|
|
|
5 mai
2009 http://www.humanite.fr/A-Jerusalem-Est-la-silencieuse-guerre-des-gravats
Liebermann en France À Jérusalem-Est, la silencieuse
guerre des gravats Colonisation.
Destructions de maisons, nouvelles implantations… Jérusalem,
envoyée spéciale. De longs pans de
l’ossature métallique sont suspendus au-dessus de leurs têtes. Ce qui reste
du toit explosé menace à tout moment de céder. À leurs pieds, les gravats des
façades. Ce fantôme de maison, lové au creux des collines du mont des
Oliviers, à Jérusalem, appartient à la famille palestinienne Al Sayad. Comme
87 autres logements du quartier de Selwan, cette maison a reçu, en 2005, un
ordre de démolition. Pour justifier ces opérations, la municipalité prend
appui sur un projet d’espaces verts qui jouxteraient le parc archéologique.
Il y a trois mille ans, ce site était celui de la cité de David, ce roi qui
aurait fait de Jérusalem sa capitale et fondé une dynastie en Israël. Tous
les droits sur le terrain sont désormais gelés. Ainsi, si la famille s’agrandit,
impossible d’envisager une extension. Les immeubles sont pour leur part
limités à deux étages. Et de nouvelles routes cernent les quartiers
palestiniens afin d’empêcher leur extension. Des drapeaux
israéliens, plantés de manière éparse, marquent d’ailleurs l’implantation
progressive des colons israéliens à l’Est. Les résidents palestiniens qui
mènent un combat quotidien contre le délogement accusent la municipalité de
vouloir renverser la balance démographique. « Il existe bel et bien une
stratégie qui vise à vider la partie Est de la ville de ses habitants
palestiniens et d’occuper progressivement toute la terre. Pourtant, les lois
internationales stipulent que les statuts de la ville ne peuvent être
modifiés. Si nos constructions sont illégales comme l’affirme Israël, celles
des colons le sont également », clame Adnan Husseini, gouverneur
palestinien de Jérusalem, avant d’assurer : « Nous resterons ici
quels que soient les sacrifices. » Au-delà des 88 maisons de Selwan, 300
habitations sont concernées dans une zone de 9 kilomètres carrés, qui englobe
cinq quartiers. Pour Abel Shaloudi, qui anime un comité d’habitants de
Selwan, il est clair que ces interventions ne relèvent pas d’une simple
« opération d’urbanisme mais bien d’une opération de nettoyage
ethnique ». et de questionner : « Comment puis-je espérer
élever mes enfants dans ce climat ? » Salim Hannoun, lui,
a déjà éloigné son cadet de ce climat de peur perpétuelle. La maison qu’il
habite et où il a vu le jour en 1954 est également menacée. Électricien au
consulat de France, il passe de procès en procès depuis trente-sept ans et
dépense des sommes folles pour sa défense, pour pouvoir garder son logement.
« Cet argent aurait pu servir à construire une autre maison. Mais c’est
ici que nous avons bâti toute notre vie et nous ne la quitterons pas »,
souffle-t-il, avant de poursuivre : « Je suis incapable de produire
l’acte de propriété demandé par les Israéliens. Depuis le mandat britannique,
on s’installe et le domaine est à nous de fait. » Depuis quelques mois,
des observateurs internationaux se relaient la nuit pour protéger sa maison
autant que faire se peut. À chaque
destruction de maison, les habitants essayent de reconstruire en vitesse pour
continuer à occuper le terrain. « C’est une forme de lutte. Nous nous
battons mètre carré par mètre carré », explique Abel Shaloudi. À Selwan,
un habitant n’a pu reconstruire en dur dans la foulée de la démolition.
« Il a donc remplacé sa maison par une caravane et les Israéliens ont
envoyé un courrier pour lui signifier qu’elle serait également l’objet d’une
destruction. » B’Tselem, le centre israélien d’information pour les
droits de l’homme dans les territoires occupés, considère que, depuis 2004,
plus de 3 400 maisons ont été réduites à néant. Hind Khoury,
déléguée de la Palestine en France, évoque les conséquences humaines des
différentes restrictions qui touchent les Palestiniens de Jérusalem :
« Cette ville a changé. Il y a une désintégration des relations et c’est
devenu très difficile de grandir ici. Dans le même temps, les valeurs qui
soudaient les gens se sont désagrégées avec les entraves à la circulation.
Les habitants de Bethléem ne peuvent plus rencontrer leurs familles à
Jérusalem. Aujourd’hui, tout le monde vit dans l’isolement : ce qui
était totalement étranger à la société palestinienne. » En 2004, la
municipalité a voté un nouveau schéma directeur remplaçant celui de 1959. En
charge de concevoir des projections démographiques, sociales et économiques,
ce document est le reflet urbain d’une volonté politique. Il prend ainsi soin
de consolider la souveraineté israélienne sur la Ville sainte. L’introduction
est à cet égard plus qu’une illustration puisqu’elle confirme la place de
Jérusalem comme capitale d’Israël. Pour assurer ce rôle, les politiques
urbaines doivent donc veiller au grain, à la distribution ethnique de la
population, et surtout aux souhaits gouvernementaux : 70 %
d’Israéliens, 30 % de Palestiniens. En 1967, la ville comptait 74 %
d’habitants israéliens pour 26 % de Palestiniens. En 2002, la balance
s’est quelque peu inversée à la faveur de la croissance naturelle
palestinienne, avec 67 % d’Israéliens et 33 % de Palestiniens.
Israël mise donc sur la perspective d’un solde migratoire positif de
résidents juifs vers Jérusalem. Pourtant, la ville souffre d’un défaut
d’attractivité de par la situation sécuritaire, la montée des orthodoxes et
un marché du travail morose. Ne pouvant compter sur les laïcs pour peupler la
ville, la municipalité peut néanmoins s’appuyer sur les familles juives
nationalistes, soutenues par des organisations d’extrême droite favorables à
la colonisation. À ces projets s’ajoute celui de la construction d’un tramway
à l’est de la ville par le consortium français City Pass, regroupant Alstom
et Connex. Il relie les colonies de Pisgat Ze’ev, Maale Adumim à
Jérusalem-Ouest. Soit une annexion de fait de la partie est à Israël et donc
de nouvelles confiscations de terre. « Les
destructions de maisons et le tramway sont une manière, après 1948, après
1967, de rayer une nouvelle fois les Palestiniens de la carte, explique Fadwa
Khader, membre de la direction du Parti du peuple palestinien. Gaza était une
guerre totale, mais ce qui se déroule à Jérusalem-Est est une nouvelle forme
de guerre. » Plus silencieuse que les bombes et donc plus insidieuse
aussi. De la préservation du statut de la ville et de la partie Est comme
capitale d’un futur État dépend donc un autre combat : celui de la
sauvegarde de l’identité palestinienne. Et Hind Khoury d’analyser :
« Jérusalem est un microcosme. Ce qu’il se passe à l’échelle des
territoires est condensé ici. La question palestinienne c’est l’histoire
d’une expulsion mais cette capacité à se révolter et à résister rend, à
chacun de nous, son humanité. » À son tour, Me Daniel Seidemann, à la
tête de l’ONG Ir Amim, avertissait en avril dernier : « Si la
colonisation continue, il sera bientôt trop tard pour une solution au conflit
basée sur deux États. Ce sera l’impasse absolue. » Aujourd’hui, 190 000
Israéliens vivent dans une douzaine de quartiers à Jérusalem-Est pour 270 000
Palestiniens. Lina
Sanka |