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Le tissu industriel de la bande de Gaza
a été détruit par le blocus et la guerre

Article paru dans l'édition du 03 mars 2009 page 5

GAZA ENVOYÉ SPÉCIAL

Assis sous un auvent en plastique, devant un brasero, Jamil Abou Eida passe le temps en sirotant du thé. "Où voulez-vous que j'aille ? Je n'ai plus rien. Les Israéliens ont tout démoli, tout rasé", dit-il.

Jamil Abou Eida avait quatre cimenteries et sept maisons dans la zone industrielle près du point de passage de Karni. Il n'en reste plus rien, sauf une maison qui a servi de refuge et de point d'observation aux soldats de Tsahal. Les F-16, les hélicoptères Apache, les bulldozers ont tout nivelé. Cette affaire familiale, qui produisait 35 % à 40 % du ciment de la bande de Gaza, n'est plus qu'un amas de ruines.

Jamil Abou Eida estime les dégâts à au moins 10 millions de dollars (7,9 millions d'euros). "Sur les vingt-sept cimenteries de la bande de Gaza, sept ont été entièrement détruites et dix autres endommagées. Ce fut une destruction systématique. Ces usines ne représentaient aucun danger. Nous avons même de bonnes relations commerciales avec les Israéliens. Pendant longtemps, nous avons été associés. Cette guerre a été menée contre les civils et contre l'industrie, pas contre le Hamas", constate Jamil Abou Eida en déambulant parmi les convoyeurs à terre, les silos renversés, les camions éventrés, les voitures écrasées.

Le spectacle est le même partout dans cette zone industrielle située à environ deux kilomètres de la frontière. Il ne reste plus rien debout le long de la route orientale de la bande de Gaza. Une soixantaine d'entreprises de toutes natures, de la fabrique de glace à la faïencerie en passant par l'usine électrique, ont été mises au tapis de façon délibérée, méthodique. Tsahal a fait table rase de l'industrie gazaouie. Même la station-service a été réduite à un tas de décombres.

Shaban Al-Jaal n'en revient pas. Il est venu avec deux camions-citernes pour récupérer ce qui reste de carburant dans les cuves. "Les Israéliens veulent que nous partions. Ils estiment que nous sommes trop près d'eux. Ils veulent faire le vide, étendre la zone de sécurité au maximum, nous affamer. Cela fait trente ans que je travaille ici. Désormais, je n'ai plus rien."

La volonté israélienne d'étendre la zone tampon le long de la frontière est incontestable. Mais l'objectif de Tsahal semble avoir été aussi de frapper le tissu industriel de la bande de Gaza. Comme en témoignent les dommages importants causés à la minoterie Al-Bader, située au nord de Beit Lahiya, à l'ouest de la bande de Gaza.

"C'était la seule en activité sur les sept existant sur le territoire. Les Israéliens ont ciblé volontairement les machines, mais ils ont préservé les stocks de céréales. Ils savaient exactement ce qu'ils faisaient. Ils ont détruit pour détruire", constate Amdan Hamada, l'un des quatre partenaires de cette entreprise. Le feu provoqué par les missiles a ravagé toutes les installations. Il ne reste que des ferrailles calcinées et des murs fendillés par le brasier. "Vous n'empêcherez pas nos rêves", a tracé, un peu plus loin, une main anonyme sur un mur.

Le rêve de la bande de Gaza depuis le désengagement israélien de l'été 2005 était de redonner une nouvelle vie à ce territoire surpeuplé une fois libéré de l'occupation. Les projets les plus fous avaient germé. Le blocus et les conflits interpalestiniens les ont transformés en cauchemar. L'opération "Plomb durci" a poursuivi ce travail de sape de l'économie gazaouie entrepris par l'imposition de plus en plus drastique d'un étranglement qui n'a fait que s'amplifier depuis trois ans, c'est-à-dire depuis la victoire du Hamas aux élections législatives du 25 janvier 2006.

Trois semaines de guerre ont ajouté à cette entreprise de sape. "Ce que les Israéliens n'ont pas été capables d'obtenir par le siège, ils l'ont atteint avec les bulldozers", explique Amr Hamad, président de la chambre d'industrie palestinienne.

Et il ajoute : "Avant, 97 % de la production industrielle étaient paralysés par le blocus. Désormais, les 3 % restant ont été réduits à néant. L'objectif est clair : tout d'abord faire dépendre entièrement l'économie de Gaza du bon vouloir d'Israël, et envoyer un message à la population selon lequel le Hamas est responsable de ce qui s'est produit. "

Amr Hamad estime à environ 300 les usines et les ateliers détruits lors des trois semaines de raids. Cet homme d'affaires fait remarquer que les cibles ont été choisies à dessein, toutes les entreprises qui fonctionnent de façon presque autonome en utilisant des produits de base venus d'Egypte ont été démolies.

Quant aux autres, celles qui fonctionnent avec la matière première en provenance d'Israël lorsque les points de passage fonctionnent, elles ont beaucoup moins souffert. "C'est la preuve que les Israéliens veulent tout contrôler, la construction et la reconstruction, dit M. Hamad. Le secteur privé doit aussi se soumettre à leurs volontés. Tout a été parfaitement planifié. Je n'ai jamais vu autant de bulldozers utilisés lors d'une opération militaire. Tout cela n'a rien à voir avec le terrorisme. A Karni, c'est une zone totalement ouverte. Aucun combattant du Hamas ne s'y est jamais aventuré."

Amr Hamad n'a pu encore chiffrer le montant des dégâts. Sans doute des centaines de millions de dollars. La plupart des industriels rencontrés restent persuadés que les liens économiques avec Israël sont essentiels et naturels. Mais aujourd'hui, plus que jamais, ils sont à la merci totale de leurs voisins pour tenter de relever les ruines.

Jamil Abou Eida a refusé les 4 000 euros que lui donnait le Hamas pour la perte de sa maison. "Je ne suis pas un mendiant. Je veux faire marcher mes cimenteries. Je veux travailler", dit-il. A la question de savoir s'il a de la haine contre les Israéliens, il se contente de baisser la tête en silence.

Michel Bôle-Richard


Sur le Web : www.ochaopt.org/gazacrisis.

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