haniyeh, le Premier ministre palestinien Hamas. J’ai décidé de ne pas
y aller pour ne pas détourner le débat public, spécialement en Israël, du
principal objectif de notre action, qui était de briser le siège, pour
glisser sur des questions telles que le lien du camp de la paix israélien
avec le Hamas. C’est précisément ce que les autorités israéliennes auraient
voulu : mener le débat sur ma participation à un dîner du Hamas au lieu
de parler de leur propre responsabilité dans la souffrance et l’oppression
des Palestiniens. J’ai refusé d’être un jouet entre leurs mains. N’empêche
que je suis fier d’avoir reçu la citoyenneté palestinienne, avec un
passeport, du gouvernement palestinien.
Pourquoi avez-vous été arrêté par les forces israéliennes au passage
d’Erez à votre retour vers Israël ?
J’avais
décidé, après trois jours à Gaza, de rendre visite à des amis et de
rencontrer, par solidarité, des communautés et organisations palestiniennes,
en passant par Erez pour revenir en Israël, plutôt que de reprendre le
bateau. Je voulais qu’on sache que le siège fermait les trois côtés de Gaza,
pas seulement le côté de la mer. Je savais que je serai arrêté mais pour moi
cela faisait partie de l’action, de notre désobéissance civile. Et de fait,
quant je suis arrivé au « check-point » d’Erez - en réalité, c’est
un immense terminal métallique, intimidant, qui me rappelle un mélange
d’Emerald City d’Oz qui apparaissait soudain avant Dorothy (dans le cas
présent, d’un paysage aride de maisons démolies, d’arbres fruitiers
déracinés, de terre brûlée et d’un mur omniprésent) et d’une scène
orwellienne de quelque cauchemar totalitaire -, donc quand j’y suis
arrivé, j’ai été arrêté. Chef d’accusation : violation d’un ordre
militaire interdisant aux Israéliens de se rendre à Gaza (comme dans les
cités palestiniennes de Cisjordanie). Après une nuit difficile en prison où
j’ai été menacé physiquement par des juifs de droite, et protégé par des
prisonniers palestiniens, j’ai été libéré sous caution. J’attends toujours de
savoir si l’Etat maintient sa plainte.
Vous avez créé le Comité israélien contre les démolitions de maisons
(ICAHD) (2) en 1997. Quel était l’objectif de votre
organisation à l’époque ? Quel est-il aujourd’hui et sur quoi va se
concentrer l’ICAHD dans les quelques mois à venir ?
Je suis l’un des fondateurs de l’ICAHD qu’on a créé en 1997 à la suite de
l’élection de Benjamin Netanyahu et de l’effondrement total du processus de
paix d’Oslo. La création de l’ICAHD s’intégrait dans un réengagement, après
plusieurs années de sommeil, du camp de la paix israélien pour la résistance
à une occupation qui sortait du processus d’Oslo bien plus décidée qu’elle ne
l’était au début.
L’ICAHD est une organisation israélienne politique destinée à résister à
l’occupation israélienne jusqu’à ce qu’elle cesse et à rechercher une paix
juste avec les Palestiniens, dans le cadre d’un seul Etat, deux Etats, d’une
confédération régionale ou d’un accord politique qui serve au mieux nos deux
peuples. Depuis que « l’occupation » est devenue un tel concept
abstrait pour la plupart des gens, nous avons décidé de prendre la politique
israélienne de démolitions des maisons palestiniennes - près de 20 000 dans
les territoires occupés depuis 1967 - comme axe principal de nos activités.
Les militants de l’ICAHD et les membres des autres groupes pacifistes
israéliens, ensemble avec les Palestiniens et les militants internationaux,
nous nous opposons aux démolitions et nous reconstruisons les maisons
démolies par les autorités israéliennes - 162 reconstructions dans la
dernière décennie. Depuis nous reconstruisons comme un acte politique de
résistance et non comme un geste humanitaire, 162 (jusqu’ici) de ces actes
politiques d’Israéliens et de Palestiniens contre l’occupation, ce n’est pas
rien.
Pourtant, les actes de résistance à eux seuls ne mettront pas fin à
l’occupation. Le militantisme doit aller de pair avec une défense
stratégique. Les gens se sont mobilisés et un lobbying efficace a été mené
vers les décideurs politiques. L’opinion israélienne, pour nombre de raisons
que je n’évoquerai pas ici, s’est sortie elle-même de l’équation
politique : elle est devenue indifférente à ce qui touche les
Palestiniens et refuse de prendre ses responsabilités (effectivement,
Netanyahu sera probablement à nouveau Premier ministre en février). Le fond
de la défense de l’ICAHD est alors international, en direction des
organisations qui défendent la paix et les droits humains - les syndicats,
les universités, les Eglises, les organisations juives pour la paix et les
autres groupes populaires de sympathisants -, ainsi qu’en direction des
responsables des gouvernements et des parlementaires (les Américains étant
les plus influents et aussi les plus difficiles à atteindre).
Au cours des prochains mois, l’ICAHD va s’attacher à développer des
relations de travail avec l’administration Obama. Nous sommes impliqués
également dans le lancement d’une campagne anti-apartheid. Avec Jimmy
Johnson, militant de longue date à l’ICAHD, je suis en train d’écrire aussi
un livre sur l’implication d’Israël dans l’industrie de l’armement dans le
monde. Bien que nous devions continuer à regarder « à nos pieds »
ce que fait Israël dans les territoires occupés, il nous faut aussi voir
« plus loin » le rôle d’Israël dans ce que nous appelons
l’industrie de la Pacification, pour comprendre pourquoi Israël reçoit ce
soutien des Etats-Unis et d’autres gouvernements.
Comment un militant pour la paix qui se bat pour les droits des
Palestiniens se sent-il en Israël ? Et aussi, pourriez-vous nous donner
une idée du mouvement de la paix aujourd’hui ?
Même si
l’ICAHD coopère avec d’autres organisations israéliennes pour la paix et les
droits humains, je me tiens un peu à l’écart de nombreux militants pour
différentes raisons. Contrairement à la plupart de mes camarades, je ne pense
pas que le militantisme par lui-même puisse obtenir des résultats politiques.
Le mouvement de la paix israélien en général se croit incapable d’influencer
la politique et les évènements et s’il s’en tient simplement à la
protestation et à des actes symboliques de solidarité, alors pas besoin de
participer - nit même d’essayer - au processus politique. L’ICAHD, lui, se
considère comme un acteur, un protagoniste politique. Nous croyons que nous
pouvons peser sur les évènements et aussi nous cherchons à travailler avec
des partenaires étrangers, avec des gouvernements et des sociétés civiles
pareillement. Je ne crois pas que cela vaille la peine d’essayer de toucher
l’opinion israélienne.
Contrairement à la plupart des militants israéliens pour la paix, encore
une fois, je préfère consacrer l’énergie et les ressources limitées de
l’ICAHD à une action internationale. En fin de compte, je me définis moi-même
politiquement comme Israélien ; une idéologie comme le sionisme ne peut
déterminer la vie d’un pays. Ainsi nous, à l’ICAHD, nous appartenons à une
petite coterie de groupes pacifistes israéliens - avec le Centre
d’information alternative (AIC), les anarchistes et les Palestiniens de 48 -
une coterie capable d’envisager une expression nationale israélienne au sein
d’une même entité politique partagée avec les Palestiniens.
Le mouvement pacifiste sioniste est grandement paralysé aujourd’hui. La
Paix Maintenant, groupe le plus important et le plus connu dans ce camp, est
non opérationnel sauf pour sa surveillance, importante, de l’activité
coloniale. Le parti de gauche sioniste, Meretz, n’a que cinq sièges au
parlement sur 120. La gauche critique (ou « radicale » comme vous
voulez) du mouvement de la paix israélien, à laquelle ICAHD appartient, est
il est vrai encore plus petite en nombre et incapable d’élire un seul de ses
membres au parlement. Néanmoins, nous élaborons des actions à toute épreuve
et des analyses de terrain, et nous faisons entendre nos voix dans de
nombreux forums internationaux.
Que dites-vous à propos des récentes agressions à Jérusalem par des
Palestiniens de Jérusalem-Est ? (3, 4, 5)
En fait, la violence palestinienne contre les Israéliens (du
« terrorisme » dans notre jargon ; car la violence israélienne
contre les Palestiniens c’est des « opérations militaires
légitimes ») a été pratiquement éliminée - sauf les attaques limitées de
roquettes, à certaines périodes, qui viennent de Gaza. Les Israéliens se
sentent en grande sécurité individuelle, ce qui leur retire beaucoup de
motivation pour la paix qui, pour les Israéliens, signifie seulement faire
des concessions et devenir vulnérable face à nos ennemis permanents. Le mur
pourrait y être pour quelque chose mais l’activité militaire incessante
d’Israël dans les territoires occupés - qui est renforcée aujourd’hui par des
opérations militaires ou de police de l’Autorité palestinienne contre le
Hamas et les personnes « recherchées » par Israël - cette activité
fournit une meilleure réponse. La seule véritable agression au cours des
dernières années fut celle portée contre la yeshiva à Jérusalem, et elle
apparaît comme une exception à la règle.
Le 17 septembre 2008, Tzipi Livni a été élue dirigeante du parti Kadima.
Qu’est-ce qui pourrait l’empêcher d’être le prochain Premier ministre
israélien ? En quoi pourrait-elle être différente d’Ehud Olmert ?
En Israël, les quatre principaux partis - le Likoud de Netanyahu, le
Kadima d’Olmert et Livni, le Parti travailliste de Barak et le Shas des
rabbins Ovadia Yosef et Eli Yishai - sont tous des partis de droite et ont
des membres (spécialement des généraux et d’anciens agents de la sécurité)
qui passent fréquemment d’un parti à l’autre. Tzipi Livni n’est qu’une
politicienne de droite de plus et c’est une erreur de considérer Kadima comme
un parti « centriste » (il a été, en réalité, le véhicule politique
personnel de Sharon). Néanmoins, si Livni est la candidate la plus populaire
pour le poste de Premier ministre, elle ne peut pas gagner parce qu’en Israël
nous n’avons pas de démocratie représentative. Les électeurs votent seulement
pour les partis, pas pour les candidats, et les citoyens ne sont pas
représentés par district. Le seul moyen pour avoir Livni est alors de voter
Kadima, mais ce n’est pas un parti populaire et les gens voteront plutôt
Likoud, c’est-à-dire qu’ils auront Netanyahu bien que peu le voudraient, même
dans son propre parti. Vous voyez ce que je veux dire quand je parle d’un électorat
israélien sans pouvoir ?
Selon Gideon Levy, aussi longtemps que l’opinion israélienne n’aura aucun
problème avec l’occupation, celle-ci ne s’arrêtera pas. Il dit aussi que dans
la plupart des sondages, les Israéliens montrent un fort soutien à la paix
(jusqu’à 70%), mais qu’ensuite, ils votent pour des gens comme Benjamin
Netanyahu (qui gagnera les prochaines élections dans deux mois selon Levy).
Quels commentaires pouvez-vous faire à ce sujet ?
Trois choses privent les Israéliens d’une réelle influence et les
neutralisent en tant que force politique positive, partie prenante : 1)
le fait que, bien que la plupart des Israéliens optent pour une solution à
deux Etats, ils ont été convaincus par leurs dirigeants politiques et
militaires qu’il n’y avait aucune solution politique, qu’il n’y avait aucun
« partenaire pour la paix », et par conséquent, qu’il n’y avait pas
d’autre choix que de laisser le gouvernement agir comme il l’entend
(c’est-à-dire renforcer l’occupation) ; 2) comme je l’ai indiqué, ils n’ont
aucune représentation politique ni aucune capacité à peser sur les décisions
du gouvernement, alors ils n’essaient même pas ; et 3) tant que la vie
est belle - à l’intérieur de la bulle israélienne -, qui pense aux
Arabes ? Aussi la question de la paix reste dans les dernières de leurs
priorités électorales, et étant donné que les candidats sont imposés par les
partis, les Israéliens finissent par voter pour le moins mauvais. Ainsi,
Netanyahu.
Au cours des dernières années, le taux de chômage en Cisjordanie et dans
la bande de Gaza a atteint de nouveaux sommets. A Naplouse, par exemple, qui
était un centre commercial pour la Palestine, plus de 50% de habitants sont
maintenant sans travail. L’Autorité palestinienne, en étroite collaboration
avec la Banque mondiale et le Département britannique pour le développement
international (le DIFID), a monté un nouveau projet pour la Cisjordanie,
appelé Projet de réforme et de développement palestinien (6).
A votre avis, est-ce le bon projet ?
Je ne crois pas - avec la Banque mondiale et le DIFID à mon avis - que ce
développement soit réalisable sous l’occupation. En fait, il va finalement
servir l’occupation étant donné qu’Israël peut détruire l’infrastructure
palestinienne quand il le veut et qu’il assiège les Palestiniens au point de
les affamer, sachant fort bien que le « développement » et les
organismes de secours ramasseront les morceaux et garderont la tête des
Palestiniens juste à la surface de l’eau. C’est lors de l’opération Bouclier défensif en 2002 qu’Israël a
détruit pour 350 millions de $ d’infrastructures urbaines, d’aéroports et de
ports, le montant exact que la communauté internationale avait investi au
cours de l’année précédente. Pour paraphraser Clinton : « C’est l’occupation, stupide ! ».
J’ai avancé ce que j’appelle une solution à « plus de deux
Etats », avec l’idée d’une large confédération économique régionale
comprenant Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban.
L’élection de Barack Obama à la présidence américaine a été fêtée à
travers le monde comme la preuve que l’Amérique avait changé et qu’elle était
prête à mettre fin aux années de guerre de Bush et à repartir. Y a-t-il une
chance pour que cela s’applique à Israël/Palestine ?
J’ai écrit un article Un os en travers de la gorge de
l’Amérique »,
publié le 10 novembre dernier. Dans cet article, je soutiens qu’Obama entre
dans une réalité internationale tout à fait différente que ne la connut Bush,
une réalité où l’Amérique est militairement surexploitée et économiquement
affaiblie, et le monde aujourd’hui est plus multipolaire. Plutôt qu’une
« guerre contre le terrorisme », les Etats-Unis devront rejoindre,
et non menacer, la communauté des nations. Pour ce faire - quitter l’Iraq et
l’Afghanistan tout en stabilisant les relations avec l’Iran et le Pakistan,
et aussi essayer d’empêcher que l’Egypte, la Jordanie et les autres « alliés »
des Américains ne tombent dans le fondamentalisme islamique -, pour ce
faire donc, il lui faudra trouver un compromis, sinon une réconciliation,
avec le monde musulman. Et elle n’atteindra pas une première base sans
aborder la question palestinienne qui est, pour les musulmans du monde,
emblématique, un conflit symboliquement plus important que celui de l’Iraq.
Ce qui fait le poids des Palestiniens c’est qu’ils sont des gardiens.
Jusqu’à ce qu’ils fassent signe au monde arabe/musulman que le conflit avec
Israël est terminé, qu’ils sont parvenus à une solution politique acceptable
pour eux et que maintenant, il est temps de normaliser les relations avec
Israël et son patron les Etats-Unis, le conflit ne sera pas terminé et les
USA ne pourront aller de l’avant. Mon espoir n’est pas dans en Obama en soi,
mais dans le fait qu’il reconnaisse que c’est dans l’intérêt de l’Amérique de
mettre fin à l’occupation israélienne, alors il bougera avec vigueur pour y
arriver. Aussi, je suis optimiste. Je ne crois pas que le contrôle israélien
sur la Palestine soit durable.
Noam Chomsky m’a dit que ceux « qui préconisent actuellement
l’implantation d’un Etat unique (binational) ne semblent pas mesurer
pleinement que le choix n’est pas entre deux Etats et un Etat avec un combat
intérieur pour les droits civils (anti-apartheid), mais plutôt entre deux
Etats et la poursuite des programmes actuels Israël/USA qui déclinent toute
responsabilité à l’égard des Palestiniens hors des zones qu’Israël s’attend à
incorporer, de sorte que ces Palestiniens devront ou moisir ou partir ».
Il dit aussi « Je suppose que c’est la raison pour laquelle les
propositions bi nationalistes, qui étaient une abomination lorsqu’elles
étaient réalisables (dans les années 67-73 environ) sont traitées aujourd’hui
avec beaucoup plus de douceur, voire approuvées par le courant dominant
maintenant qu’elles peuvent être exploitées par le droit de miner la première
étape de deux Etats dans le processus. »
Quelle est votre position sur cette question et quelle est votre vision
pour l’avenir de la Palestine/Israël ?
Je pense que mathématiquement il n’y a que trois solutions : 1) un
Etat, ou un Etat binational (plus probablement) ou un Etat unitaire comme
l’Afrique du Sud ; 2) deux Etats, ce qui reste le choix d’une grande
majorité de Palestiniens de Palestine, qui recherchent une autodétermination
nationale (tout en s’attendant à une évolution à long terme vers un seul
Etat) ; 3) ou l’apartheid : « solution à deux Etats »
envisagée par Israël, où les Palestiniens seront entassés dans un bantoustan
sur 15% d’une Palestine historique mutilée et Israël contrôlera le reste,
notamment les frontières, les déplacements, l’eau, Jérusalem et même l’espace
aérien.
Je crois qu’Israël a éliminé la solution à deux Etats avec son projet
colonial et seule, une administration US sûre d’elle pourrait forcer Israël à
un retrait significatif, ce qui est possible si les intérêts US sont en jeu,
mais peu probable. Etant donné que l’apartheid n’est pas une option, il nous
reste une solution avec un Etat, ce qui est, je crois, difficile - l’histoire
des Etats binationaux n’est pas jolie - mais faisable si les deux peuples
optent de bonne foi pour ce projet (très peu probable de la part d’Israël).
La solution à un Etat unique ne reçoit aussi aucun soutien ni en Israël ni
dans la communauté internationale. Il semble alors, que nous ayons un conflit
qui n’ait aucune solution visible pour le moment.
J’ai avancé ce
que j’appelle une solution à « plus de deux Etats », avec l’idée
d’une large confédération économique régionale comprenant Israël, la
Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban. La clé de cela, c’est la
liberté pour tous les habitants de la confédération de vivre et travailler en
tous lieux, à l’intérieur des Etats-membres comme en Europe. Cela réglerait
la si grande question palestinienne, en neutralisant l’occupation (étant
donné que les colonies et Israël proprement dit seraient totalement
intégrés), en résolvant le problème des réfugiés et reportant la charge de la
viabilité économique d’un Etat palestinien minuscule sur la région tout
entière. Mais cela, c’est une grande vision dont le moment n’est pas encore
venu.
Jeff Halper a écrit un nouveau livre : Un
Israélien en Palestine, livre disponible. Il est le coordinateur du Comité
israélien contre la démolition des maisons (ICAHD).
Frank Barat milite pour la paix, il vit à Londres. Son livre d’entretiens entre Noam
Chomsky et Ilan Pappe, Le Champ du
possible, est disponible (voir : Pappe/Chomsky, Le Champ du possible -
entretiens).
|