Qu’importe les drapeaux israéliens aux fenêtres des
appartements voisins, la synagogue toute proche et les devantures en hébreu.
Pour Aya Yassin la Palestinienne, l’implantation juive de Neve Yaacov, «
c’est aussi ma terre ». Depuis quatre ans, cette jeune femme de 26 ans,
habillée à l’occidentale, habite avec son mari et ses deux enfants un
appartement coquet dans ce quartier juif de Jérusalem-Est, bâti sur les
terres du village arabe de Beit Hanina.
L’implantation est considérée comme illégale au regard du droit
international. Progressivement étendue sur les terres conquises en 1967
autour de Jérusalem puis annexées par l’État hébreu, Neve Yaacov,
banlieue dortoir tentaculaire, abrite désormais plusieurs dizaines de
milliers d’Israéliens et quelques dizaines de familles palestiniennes.
« C’est d’abord un choix financier, confie Aya. Nous avons cherché dans
un quartier arabe, mais les logements sont hors de prix. Ici, les loyers
sont abordables et nous ne sommes qu’à quelques minutes de chez mes
parents. »
La barrière est le plus souvent sociale
Pour conserver une
large majorité juive dans la Ville sainte, la municipalité accorde les
permis de construire au compte-gouttes dans la Jérusalem arabe : 400 en
2008, alors que le bureau israélien des statistiques estime à 1 500 par
an le nombre de nouveaux logements nécessaires pour accommoder la
vigoureuse croissance démographique palestinienne. Par conséquent, de
plus en plus de familles arabes lorgnent sur ces quartiers de colonisation
aux logements spacieux et abordables, construits pour attirer les jeunes
couples israéliens.
La plupart des Palestiniens de Jérusalem ne savent même pas qu’ils ont le
droit de vivre ici, alors qu’aucune loi ne l’empêche. La barrière est le
plus souvent sociale. Pas question pour Aya d’envoyer ses enfants dans
une école juive. En dépit d’un hébreu parfait, les relations avec ses
voisins sont distantes, voire tendues. « Nous n’avons rien en commun.
C’est bonjour-bonsoir et c’est tout », lâche la jeune mère de famille,
qui dit apprécier le ramassage régulier des ordures, la présence d’un
jardin d’enfants et d’une piscine olympique. « Dans les quartiers arabes, on paye les mêmes impôts
sans recevoir aucun service en retour », ajoute-t-elle.
À Beit Hanina, les trottoirs sont quasi inexistants et les poubelles
régulièrement brûlées à ciel ouvert faute d’être collectées. Les
Palestiniens forment 35 % de la population de Jérusalem, mais la
municipalité n’alloue que 10 % de son budget aux quartiers arabes. C’est
cette différence de traitement qui a poussé Basel Shama à acheter un
appartement de quatre pièces à Pisgat Zeev, à côté de Neve Yaacov. « Nous
voulions un quartier facile à vivre, avec des arrêts de bus, des banques
et des trottoirs sur lesquels on peut marcher. »
Moins religieux que Neve Yaacov, Pisgat Zeev attire de plus en plus de
Palestiniens, « surtout des Arabes israéliens du Nord et des chrétiens de
Jérusalem », précise Basel. Ce chrétien de Nazareth reconnaît se sentir
plus à l’aise dans cette banlieue occidentalisée que dans l’atmosphère
conservatrice de Beit Hanina. « Ici, je peux me promener en short et
faire moins attention à ce que je porte », ajoute Inès, son épouse.
"Acheter dans ces colonies est le seul
moyen de libérer les terres palestiniennes"
Le
phénomène ne concerne encore que quelques centaines de familles
palestiniennes, mais la tendance « est en train de s’amplifier », estime
Meir Margalit, élu du conseil municipal de Jérusalem pour le parti Meretz
(gauche pacifiste). « Ce processus de migration a commencé il y a
plusieurs années avec la construction du mur de sécurité. Plus de 50 000
Palestiniens se sont trouvés bloqués du mauvais côté du mur, avec le
risque de perdre leur droit de résidence à Jérusalem. Ceux qui cherchent
à déménager ne trouvent rien dans les quartiers arabes », dit-il, en
s’interrogeant sur l’effet boomerang de la politique israélienne destinée
à contenir la population palestinienne. « Croyez-moi, les autorités
municipales ne sont pas ravies, mais elles ne peuvent rien y faire. »
Dans la Jérusalem « unifiée » sous souveraineté israélienne, rien ne
différencie, au regard du droit, les quartiers arabes des quartiers
juifs.
L’Autorité palestinienne, elle, se frotte les mains. Que des Palestiniens
s’installent dans des colonies a comme un goût de revanche. Beaucoup y
voient même le moyen de renverser l’extension continue des quartiers de
colonisation. « J’encourage tout le monde à acheter dans les colonies
parce qu’elles font partie de la terre de la Palestine, a ainsi déclaré
Hatem Abdul Qader, le conseiller palestinien du premier ministre Salem
Fayyad pour les “affaires de Jérusalem”. Si les Palestiniens peuvent
maintenir leur existence à Jérusalem et en Palestine en vivant dans des
colonies, j’espère que tous ceux qui en ont les moyens le feront. »
Dans son cabinet de Jérusalem-Est, l’avocat palestinien Mohamed Dahleh
bataille contre les refus de vente d’Israéliens peu enclins de vendre à
des Palestiniens. Ce juriste inscrit au barreau israélien a lui-même
bataillé plusieurs années pour acheter sa maison et encourage tous les
Palestiniens à faire de même. « Si les Palestiniens achètent massivement
dans ces quartiers, alors les Israéliens partiront parce qu’ils ne
voudront pas vivre avec des Arabes », assure-t-il, convaincu de tenir là
le meilleur moyen de favoriser la création d’une capitale palestinienne à
Jérusalem-Est. Depuis le début de l’année, Mohamed Dahleh a signé une
trentaine de ventes pour des familles arabes dans des quartiers juifs en
territoire occupé. « Israël ne rendra jamais ces terres par la
négociation. Acheter dans ces colonies est le seul moyen de les libérer
», ajoute-t-il. Même s’il faut le faire maison par maison.
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