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Article paru dans
l'édition du 21 décembre 2008 Analyse Le pari israélien de
l'Union européenne par Michel Bôle-Richard
Six mois plus
tard, bien qu'il n'y ait eu aucune avancée dans le processus de paix et
aucune amélioration sur le terrain, les Vingt-Sept ont voté comme un seul
homme un rapprochement avec Israël qui va permettre à l'Etat juif d'être
associé beaucoup plus étroitement aux travaux et aux décisions de Bruxelles.
Les Etats membres n'ont pas entendu les cris d'alarme lancés par le premier
ministre palestinien, Salam Fayyad, qui avait demandé aux Européens d'"attendre
avant de relever le niveau de représentation d'Israël à l'UE". "L'UE,
avait-il dit, est un groupement fondé sur des valeurs et des idéaux qui
sont incompatibles avec les violations du droit international et des droits
de l'homme commis par Israël." "Le processus politique dans
lequel l'UE souhaite être un acteur-clé a pour objectif la création d'un Etat
palestinien, avait ajouté M. Fayyad. Comment un tel Etat peut-il voir le
jour avec la poursuite de la colonisation ?" Le 1er
décembre, soit juste un an après la conférence d'Annapolis (Maryland) du 27
novembre 2007, le département des négociations de l'Autorité palestinienne a
publié un rapport dressant un bilan de la situation. Plutôt éloquent ! Les
appels d'offres pour les constructions dans les colonies ont augmenté de 1
678 % depuis Annapolis. Le nombre de permis de construire a été multiplié par
plus de trois. Aucune des 110 colonies sauvages n'a été démantelée ? et selon
Peace Now, une ONG israélienne qui lutte contre la colonisation, "125
nouvelles structures dont 30 maisons permanentes" ont été construites.
Enfin, 498 Palestiniens ont été tués et 2 148 ont été blessés au cours des
onze mois qui ont suivi Annapolis. Tout cela fait dire à Saeb Erekat,
principal responsable palestinien des négociations, qu'"Israël a
concentré ses efforts pour accroître son contrôle et la colonisation de la
Cisjordanie... Israël doit décider s'il veut poursuivre le chemin de la paix
et de la sécurité ou s'il veut continuer le conflit à travers la punition collective,
la dépossession et la destruction". Malgré ce
bilan négatif, le Conseil européen a décidé qu'à partir d'avril 2009 Israël
gravirait un nouvel échelon dans le cadre de la politique de
"voisinage" de l'UE passant du statut d'associé établi en 1995, et
entré en vigueur en 2000, à celui de partenaire privilégié qui, souligne le
texte, "doit être basé sur des valeurs communes pour les deux
parties, particulièrement de démocratie, de respect des droits de l'homme,
d'application de la loi et des libertés fondamentales, de bonne gouvernance
et de lois humanitaires internationales". Ce renforcement se
traduira par trois réunions annuelles au niveau des ministres des affaires
étrangères, une coopération plus étroite en matière de sécurité, un dialogue
sur les questions stratégiques, la possibilité d'organiser des sommets de
chefs d'Etat et de gouvernements sur des questions spécifiques, une
intensification du dialogue ministériel et parlementaire. Ce rapprochement
permettra à Israël d'être associé beaucoup plus étroitement au fonctionnement
des institutions européennes. RAPPROCHEMENT
SANS CONDITIONS Afin de faire
taire les critiques dans le monde arabe, des hauts responsables européens ont
fait valoir que ce rapprochement permettrait à l'UE d'influer sur le cours du
processus de paix. L'avenir le dira. Pour le moment, la décision des
Vingt-Sept a été considérée comme "un cadeau" à Israël.
Tzipi Livni, ministre des affaires étrangères, y a vu l'aboutissement
d'efforts entrepris depuis avril. Selon le quotidien Haaretz, lors
d'une visite à Bruxelles avant le Conseil européen, Mme Livni a
obtenu de Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères, qu'il
n'y ait aucun lien entre le renforcement des relations avec Israël et les
négociations de paix, mais seulement une déclaration parallèle. D'autre part,
le plan d'action concocté par la France permettant de matérialiser certains
progrès a été réduit à une simple proposition. M. Kouchner n'a pas démenti
ces informations. Il s'est contenté de dire que la décision prise par les
ministres des affaires étrangères de l'Union n'avait pas "de
signification politique" et que "le rehaussement des
relations avec la Palestine allait suivre". "Ce qui sera
plus difficile, a toutefois reconnu M. Kouchner, car les Palestiniens
n'ont pas d'Etat." La France, qui
assure la présidence de l'UE jusqu'à la fin de l'année, avait précisé qu'il
n'était pas question d'imposer des conditions à Israël pour pouvoir
bénéficier de ce rapprochement. M. Fayyad n'a pas réagi officiellement à cet
échec diplomatique. Il a trop besoin de l'aide européenne pour maintenir sous
perfusion l'Autorité palestinienne. Mais, officieusement, le premier ministre
palestinien n'a pas caché sa déception. Sur le conflit israélo-palestinien,
l'Union européenne semble incapable de préserver un juste équilibre entre les
deux parties. Elle s'est rangée derrière les Etats-Unis pour imposer des
sanctions économiques à l'Autorité palestinienne après la victoire
démocratique du Hamas aux élections de janvier 2006. Elle n'a pas su saisir
la chance de la constitution d'un gouvernement d'union nationale en avril
2007 pour rattraper son erreur. L'Europe
continue de choisir une politique de petits pas alors que l'urgence est à la
porte. Elle continue de se donner bonne conscience en fournissant une aide
importante à l'Autorité palestinienne sans rien exiger véritablement des
Israéliens en contrepartie, ce qui revient à financer l'occupation. Et si un
jour prochain, l'Europe invitait avec plus de fermeté Israël, conformément
aux résolutions des Nations unies, de quitter les territoires qui sont
occupés désormais depuis plus de quarante et un ans ? Michel Bôle-Richard Correspondant
à Jérusalem bole.richard@lemonde.fr |