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Article paru le 25 février 2009 http://www.humanite.fr/2009-02-25_Cultures_Des-films-pour-changer-les-choses Des films pour changer les choses Rennes en
choisissant Jérusalem fait la part belle au jeune cinéma palestinien Rennes,
envoyée spéciale. Michèle Levieux Quel
beau courage, de la part de la direction du festival Travelling, d’avoir
choisi cette année, Jérusalem comme cadre au cinéma à la fois israélien et
palestinien ! À travers ces films, qu’ils soient de fiction,
documentaires ou d’animation, nous ne pouvons qu’entendre un seul cri :
assez de haine, assez de guerre, de contrôles d’identité, de démolitions de
maisons, d’humiliations quotidiennes, de réductions de territoire ! Des
images différentes disant toutes la même folie, celle d’une guerre
permanente. « Ils veulent nous effacer ! », crient les jeunes
rappeurs du film de la réalisatrice palestinienne et syrienne, Jackie Rem
Salloum, Slingshot Hip Hop, un travail de cinq ans terminé en 2008. Inspiré
aussi bien par Mahmoud Darwish que par Malcolm X, le groupe DAM rappe la
réalité de la condition des réfugiés palestiniens : pas d’électricité,
pas d’adresse, pas de courrier, « nous sommes des étrangers dans notre
pays ». Depuis 2000, occupation et séparation sont le lot de tout un
chacun. Qui est le terroriste ? est téléchargé plus d’un million de
fois. Avec DAM, MWR, PR, les filles du groupe Arapeyat ou encore la chanteuse
Abeer Zinati, le rap reflète la réalité, apprend une autre histoire aux
petits réfugiés que celle du sionisme, donne de l’oxygène, permet de résister
et fait revivre les martyrs. C’est pourquoi les chanteurs sont emprisonnés.
Mais quel bonheur quand après des démarches sans fin, certains groupes se
retrouvent sur scène à Gaza puis à Ramallah ! « You will not divide
us », écrit-on sur le mur. Une
autre catégorie d’activité révèle la vie quotidienne à Jérusalem, celle des
chauffeurs de taxi collectif appelés les « Ford » du nom de la
marque des petites camionnettes. Hany Abu-Assad, dont on connaît le Mariage
de Rana (2002), s’y est attaché avec Ford Transit, un long métrage entre
fiction et documentaire, tourné en 2002 et Bonjour Jérusalem (2004). Dans le
premier film, il suit Rajai qui nous familiarise avec les barrages et postes
frontière de la ville et tous les tracas parfois dramatiques qu’ils
entraînent. Dans le second film, il accompagne dans ses pérégrinations,
Shaban Nassar, chauffeur et chanteur, responsable de ses dix frères et soeurs
vivants tous à Sumoud, un camp de réfugiés de Jérusalem-Ouest, après la
destruction de leur maison. La vision de ces films nous fait comprendre les
conséquences du plan qui consiste à quadriller une population jusqu’à la
lasser d’exister. Mais si l’histoire est tragiquement présente, que ce soit
dans Gaza, des larmes d’un autre goût (2006), d’Abdel Salam Shehadeh, lorsque
les colons quittent la bande de Gaza et que la victoire du Hamas s’ensuit ou
Jérusalem, l’histoire de la partie Est, de Mohammed Alatar (2007), démontrant
comment, depuis 1948, le territoire palestinien est réduit telle une peau de
chagrin, d’autres oeuvres font appel à l’humour même s’il est de couleur
noire. Comme les films d’animation de Hamad Abash, cinéaste de Ramallah, dont
Coming back (2003) est un petit chef-d’oeuvre sur le retour au pays… d’un
oiseau ou le film de politique fiction de la réalisatrice Enas Muthaffar,
OccupaZion (2007), montrant des situations de la vie quotidienne vécues de
manière inversée, où ce sont les Palestiniens qui contrôlent les Israéliens.
Une façon troublante de réfléchir à la situation. Mais
le cinéaste le plus inventif est sûrement Mouayad Alayan dont le dernier film
court de fiction, Lesh Sabreen ? (2008) propose une écriture et un style
bien affirmés. Né en 1985 au Koweït, Mouayad est revenu avec ses parents lors
de la guerre du Golfe dans leur village de Beït Safafa, situé entre 1948 et
1967 sur la ligne verte, à Jérusalem-Ouest. « C’est le seul village
arabe palestinien qui a résisté, nous dit-il. Il est traversé par la ligne de
chemin de fer qui va à Tel-Aviv et Haïfa et, actuellement, depuis les accords
de Rhodes, entre Israël et les pays arabes, Syrie, Jordanie, Égypte, la gare
est du côté israélien. Le village est resté coupé en deux avec une partie
israélienne et l’autre jordanienne. C’est pourquoi mon premier film
s’appelle, Exilés à Jérusalem. On y voit mon père, qui vivait côté israélien
avec ses parents et ses frères, sa mère étant divorcée vivant côté jordanien,
il devait lui parler en secret. Les mariages et les enterrements
« coupés » en deux, se faisant sur la « frontière ».
C’est devenu une forme de culture car aujourd’hui, il y a un mur. Cette
situation dure depuis 1948. » Formé
en 2001 à la cinémathèque de Jérusalem, Mouayad a dû partir à San Francisco
pour apprendre le cinéma : « Un bon moyen de m’exprimer dans la
ville du cinéma indépendant, créatif et expérimental. J’y ai fait mon premier
film, I am, you are (2005), l’histoire d’un Israélien et d’un Palestinien qui
vivent dans le même appartement. En 2006, dès mon retour, j’ai réalisé un
documentaire, Dew Drops (La rosée), avec un groupe d’enfants à qui
j’enseignais la vidéo et qui avait reconstitué une danse traditionnelle
interdite parce qu’elle fait appel au sentiment national, le Dabkeh. Ils la
dansaient souvent dans la rue ou lors de mariages. » Quant à Lesh
Sabreen ?, c’est l’histoire d’un jeune couple qui se retrouve
secrètement dans les toilettes pour handicapés d’un centre commercial. Pour
le style, Godard est passé par là ! « La réalité est toujours là
quoique l’on filme, déclare Mouayad, d’un autre côté pensez-vous que tout ce
qui nous arrive est réel ? » Belle leçon que ce cinéma palestinien
sans moyens et par conséquent sans contrôle et sans censure, cinéma
indépendant donc et cinéma d’espoir. « C’est la tradition de notre
communauté qui donne un style à nos films, conclut Mouayad. Notre label vient
de la manière dont nos films sont réalisés. Notre manque de moyens est notre
privilège. Michel Khleifi est notre père à tous parce qu’il nous a appris à
faire des films et Elia Souleiman est notre auteur. Intervention divine est
mon film palestinien préféré. Nous, Palestiniens, pouvons réaliser des films
n’importe où tout en ayant le sentiment d’appartenir à une communauté. Et
j’espère toujours que le cinéma puisse changer l’état des choses. » Michèle
Levieux |
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