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Francis WURTZ : RETOUR DE GAZA http://www.pcfmontreuil.org/article-27273409.html Compte-rendu
sommaire de mon séjour à Gaza Mercredi 28 janvier 2009 J'ai
pu, grâce à une association franco-palestinienne avec laquelle je coopère de longue
date (l'association des Villes jumelées avec des camps de réfugiés
palestiniens), et grâce à diverses interventions diplomatiques, entrer dans
Gaza, le jeudi 22 janvier dernier, après une attente de 24 heures à Rafah
(frontière égyptienne). Les
interlocuteurs habituels de cette association -sans lien avec les autorités
actuelles de la bande de Gaza- nous ont accompagnés à travers tout le
territoire. Hormis des journalistes et des acteurs humanitaires, nous avons
ainsi été parmi les tous premiers à découvrir "de visu" les
horreurs de la guerre, du sud jusqu'au nord. Nous avons pu être au contact
direct de la population, sur le terrain et chez les habitants, logeant dans
des familles, partageant des collations avec des Palestiniens des camps de
réfugiés les plus touchés, discutant de longues heures durant, dans
l'obscurité d'une nuit sans électricité, avec des victimes qui ressentaient
manifestement le besoin de se libérer en témoignant. Nos
principales étapes furent Rafah, Khan Younès, la ville de Gaza, Zeitoun,
Jabalyia, Al Attatra. C'est au nord et à l'est de Gaza - ville que l'on
découvre les pires dévastations et que l'on recueille les témoignages les
plus accablants pour l'armée israélienne. En y allant, on comprend pourquoi
les journalistes avaient été tenus à l'écart de l'offensive militaire! Mais
les traces de la terreur infligée pendant 22 jours et nuits à la population
de Gaza sont visibles dès la première localité au sud du territoire: Rafah,
une agglomération de 180 000 habitants dont 85% sont des familles de
réfugiés. Nul besoin de guide. Les gens vous hèlent. Ils ont besoin de
montrer au monde les destructions subies, de raconter le calvaire enduré,
d'exprimer - au demeurant avec beaucoup de retenue et de dignité - les
souffrances durables. Une nuée d'enfants vous suit où que vous alliez.
"What is your name? How are you?" lancent-ils en riant. Ils
s'amusent, demandent qu'on les prenne en photo, mais quand on les interroge
sur la guerre, un petit gamin lâche: "on tremblait!" Au
centre de Rafah, la foule est dense autour d'un petit marché - on nous dit
que les produits qui y sont vendus à des prix prohibitifs ont été introduits
en contrebande par les fameux tunnels... C'est la rançon du blocus. Autour de
nous, des maisons en ruines, des toits arrachés, des familles entières
assises dans leur ancienne maison éventrée. Ils nous racontent: une seule
frappe de F16 a suffi pour provoquer toutes ces destructions - en tout 80
impacts! C'était la nuit du 31 décembre... On
nous a dit, sans qu'il nous ait été possible de vérifier l'information, que
la femme pilote de ce bombardier venait d'être condamnée en Israël à deux ans
de prison pour avoir refusé de "finir le travail" par un second
passage. Un viel habitant nous fait visiter sa "maison" - un taudis
à ciel ouvert depuis le bombardement. "Il n'y a jamais eu d'arme ici,
Monsieur!" répète-t-il. "L'avion n'avait pas de cible. Il nous a
tous bombardés!". Malgré tout, le quartier grouille de monde. Chacun
vaque à ses occupations quotidiennes. L'essence étant devenue inaccessible
pour le plus grand nombre, la carriole tirée par un âne remplace souvent la
camionnette. On se débrouille comme on peut. La vie est plus forte que les
F16. Une
discussion s'engage avec le leader du camp de réfugiés de Rafah. C'est un homme
mesuré et courageux. Il a déjà passé cinq ans de sa vie dans les prisons
israéliennes et une autre période en résidence surveillée. Membre du Fatah,
il connait de nouvelles difficultés depuis la prise de pouvoir du Hamas. Mais
aujourd'hui, il ne veut parler que de la guerre "qui frappe l'ensemble
du peuple de Gaza". Et pour lui, "Gaza, c'est l'âme de la cause
palestinienne. Le revendication nationale est partie d'ici." Près
de Khan Younès, nouvelle illustration de la punition collective
indistinctement infligée à la population. Ici, un vignoble entièrement
ravagé. Là, une ... station d'épuration d'eau, servant tout le secteur,
écrasée sous les obus des chars. Autour, toutes les maisons sont détruites,
sauf un immeuble dont il ne reste que la carcasse. Nous y découvrons sur un
mur un croquis sommaire des cibles voisines - dont la station d'épuration -
annoté en hébreu... Sur place, toutes les personnes insistent: "il n'y a
pas de combattants parmi nous. Pourquoi ils détruisent tout? Pourquoi ils tuent
nos enfants?" L'exaspération est à son comble. En ville, nous nous
arrêtons près d'une mosquée bondée: la prière du vendredi s'y est transformée
en meeting politique contre ...Mahmoud Abbas et "tous les baratineurs.
La foi et la persévérance sont notre force - y entend-t-on. Avec l'aide de
Dieu, nous irons jusqu'à la victoire." A méditer par les partisans de la
guerre pour "en finir avec le Hamas"... Nous
arrivons dans la ville de Gaza. Arrêt à l'une des écoles de l'UNRWA, l'agence
de l'ONU pour l'aide aux réfugiés palestiniens: gravement endomagée par les
bombes. Des voisins nous montrent sur leur portable les images insoutenables
du déluge de feu qui s'est abattu sur la ville! Autre cible
"militaire": le siège ...du Croissant rouge palestinien attenant à
l'hôpital Qods! Il n'en reste, là encore, qu'une carcasse calcinée: les
bombes au phosphore ont fait leur œuvre. Un peu plus loin, un énorme stock de
médicaments a été détruit par les bombes. Bombardé aussi l'immeuble du
service d'Etat civil. Ailleurs, c'est une fabrique de limonade qui a été
détruite: on en retirera 27 cadavres. Là, c'est un jardin d'enfants: détruit.
Puis le parc Barcelona - construit par l'Espagne: détruit. Près de là, un
immeuble de 11 étages: détruit. Un peu plus loin, ... un cimetière: détruit! Nous
croyions avoir atteint les limites de l'horreur. C'était sans compter avec ce
qui nous attendait à Zeitoun, à l'Est de la ville de Gaza. Devant nous, à
perte de vue, un immense champ de ruines. Tout y est dévasté: maisons,
fermes, usines. Il ne reste rien. L'odeur y est, plus de deux semaines après
le drame, insoutenable. Les témoignages recueillis sur place nous glacent
d'effroi. La presse, entretemps, en a relaté la substance. C'est là que la
famille Samouni a perdu 33 de ses membres, dans un immeuble où les soldats
israéliens, abondamment présents sur place, les avaient parqués depuis plus
d'une journée sans nourriture et sans eau! Avant de les écraser sous les
obus! Les récits des survivants vous laissent sans voix. Il s'agit de toute
évidence d'un massacre délibéré de populations civiles. Avec, de surcroit,
des actes d'une infinie cruauté. Les faits remontent au 5 janvier. Deux
jours après, c'est à l'est de Jabalyia, à, Ezbet Abed Rabbo, qu'a été
perpétré, selon les dires de témoins, un autre épouvantable crime de guerre.
Entre 13 heures et 14 heures, nous précise Khaled, trois chars ont approché
de sa maison. Un haut-parleur leur intime l'ordre de sortir. Toute la famille
s'exécute en arborant un chiffon blanc. Devant eux, deux jeunes tankistes
mangent nonchalamment des barres de chocolat et des chips, sans leur adresser
la parole. Soudain, un troisième soldat sort du char, tire, tuant deux
petites filles de la famille et blessant la troisième. Pendant plus de deux
heures, ils leur ont interdit de bouger avant de lancer au père des deux
fillettes: "tu peux partir"! Après
un silence, Khaled poursuit: un voisin tente d'aider les survivants en
approchant son ambulance. Les soldats lui font quitter le véhicule avant
d'écraser l'ambulance avec un char. (Chacun peut, en effet, voir ce qu'il en
reste.) Un peu plus loin, un autre voisin leur vient en aide, avec sa
carriole tirée par un âne. L'homme et l'animal sont, à leur tour, abattus,
affirme Khaled en nous donnant le nom de cette personne. Ces
allégations sont tellement graves qu'elles demandent naturellement à être
vérifiées. La vision d'horreur à perte de vue accrédite en tout cas
l'hypothèse d'un acharnement d'une violence et d'une cruauté à peine
imaginables de la part de l'armée israélienne. Nous
arrivons à Jabalyia, grand centre urbain au nord. Le seul camp de réfugiés y
compte plus de 100 000 habitants. C'est là qu'une (autre) école des Nations
Unies a été bombardée: on retirera 47 corps des décombres. Le père de l'une
des victimes, 24 ans, répète, désespéré: "on nous avait conduits ici
pour être en sécurité. Nous n'avons plus d'endroit où nous mettre à
l'abri." C'est la répétition de ces bombardements prenant pour cible des
sièges des Nations Unies qui a conduit le Secrétaire général de l'ONU à se
rendre sur place, peu de temps avant notre arrivée, et à y tenir des propos
légitimement durs. Autre
quartier, autre champ de ruines, nouveau témoignage accablant: "ils sont
rentrés chez nous", raconte d'une voix lasse et monocorde un vieux
monsieur assis devant sa maison intacte. Il nous relate le drame vécu par sa
famille: "ils les ont plaqués contre le mur, les hommes d'un côté, les
femmes de l'autre. Ils ont emmené mon fils de 42 ans au premier étage et ont
tiré. Puis, en redescendant, ils ont dit à mon autre fils: "ton frère
est mort. Tu peux appeler des secours." Mais quand il est sorti en
levant les bras, ils lui ont coupé les doigts d'une rafale. Puis ils sont
restés, empêchant l'ambulance d'approcher. Ils ont tiré aussi sur une voiture
de l'UNRWA (ONU) venu pour aider ma famille, car mon fils y était employé
depuis 20 ans. Un député arabe de la Knesset a pu être joint. Il a contacté
Ehud Barak, le ministre de la défense, pour qu'il intervienne. Celui-ci a
refusé, soulignant que "là où l'armée est présente, c'est elle qui
décide". Quand ma famille a enfin pu voir mon fils, on s'est rendu
compte qu'il n'était pas mort sur le coup. Ils l'ont laissé agoniser et
perdre son sang! Il laisse huit orphelins. Cinq d'entre eux étaient présents
quand ils ont tiré." Le vieil homme, prostré, s'est arrêté de parler. Les
témoignages sont également bouleversants dans un gymnase, une bibliothèque et
une salle des fêtes du camp de réfugiés de la ville, transformés en centre
d'hébergement pour 575 sinistrés du quartier, dont la plupart sont des femmes
et des enfants. Les locaux sont bien entretenus mais la promiscuité y est
insupportable. "Nous avons tout perdu" revient comme un leitmotiv.
Une dame remercie une ONG d'avoir livré deux lits de camp. Une autre réclame
"une vraie solution: pouvoir vivre en famille et que les enfants
puissent aller à l'école." Quand nous nous retirons, une voix nous
lance: "Ne nous oubliez pas! On
compte sur vous! Dites-leur!" Nous ne les avons pas oubliés. Le soir,
nous nous retrouvons dans la cour d'un immeuble du camp de réfugiés. Les
voisins affluent. Surtout des jeunes. Nous sommes vite une quarantaine, assis
autour d'une simple lampe-torche. Pas d'électricité ni de gaz. On répare.
Quelqu'un est allé chercher le gynécologue dont les cris de douleur en direct
à la télévision israélienne ont fait le tour du monde. C'est un voisin. Il
était ce matin sur la tombe de ses deux petites filles tuées par une bombe
alors qu'il répondait par téléphone à un journaliste israélien. Nous ne le
verrons pas ce soir. Il est à Tel Aviv où il a repris son travail au grand
hôpital... On
nous sert thé et café, puis la parole se libère... Vous imaginez. Vers
minuit, une heure, nous prenons congé, en promettant de révéler ce que nous
avons vu et entendu et d'agir en conséquence: pour l'aide d'urgence, la levée
du blocus et l'ouverture des accès à Gaza; pour l'envoi d'une force
internationale de protection des populations; pour la mise sur pied d'une
commission d'enquête internationale afin que toute la vérité soit établie et
tous les responsables punis; pour une politique beaucoup plus offensive de
l'Union européenne en faveur d'une paix juste et durable au Proche Orient . Cela
suppose avant tout plus de courage et d'indépendance politique, pour ne pas
laisser passer des opportunités historiques comme l'Initiative de paix arabe
de 2002 et 2005 - qui permettait la normalisation des relations de tout le
monde arabe avec Israël en contrepartie du retour aux frontières de 1967! -
ou le gouvernement d'unité nationale palestinien de 2007 constitué sur les
mêmes bases entre Mahmoud Abbas et le Hamas. Cela suppose plus généralement
une relation avec Israël reposant, non plus sur la complaisance et
l'impunité, mais sur le strict respect du droit international et des résolutions
pertinentes des Nations Unies. Vérité,
justice, paix... Après tout, nous ne demandons qu'à voir traduites en actes
les "valeurs européennes"... Bruxelles,
le 27 janvier 2009 |