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Enquête L’Aipac, qui défend les intérêts d’Israël aux Etats-Unis, réunit sa
convention annuelle. Très influent jusqu’ici, il craint de voir son pouvoir
entamé. Les doutes du lobby pro-israélien Article paru dans l'édition du 05 mai
2009 Sylvain Cypel NEW YORK CORRESPONDANT La bonne nouvelle est tombée deux jours avant l'ouverture,
dimanche 3 mai, de la conférence annuelle de l'American Israel Public Affairs
Committee (Aipac), plus connu sous son autre intitulé officiel : le
"lobby américain pro-israélien". Le procureur de Virginie a
abandonné les poursuites engagées en 2005 contre deux de ses anciens hauts
responsables, Steve Rosen et Keith Weissman. Avec Lawrence Franklin, haut fonctionnaire du département de
la défense, ils étaient accusés de "complot" en vertu de
l'Espionnage Act (loi sur l'espionnage). Le FBI les soupçonnait d'avoir
transmis à l'Etat d'Israël des informations classifiées. M. Rosen était alors
le directeur politique de l'Aipac. Le lobby avait mis fin à ses fonctions. Il
n'a jamais publiquement exigé l'abandon des poursuites - il sortirait de son
rôle. Mais il a fait intervenir en ce sens de nombreux relais. Et là, il
était exactement dans son rôle : se faire l'avocat de l'Etat d'Israël, qui
n'avait aucune envie de voir s'ouvrir aux Etats-Unis un procès pour
espionnage en sa faveur - encore moins en ce moment que jamais. Le procureur a finalement estimé le dossier insuffisamment
étayé. L'Aipac aurait donc toutes les raisons de se réjouir. Or "sa
direction et plus encore sa base sont très inquiètes. Elles se méfient
énormément de la politique de Barack Obama au Proche-Orient", assure
M. J. Rosenberg, qui a longtemps travaillé pour l'Aipac et dirige aujourd'hui
l'Israel Policy Forum. Michael Miller, invité à la conférence comme directeur
du JCRC, un regroupement d'associations communautaires juives américaines,
conteste cette opinion : "Trois mois, c'est trop peu pour juger
Obama. Donc inquiet, non ; préoccupé, oui. C'est normal lorsqu'on a pour
mission de protéger un Etat menacé dans son existence." Porte-parole de l'Aipac, Josh Block confirme : "Notre
rôle n'est ni de nous réjouir ni de nous inquiéter. Il est d'assurer la
meilleure sécurité d'Israël, premier garant des intérêts américains au
Proche-Orient. Il n'y aura pas de "paix magique" avec les
Palestiniens. Pour progresser, il faudra d'abord réduire l'influence néfaste
de l'Iran." La conférence prévoit de consacrer le gros de ses débats
à la menace nucléaire iranienne. Un thème aujourd'hui également privilégié en
Israël par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Les craintes de l'Aipac sont de deux ordres. Sous George Bush,
la "relation privilégiée" américano-israélienne avait atteint son
apogée. Avec l'équipe Obama, elle débute. Or, jusqu'ici, son administration a
envoyé des signaux contradictoires. Après l'opération récente menée par
l'Etat juif à Gaza en décembre 2008 et janvier 2009, M. Obama a avalisé
l'augmentation du montant des fournitures d'armes à Israël. Autre signe
rassurant : lorsque le patron du renseignement américain, l'amiral Dennis
Blair, a pris pour adjoint Charles Freeman, un diplomate que l'Aipac jugeait
trop favorable aux thèses arabes, le "lobby" a engagé une campagne
pour le délégitimer, et la Maison Blanche a renoncé à cette nomination. Mais nombre d'observateurs ont jugé que l'Aipac a remporté là
une victoire à la Pyrrhus. La thèse controversée d'un ouvrage des professeurs
Walt et Mearsheimer (Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine,
La Découverte, 2007) est que l'Aipac exerce une influence prépondérante et
illégitime sur les décisions américaines au Proche-Orient. Des commentaires
ont estimé que si le lobby avait voulu confirmer cette thèse avec l'affaire
Freeman, il ne s'y serait pas pris autrement. L'Aipac assure n'avoir "joué
aucun rôle" dans la décision de l'administration. M. Miller admet
que, "malheureusement, personne ne le croit". La Maison Blanche sait que M. Obama était le dernier des
candidats que l'Aipac - comme la classe politique israélienne - souhaitait
voir élu. En désignant George Mitchell comme son envoyé spécial au
Proche-Orient, le président a inquiété Jérusalem - et donc l'Aipac, quoique
les deux s'en défendent. Et plusieurs éléments récents ont avivé leurs
craintes. Dans le Washington Post, jeudi 30 avril, le général Jones,
conseiller à la sécurité nationale, disait à mots à peine voilés que
Washington imposera ses vues tant dans la négociation israélo-palestinienne
que sur l'Iran, le moment venu. M. Nétanyahou fait-il remarquer que le règlement du problème
palestinien sera très ardu et forcément long ? Le président rétorque que les
problèmes sont certes importants, mais qu'aucune négociation n'a vocation à
être "infinie"... La désignation de son chef de cabinet,
Rahm Emanuel, fils d'un nationaliste israélien émigré, avait été perçue à
Jérusalem comme très rassurante. Mais voilà que celui-ci fait la leçon à des
élus israéliens de passage : son patron est "déterminé" à
obtenir un accord israélo-palestinien. Le député israélien Yaakov Katz
s'insurge : "M. Emanuel devrait se souvenir qu'il est juif."
Tout cela n'est pas bon pour le lobby. M. Obama a reçu une lettre de dix personnalités américaines,
démocrates et républicaines, qui le poussent à prendre langue avec le Hamas
palestinien et récusent l'idée selon laquelle "la paix ne peut être
imposée par une tierce partie". Manière de dire qu'ils sont
favorables à des pressions américaines sur Israël. En d'autres temps, l'Aipac
aurait dénoncé cette initiative : un de ses thèmes de prédilection est de
récuser systématiquement toute pression sur Israël, qui, dit M. Block, "est
une démocratie souveraine". Or, cette fois, l'Aipac a fait profil
bas. La missive des dix avait été remise en main propre au président par son
conseiller Paul Volcker, qui en est signataire. Dans les rangs de l'Aipac, la crainte est perceptible. Divers
signes montrent que le rapport de l'opinion américaine à Israël évolue. En
2003, la thèse des professeurs Walt et Mearsheimer s'était spontanément
heurtée au soupçon d'antisémitisme. Les critiques, d'accord ou pas, ont
estimé que cette analyse, publiée aux Etats-Unis dans un livre en 2006, n'a
rien d'antisémite et mérite débat. Le 19 janvier, Time a titré en
manchette : "Pourquoi Israël ne peut pas gagner". Le magazine
expliquait que son recours systématique à la force dans l'espoir de régler le
problème palestinien constitue une faiblesse politique, qui aggrave le danger
dans lequel vit Israël plutôt qu'il ne le réduit. Pour J. J. Goldberg, ancien directeur du journal juif The
Forward, "on ne perçoit pas combien l'opinion américaine a évolué
défavorablement avec la guerre israélienne à Gaza". M. J. Rosenberg,
lui, fait remonter les difficultés de l'Aipac plus avant. "D'un lobby
strictement pro-israélien, cet organisme est devenu une courroie du Likoud,
identifiée par l'opinion américaine à la tendance Dick Cheney."
Résultat : avec l'échec en Irak et une fois M. Cheney devenu le politicien le
plus discrédité des Etats-Unis, l'Aipac a vu son impact politique fortement
réduit, estime-t-il. Quant à la mobilisation de l'Aipac sur la menace iranienne,
l'ambassadeur Philip Wilcox, président de la Foundation for Middle East Peace
et ex-consul américain à Jérusalem, l'analyse ainsi : "M. Obama juge
les craintes israéliennes légitimes. Mais il veut sortir de trente ans
d'absence de dialogue avec l'Iran qui ont précisément amené les Etats-Unis à
être confrontés à sa menace nucléaire. Si Israël et l'Aipac tentent de miner
notre nouvelle diplomatie ou brandissent la menace iranienne comme dérivatif
pour éluder un règlement de la question palestinienne, ils vont à
l'échec." Une collision serait donc inéluctable ? "Pas du tout, répond
le diplomate. Si M. Obama présente aux Israéliens une solution attractive, je
ne crois pas qu'ils envisageront de perdre le soutien de l'ami américain.
Leur opinion suivra, et l'Aipac aussi." Partisans et critiques du
"lobby" ne partagent qu'une certitude : entre Washington et
Jérusalem, de grandes manœuvres sont engagées. Sylvain Cypel |
Un puissant groupe
de pression Contrairement, par exemple, au
Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), l'Aipac n'est
pas un organe représentatif de la communauté juive américaine. Celui-ci
existe : c'est la Conférence des présidents (des organisations juives).
Aipac, lui, est un lobby - "le lobby américain pro-israélien",
comme il est explicitement stipulé sur son site Internet. Le terme est parfaitement légitime
aux Etats-Unis. Il désigne un groupement de défense d'intérêts particuliers -
ethniques, religieux, économiques, professionnels ou encore diplomatiques.
Plus que simplement légale (des milliers de lobbies sont enregistrés au
Congrès), cette activité est jugée constitutive des droits en démocratie. Il
y a un lobby pro-Israël, comme il y a des lobbies pro-Chine ou anticastriste. L'activité d'un lobby américain se
concentre sur les pouvoirs législatif et exécutif, qu'il vise à convaincre du
bien-fondé de ses revendications. Devant eux, l'Aipac a pour mission, par
exemple, de garantir ou de faire augmenter l'aide à l'Etat juif. Il a connu
des succès retentissants : ainsi lorsque George Bush, dans une lettre
officielle au premier ministre Ariel Sharon, en avril 2004, avait admis
qu'Israël conserve, dans le cadre d'un accord de paix, une partie des
territoires occupés palestiniens avec les colonies qui y sont érigées. Aipac
a aussi connu des échecs : il n'a jamais pu obtenir le transfert de
l'ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. "C'est le lobby le plus
important au Congrès, après celui des retraités et celui des armes à
feu", estime J. J. Goldberg, ex-directeur du journal juif new-yorkais The
Forward. Ses 100 000 adhérents revendiquent cette influence avec fierté. Avec
150 salariés au siège, des bureaux régionaux, un réseau de connexions de haut
niveau dans les milieux intellectuels, la compétence de ses juristes comme
l'exceptionnelle capacité d'intervention de l'Aipac au Congrès et auprès des
médias suscitent l'admiration (ou la jalousie). Contrairement à d'autres, ce lobby,
par neutralité politique, ne finance aucune campagne électorale. Mais, à
titre individuel, ses membres fortunés le font pour lui, privilégiant
systématiquement le candidat local le plus favorable à un Israël
"fort". L'Aipac se vante, ajoute M. Goldberg, de disposer dans
chacune des 435 circonscriptions américaines d'au moins un donateur important
bénéficiant d'un contact direct avec l'élu local. Sylvain Cypel |