|
|
|
Édition imprimée — février 2009
— Page 1 http://www.monde-diplomatique.fr:80/2009/02/HALIMI/16772 Abandon de peuple
Le 14 janvier
dernier, après que plus de mille Palestiniens enfermés dans une étroite bande
de terre et soumis au pilonnage — terrestre, maritime, aérien — d’une des
plus puissantes armées du monde eurent été tués par les troupes israéliennes,
après qu’une école palestinienne transformée en refuge des Nations unies eut
été bombardée (1), après qu’une résolution de la seule
organisation qui représente vraiment cette « communauté
internationale » sans cesse invoquée eut réclamé, en vain, l’arrêt des
opérations militaires à Gaza, le 14 janvier donc, l’Union européenne montra
avec quelle détermination elle pouvait réagir à ce déchaînement mêlé de
violence et d’arrogance. Elle décida... de marquer une pause dans son
processus de rapprochement avec Israël ! Toutefois, pour atténuer
l’impact de ce qui aurait tout de même risqué de passer pour un chuintement
réprobateur adressé à Tel-Aviv, elle fit savoir qu’il s’agissait là d’une
mesure « technique », pas « politique ». Et
que la décision avait été prise par les « deux parties ». Israël a carte
blanche. Son armée avait précédemment détruit la plupart des infrastructures
palestiniennes financées par l’Union européenne. A peine une réaction, aucun
recours juridique, nulle demande de réparation (2). Puis Israël imposa un blocus à une
population pauvre privée d’eau, de nourriture, de médicaments. Toujours rien,
si ce n’est la sempiternelle remontrance renvoyant les protagonistes dos à
dos au prétexte que la violence du plus fort ne s’accompagne pas toujours de
la soumission du plus faible. Pourquoi Israël aurait-il donc imaginé que son
impunité allait cesser ? Il y a vingt ans,
l’Etat hébreu avait d’ailleurs pris ses précautions en encourageant, contre
l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), la montée en puissance
d’un adversaire de rêve, le Hamas, à la charte moyenâgeuse, à l’efficacité
militaire incertaine, et qui ne cherche pas à « communiquer »
auprès des opinions occidentales. Or, quand on souhaite bombarder et
coloniser sans entraves, rien de tel que le prétexte de n’avoir pas de
« partenaire pour la paix ». Rien ne contrarie non
plus les desseins du gouvernement de Tel-Aviv aux Etats-Unis. Le 9 janvier,
une résolution de la Chambre des représentants lui a reconnu le « droit
de se défendre contre les attaques venues de Gaza ». Le Sénat avait
quelques heures plus tôt « réaffirmé le soutien déterminé des
Etats-Unis à Israël dans sa bataille contre le Hamas ». Sans doute
par souci d’« équilibre », la première résolution présentait
également « ses condoléances aux victimes innocentes palestiniennes
et à leurs familles ». Elle fut adoptée par trois cent
quatre-vingt-dix voix contre cinq. La seconde, à l’unanimité. Le front de
l’exécutif américain n’est pas mal tenu non plus. Quelques heures après avoir
annoncé un cessez-le-feu unilatéral, M. Ehoud Olmert téléphona
d’ailleurs au président des Etats-Unis pour le remercier de son soutien.
Lequel s’exprime aussi par une aide financière annuelle, non remboursable, de
3 milliards de dollars. Depuis longtemps personne, M. Barack Obama
pas davantage qu’un autre, n’a envisagé de la remettre en cause. Adossé à de tels
appuis, le projet des grands partis israéliens semble clair : détruire
la perspective d’un véritable Etat palestinien dont la création est un
objectif internationalement reconnu. Zébrée de murs et de barrages, grêlée de
colonies, la Cisjordanie resterait un conglomérat de bantoustans perfusé par
l’Union européenne. Et Gaza sera bombardé chaque fois qu’il plaira à son
voisin de « riposter », de façon disproportionnée, à des attentats
ou à des tirs de roquettes. Au fond, après soixante et un ans de défaites,
d’humiliations, d’exils, de violation des accords signés, de colonisation, de
guerres fratricides, alors que les gouvernements du monde entier les ont
abandonnés à leur sort et ont autorisé que le droit international, y compris
humanitaire, soit foulé aux pieds, il est presque miraculeux que les Palestiniens
conservent la détermination de concrétiser un jour leur identité nationale. S’ils y parviennent,
ils ne le devront ni aux Européens, ni aux Américains, ni à la plupart des
gouvernements arabes. A Gaza, une fois de plus, tous se sont comportés en
complices de l’interminable spoliation d’un peuple. Serge Halimi.
(1) « Bon, il y a eu
quelques pépins », a concédé M. Avi Pazner, porte-parole du
gouvernement israélien » (France Inter, 8 janvier 2009). (2) Pierre Avril,
« L’Europe paie, Israël détruit », Le Figaro, Paris,
16 janvier 2009. Voir aussi
§ « Nous
n’avons plus que la persévérance », par
Leila Farsakh § David et
Goliath ou le mythe historique inversé, par
Shlomo Sand § Contrecoups
imprévus de la guerre livrée aux Palestiniens, par Alain Gresh § Plus le
mensonge est gros..., par Dominique Vidal
§ A Gaza,
Goliath parle hébreu, par Tom Seguev |