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Analyse L'image ternie de
Tsahal après la guerre de Gaza Article paru dans l'édition du 27 mars 2009 'armée israélienne est la plus morale du monde", n'a pas hésité à dire Ehoud Barak,
ministre de la défense dans le gouvernement sortant d'Ehoud Olmert. "Je ne crois
pas que les troupes israéliennes aient porté atteinte à des civils
palestiniens de sang-froid", a affirmé le chef d'état-major de Tsahal, Gaby Ashkenazi.
Tous deux ont admis qu'il y ait pu avoir des "cas
isolés" de comportements
répréhensibles des soldats israéliens lors des vingt-deux jours de la guerre
dans la bande de Gaza, mais qu'il ne fallait pas généraliser. Des enquêtes
ont été ouvertes pour faire la lumière sur ces bavures. "On peut faire
confiance à l'armée pour être sûr que rien de tangible ne sortira de ces
investigations. Une armée qui enquête sur elle-même, cela ressemble à une
farce", ironise Uri Avnery,
écrivain et militant pacifiste. Mais il aura fallu que la presse israélienne, notamment les
quotidiens Maariv
et Haaretz,
publie les témoignages de soldats pour que les autorités militaires
réagissent. Jusqu'à présent, les nombreux récits des victimes à Gaza et les
dénonciations des organisations de défense des droits de l'homme n'avaient
pas ému l'opinion publique israélienne, qui a largement soutenu ce conflit.
Aujourd'hui, le citoyen israélien a du mal à s'interroger sur les dérives de
son armée, qui, selon les derniers chiffres publiés par le Centre des droits
de l'homme palestinien, a causé la mort de 1 417 personnes, dont 926 civils,
parmi lesquels 313 mineurs et 116 femmes. Seuls 236 combattants ont été tués,
ainsi que 255 policiers ou agents de sécurité, dont 240 lors des
bombardements massifs du 27 décembre 2008. Au fur et à mesure que les langues se délient, il apparaît de
plus en plus clairement que Tsahal n'a pas respecté les règles les plus
élémentaires de la guerre en procédant à des pilonnages intensifs des zones
civiles, en utilisant des bombes au phosphore, en rasant plus de 4 000
maisons, en réduisant l'infrastructure économique, en utilisant sa puissance
de feu pour tenter d'éviter toute perte dans ses rangs. Ce qui,
paradoxalement, a occasionné de multiples incidents de "tirs
amis". "Je veux de
l'agressivité. S'il y a des doutes sur les occupants d'une maison, on la
bombarde. Si un bâtiment est suspect, on le détruit", briefait, avant les combats, un commandant de compagnie,
selon un témoignage sur la chaîne 10. Il n'était pas question de prendre le moindre risque, afin
d'éviter aussi les menaces d'enlèvement de soldats. C'est pourquoi des
oliveraies, des cultures, des quartiers ont été rasés au sol. Le moindre
mouvement était suspect. La moindre présence constituait une menace. Les
ambulances n'ont pu avoir accès à des blessés, qui sont morts vidés de leur
sang. Des familles ont été séquestrées pendant plusieurs jours sans eau et
sans nourriture. Seize secouristes ont été tués et 34 établissements médicaux
ont été attaqués, selon le rapport de l'ONG, Médecins pour les droits de
l'homme (PHR). Pour les Israéliens, c'est la faute du Hamas. Parce que ses combattants
ont lancé des roquettes, parce qu'ils se sont dissimulés au sein de la
population, qu'ils l'ont utilisée comme bouclier humain. Parce qu'ils ont
caché des armes dans les mosquées, tiré depuis des écoles, qu'ils se sont
cachés dans les hôpitaux, qu'ils ont enlevé leurs uniformes, qu'ils ont
utilisé les ambulances comme moyen de transport. Tous les arguments sont avancés par les autorités israéliennes
pour justifier ce qui s'est passé dans la bande de Gaza : des tracts ont été
lancés, des coups de téléphone ont été donnés, toutes les précautions ont été
prises pour éviter de faire des victimes civiles. Mais les Gazaouis se sont
retrouvés piégés, n'ayant nulle part où aller, à la merci des soldats
israéliens, qui tiraient souvent sans discernement : "Tout ce qui
bougeait ne pouvait être que des terroristes." Dans ces conditions, menacer les officiers et les hauts
responsables militaires et politiques de "crimes de guerre" est du "terrorisme légal", selon le colonel Liron Liebman,
responsable du département juridique de l'armée, pour lequel il y a "un large fossé
entre erreurs et crimes de guerre". Pour Ehoud Olmert, le premier ministre, il
n'y a aucun doute : "Je ne connais
aucun militaire qui soit plus moral, plus régulier et plus sensible à la vie des civils que ceux des forces armées
israéliennes." Même à Gaza ? Même si, comme l'explique l'expert militaire
Reuven Pedatzur, "il n'y a pas eu de guerre à Gaza, pas même une vraie bataille", puisque, face à la puissance de feu des
Israéliens, les combattants du Hamas ont préféré se replier et attendre
l'ennemi au coeur des villes, où Tsahal n'a pas osé s'aventurer de peur de
subir trop de pertes. Pour l'essentiel, ce sont donc les civils qui ont eu à subir
les conséquences de ce conflit, qui n'a pas permis d'atteindre tous les
objectifs fixés. Le caporal Gilad Shalit est toujours séquestré. Les tunnels
creusés sous la frontière égyptienne sont toujours opérationnels, et les
roquettes continuent d'être lancées sur le sud du territoire israélien. Deux
ans et demi après l'échec de la guerre au Liban, l'opération "Plomb
durci" a non seulement révélé ses limites, mais démontré que le pouvoir
de dissuasion ne se rétablit pas en tuant des civils. Michel Bôle-Richard (Correspondant à Jérusalem) |