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LDH France Nurit Peled-Elhanan
a reçu le prix Sakharov du Parlement européen en 2001 pour ses plaidoyers en
faveur de la paix au Moyen-Orient. Elle a perdu sa fille, le 4 septembre
1997, lors d’un attentat suicide. Elle est professeur de littérature et de
sciences de l’éducation à l’université hébraïque de Jérusalem. Intervention de Nurit
Peled-Elhanan au 20è anniversaire des Femmes en Noir « Dans l’Etat
d’Israël, la mère juive est en train de disparaître »
Mardi, 10 mars 2009 - 18h30 Je remercie les Femmes en
Noir de m’avoir invitée à intervenir aujourd’hui. Au moment où nous sommes,
je voudrais dédier ces mots aux enfants de la bande de Gaza qui se meurent
lentement de faim et de maladies, et à leurs mères, admirables, qui
continuent de mettre leurs enfants au monde, de les nourrir et de les élever.
Le taux d’alphabétisation dans la bande de Gaza atteint aujourd’hui 92%, il
est parmi les plus élevés du monde et cela, dans le camp de concentration le
plus épouvantable de la terre, où les habitants sont en train d’étouffer,
pendant que le monde civilisé regarde en silence. J’aurai aimé pouvoir, aujourd’hui, célébrer la fin de
l’activité des Femmes en Noir. Mais la vérité, c’est que leurs activités
sont, chaque jour, de plus en plus difficiles. Dans un Etat où règnent les
dieux de la mort et de l’argent, dans un Etat où l’économie est florissante
alors que les enfants ont faim, où les héros de la mythologie sont des
assassins audacieux, où les dirigeants reconnaissent ouvertement et
publiquement que la vie humaine, à leurs yeux, vaut moins qu’une figue, dans
un Etat qui envoie ses fils se faire tuer sans même se donner la peine de
leur inventer une raison, dans un Etat qui emprisonne des millions d’être
humains dans des ghettos, les enferme et les détruit lentement, dans cet
Etat, la voix calme et persévérante des Femmes en Noir est la voix la plus
forte du refus de la conscience. Les Femmes en Noir sont l’exemple et le
modèle du refus de vénérer le dieu de la guerre, du refus d’obéir aux lois
racistes de l’Etat d’Israël. L’action des Femmes en Noir est, en elle-même,
le rejet de l’éducation raciste et de l’empoisonnement méthodique quotidien
des esprits que poursuivent les écoles, les médias et les discours des représentants
élus de la nation. Dans l’Etat d’Israël, la mère juive est menacée de
disparition. La mère juive d’aujourd’hui est exclue de quartiers comme Mea
Shearim (*),
où les mères préservent leurs enfants de l’armée ; en dehors de ces
quartiers, la voix de la mère juive n’est pas entendue, sauf par des
organisations comme les Femmes en Noir, que la société en général condamne et
calomnie. L’Etat d’Israël condamne et calomnie la voix des mères juives qui
est la voix de la compassion, de la tolérance et du dialogue. L’Etat d’Israël
fait tout ce qui est en son pouvoir pour s’assurer que cette voix sera mise
en sourdine et se taira à jamais. Sauf dans les organisations pour la paix, vouées par le
discours général à n’être que des somnambules marginaux et des gauchistes, la
voix de la mère juive a cessé depuis longtemps d’être une voix maternelle. La
mère israélienne, telle qu’elle existe aujourd’hui, incarne une fonction
maternelle dénaturée, perdue, troublée et malade. Les mères juives comme
Yochabad, mère de Moïse, comme Rachel, qui pleure sur ses enfants et refuse
tout réconfort, comme Mère Courage, la mère qui ne trouve ni consolation ni
apaisement dans la mort des enfants d’une autre mère... ces mères ont été
remplacées par d’autres mères qui ne sont rien que des golems qui se sont
retournés contre leurs créateurs, et qui sont plus épouvantables et plus
cruels qu’eux, des mères qui dédient leur utérus à l’Etat d’apartheid et à
l’armée d’occupation, qui enseignent à leurs enfants un racisme intransigeant
et sont prêtes à sacrifier le fruit de leur ventre sur l’autel de la
mégalomanie de leurs dirigeants, cupides et assoiffés de sang. On trouve
aussi ces mères parmi les enseignantes et les éducatrices de notre époque.
Seules, les femmes qui se dressent, semaine après semaine, sous la pluie et
le soleil, sont le seul et unique rappel que la voix de l’autre maternité,
naturelle, n’a pas complètement disparu de la surface de cette terre
d’abandon qui fut, autrefois, la Terre sainte. Rares sont les parents en Israël qui reconnaissent que les
assassins d’enfants, les démolisseurs de maisons, les arracheurs d’oliviers
et les empoisonneurs de puits ne sont autres que leurs adorables fils et
filles, leurs propres enfants, éduqués ici, au fil des années, à l’école de
la haine et du racisme. Des enfants qui ont appris, pendant 18 années, à
craindre et à mépriser l’étranger, à toujours craindre les voisins, les
gentils, des enfants qui ont été élevés dans la crainte de l’Islam, une
crainte qui les façonne pour devenir des soldats brutaux et les disciples
d’assassins de masse. Et non seulement ces garçons et ces filles tuent et
martyrisent, mais ils le font avec le total soutien de maman, avec toute la
gratitude de papa, encouragés par la nation tout entière, sans même provoquer
un froncement de sourcils quand il y a mort d’enfants, de personnes âgées et
handicapées. Une nation qui se rassemble autour de pilotes qui ne ressentent
rien, sauf une secousse dans l’aile de leur avion (**),
quand ils larguent des bombes sur des familles entières et les écrasent. Dans cet enfer où nous vivons, dans le brasier quotidien qui
agite et étend le royaume souterrain des enfants morts, le rôle des Femmes en
Noir, ces mères et grand-mères rassemblées sur cette place (***), et sur d’autres
places partout dans le monde, leur rôle est d’être le gardien d’une maternité
naturelle, saine, et de faire en sorte que leur voix ne soit pas réduite au
silence et ne disparaisse pas de la surface de la Terre. Pour rappeler au
monde qui a perdu son image humaine que nous avons tous été fait à Son Image,
pour répéter invariablement et sans relâche que toujours, malgré le Mur de
l’apartheid, malgré le siège cruel de Gaza, malgré les guerres sans cause, et
face à la furie des dirigeants de ce pays qui, tous, jusqu’aux derniers, sont
des criminels contre l’humanité, la voix des femmes et des mères, la voix de
la compassion, de la justice et de l’espoir, ne doit pas être réduite au
silence. Il faut que vous ayez plus d’influence. |