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   logohuma-small.gif                                                                                         Article paru le 8 juillet– page12

 

Le mouvement de la paix israélien en miettes

Entretien . Michel Warschawski est journaliste et auteur israélien engagé dans le combat anticolonial. Il vient de publier l’ouvrage Destins croisés.

Ce qui frappe dans votre dernier livre, c’est la manière dont vous montrez comment le sionisme a été, entre les deux guerres mondiales, mal perçu par toutes les communautés qui vivaient alors en Palestine, car juifs et Arabes, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, se sentaient alors tous palestiniens. C’est le sionisme qui a brisé les liens entre eux ?

Michel Warchawski. Oui, bien sûr. Le sionisme appuyé sur le colonialisme de la puissance mandataire, la Grande-Bretagne. La plupart des familles juives qui vivaient là depuis le XVIIIe siècle ont vu d’un très mauvais oeil l’arrivée des nouveaux immigrants. Ces nouveaux juifs qui arrivaient d’Europe, de Russie ou des États-Unis étaient des étrangers. Ils n’avaient pas la même culture, pas le même mode de vie. Ils se nourrissaient et s’habillaient différemment. Ils parlaient d’autres langues. Les juifs du cru, eux, parlaient l’arabe. Le grand rabbin séfarade d’Hébron était lui-même arabe. Les juifs de Palestine se sont sentis envahis, tout comme les Arabes, avec qui ils entretenaient de bonnes relations. Ils ont tout de suite vu que cette immigration allait remettre en cause ces relations, ce qui a été confirmé dès 1929 par le massacre des juifs d’Hébron.

Pourtant, aujourd’hui, il n’y a plus de différence. Comment s’est faite l’intégration ?

Michel Warschawski. Cela a pris du temps. Au début, les sabra (1) étaient écrasés entre le mouvement sioniste et la communauté arabe qui les a vite considérés comme des ennemis. Ils étaient en marge. Ils ne se sentaient pas partie prenante de ce qui se passait. Le tournant date des années soixante-dix et c’est Begin qui a réussi à les intégrer à la vie politique, comme il l’a fait pour les séfarades. Aujourd’hui, la plupart sont passés à droite, voire à l’extrême droite, alors que pour leurs ancêtres, le sionisme, c’était le diable et l’Arabe était le voisin. L’autre tournant, c’est 2000. Alors que dans la période qui a précédé, la société israélienne avait réussi à renouer les contacts avec les Arabes, redevenus visibles grâce l’Intifada et à Oslo. On avait l’impression d’aller vers la normalisation. Et patatras, Barak a tout cassé à Camp David. Je n’oublierai jamais le discours qu’il a fait à son retour. Il a dit : « Il n’y a plus de partenaire. Ils nous ont tendu la main pour nous endormir et nous jeter à la mer ensuite. » Ce discours répété par tous les médias - y compris Haaretz - a provoqué l’écroulement du Mouvement pacifiste israélien qui ne s’en est jamais remis. Sans cela, on ne comprend pas Gaza et l’absence de réaction, ne serait-ce que du simple point de vue humanitaire, face aux crimes qui y ont été commis. Ce n’est pas la première fois que l’armée israélienne commet des crimes - il y a eu Sabra et Chatil - mais c’est la première fois qu’il n’y a pas de réaction, même tardive, de l’opinion. C’est pour moi extrêmement grave.

Pourtant, il y a encore des manifestations contre les démolitions de maisons, contre le mur…

Michel Wasrchawski. Oui, bien sûr. Les organisations les plus engagées continuent la lutte anticoloniale. C’est ce qu’Uri Avnery appelle la « petite roue ». Mais il n’y a plus de « grande roue » à entraîner comme c’était le cas avant avec La Paix maintenant, qui était devenu un mouvement de masse au moment d’Oslo. La « petite roue », qui mobilise entre 5 000 et 15 000 personnes, continue de tourner, mais il n’y a plus de médiation avec l’ensemble de la société. De plus, les liens assez forts qu’elle avait avec les Palestiniens se sont distendus. Le mur a fait son oeuvre, physiquement et dans les têtes. Il sépare les deux sociétés. Il est de plus en plus difficile de se rencontrer et l’idée fait son chemin que c’est en train de devenir impossible. Il reste quelques lieux symboliques, comme Bi’lin ou le sud d’Hébron, où l’on mène des actions communes avec les Palestiniens.

N’y a-t-il donc plus d’espoir de renouer les liens, de faire enfin la paix ?

Michel Warschawski. Le seul espoir, c’est qu’Obama force la main d’Israël au nom des intérêts des États-Unis, qui passent toujours par le Moyen-Orient. Il a des moyens de pression : tout notre armement dépend des États-Unis. Il peut ne plus utiliser son veto à l’ONU pour protéger Israël. Et je pense que Netanyahou est trop « américain » pour aller durablement contre lui. Il devra se soumettre ou se démettre. Quand à Liebermann, il pourrait être amené à démissionner très vite, de graves accusations de corruption pèsent sur lui. Reste l’Europe, qui pourrait beaucoup, mais en qui on finit par désespérer d’espérer.

(1) Nom qui désigne les juifs originaires de Palestine avant la création d’Israël.

Entretien réalisé par Françoise Germain-Robin

http://www.humanite.fr/2009-07-08_International_Le-mouvement-de-la-paix-israelien-en-miettes

 

 

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