|
|
|
Article paru dans l'édition du 16 mai 2009 Analyse Benoît XVI, un pape politique au Proche-Orient par Stéphanie Le Bars Trois destinations sensibles, quatre sujets de poids. En une
semaine et près de trente discours en Jordanie, en Israël et dans les
territoires palestiniens occupés, le pape Benoît XVI avait au moins sept
bonnes raisons de trébucher. On en est loin. Benoît XVI a globalement
maîtrisé les aspects géopolitiques de la région, même si, au cours du voyage
qu'il a achevé vendredi 15 mai, il n'a pas pu éviter tous les écueils
prévisibles dans un contexte où religion et politique ont partie liée. Sans
se départir de sa raideur et de son registre de théologien, le pape a parlé
politique et s'est mué en défenseur du dialogue entre les religions et les
cultures. Pour ce douzième déplacement à l'étranger, l'agenda était
ambitieux. Et le contexte, défavorable. Benoît XVI était censé promouvoir le
dialogue interreligieux avec les musulmans, puis avec les juifs ; favoriser
la paix entre Israël et les territoires palestiniens et pousser à la création
d'un Etat palestinien ; conforter la présence des chrétiens dans la région. Le dialogue islamo-chrétien, devenu un enjeu grandissant du
pontificat depuis la controverse suscitée par le discours du pape à Ratisbonne
(Bavière) - dans lequel les musulmans avaient lu une critique de l'islam -, a
été au coeur de l'étape jordanienne et du passage à Jérusalem. En dépit des
tentatives de récupération politique de la part de responsables musulmans,
des pas importants ont été franchis. A elle seule, la visite au Dôme du
Rocher, sur l'esplanade des Mosquées, à Jérusalem, constitue un gage
significatif de la confiance entre une partie des élites musulmanes et le
Vatican. Le bilan est moins positif pour les relations judéo-chrétiennes
et l'image du pape dans la société israélienne. Censé solder une période de
tensions avec le monde juif, troublé par la levée de l'excommunication de
l'évêque négationniste Richard Williamson, Benoît XVI a, du point de vue
israélien, raté le coche. Pour certains rabbins israéliens, son discours à
Yad Vashem, trop distant, n'a pas suffisamment mis l'accent sur le rôle de
l'Eglise dans l'antisémitisme. Ce différend ne remettra pas en cause les relations déjà
engagées entre juifs et chrétiens, mais les déclarations de bonne volonté ne
suffiront pas à lever, comme l'avait espéré Benoît XVI en début de voyage, "les
obstacles à la réconciliation des chrétiens et des juifs". Le dialogue interreligieux, qu'il soit bilatéral ou
trilatéral, est loin d'être mûr, en dépit d'une volonté, assez bien partagée
par les responsables religieux, de le défendre. L'image du pape tenant la
main d'un rabbin et d'un dignitaire druze à Nazareth restera l'une des images
symboles de ce voyage. Sur le fond, le pape a souhaité mettre l'accent sur
les "valeurs communes" aux trois religions plutôt que sur
les différences. S'il ne s'engage toujours pas sur la voie d'un dialogue
théologique, il s'agit d'une évolution sensible pour un pape qui, au début de
son pontificat, avait jugé urgent de supprimer le dicastère chargé du
dialogue interreligieux. Il l'avait rétabli après la controverse de
Ratisbonne. Néanmoins, les tensions et la méfiance sur le terrain laissent
songeurs sur la réalité d'une coexistence apaisée et durable. Mais c'est sur le dossier israélo-palestinien que ce pape
habituellement si peu politique a surpris. Le voyage, entrepris quatre mois à
peine après l'offensive israélienne de Gaza et quelques semaines après
l'arrivée d'un nouveau gouvernement israélien plus faucon que colombe,
semblait miné. Les Palestiniens craignaient que ce voyage ne constitue un
blanc-seing donné à la politique israélienne. Le pape était "conscient"
de ces difficultés, selon le porte-parole du Vatican, et il faut reconnaître
qu'il n'en a rien été. Soucieux de conserver une position "équilibrée",
Benoît XVI a évoqué "la sécurité d'Israël" et
condamné le "terrorisme", tout en donnant des signes forts
de soutien et de compréhension aux Palestiniens ; il a appelé de ses voeux
avec insistance la création d'un Etat palestinien. Mises à part l'épineuse
question de Jérusalem, qualifiée de "ville de la paix, demeure
spirituelle pour les juifs, les chrétiens et les musulmans",
et sa réticence, soulignée par des Palestiniens, à parler d'"occupation"
israélienne, le pape n'a éludé presque aucune question que ses hôtes de
Cisjordanie souhaitaient le voir soulever. En diplomate respectueux des résolutions des Nations unies, il
a évoqué, parfois avec force, la situation à Gaza, les difficultés causées
par le mur de séparation, la question des réfugiés, l'accès aux Lieux saints,
les prisonniers politiques... "Les murs peuvent être
abattus", a proclamé, à Bethléem, le pape allemand, frappé par la
découverte du dispositif construit par Israël, à quelques mois du vingtième
anniversaire de la chute du mur de Berlin. Même si la parole papale n'a pas
le poids de celle d'un Barack Obama, cet espoir restera l'une des phrases
clés de son séjour. La rencontre entre le pape et les chrétiens d'Orient constitue
en revanche l'une des faiblesses du voyage. Leur présence aux différentes
messes, à Amman, Jérusalem ou Nazareth, a souvent été éclipsée par celle de
milliers de pèlerins étrangers. La demande que leur a faite le pape d'être
des vecteurs de paix et des "bâtisseurs de ponts" a pu
sembler décalée dans un contexte marqué par une constante diminution de leur
nombre sur place et les tensions entre les communautés. Stéphanie Le Bars |