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Entretien avec Jean
Claude Willem http://www.voltairenet.org/article161271.html#nb8#nb8 Le boycott des produits israéliens est-il légal ? Jean Claude Willem, 75 ans, raconte dans
cet entretien comment, alors qu’il était maire (PCF) de Seclin, une bourgade
française de 12 000 habitants, il a été emporté par une tornade judiciaire de
sept ans et condamné à 1 000 euros d’amende pour avoir déclaré son
intention d’écarter des cantines de l’école communale les jus de fruit
provenant des colonies illégales israéliennes. En définitive, son recours
vient d’être rejeté par la Cour européenne des droits de l’Homme de
Strasbourg (CEDH). Tout en reconnaissant l’intention
légitime de Jean Claude Willem de lutter contre l’apartheid, la Justice
française a considéré qu’en l’espèce, un boycott des produits de l’apartheid
israélien revenait à une discrimination économique contre les producteurs de
nationalité israélienne. De ce fait, elle l’a condamné à la fois comme un
citoyen appelant à la discrimination sur une base nationale et comme un élu
manquant à la neutralité de sa charge. Franchissant un pas supplémentaire, la
Cour européenne lui a reproché de faire justice lui-même en décidant d’un
boycottage en lieu et place des autorités gouvernementales. |
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Silvia
Cattori :
Voudriez-vous résumer brièvement ce qui s’est passé depuis ce jour où,
vous aviez annoncé, au cours d’une réunion du conseil municipal de la commune
de Seclin, votre intention de boycotter les produits israéliens provenant de
ces colonies juives qui exploitent des terres appartenant au peuple
palestinien ? Jean
Claude Willem :
Cela a commencé en octobre 2002. J’étais alors maire de Seclin. Un soir j’ai
eu une réaction de colère quand j’ai vu à la télévision les troupes
israéliennes intervenir à Naplouse, (une grande ville au nord de la
Palestine) en violentant aussi bien les habitants que leurs habitations. Ce
même soir, nous avions une réunion du Conseil municipal ; nous
discutions des mesures à prendre par rapport à la crise de la vache folle en
Grande Bretagne. À l’issue de la discussion où nous avions décidé de
maintenir le refus gouvernemental de laisser la viande anglaise arriver en
France, dans le cadre de cette mesure de boycott, j’ai ajouté, en réaction
aux violences israéliennes contre le peuple palestinien, que j’avais décidé
que la cuisine municipale de Seclin n’achèterait plus de produits provenant
d’Israël, notamment les jus de fruits, que l’on savait provenir des colonies
implantées sur des terres palestiniennes. Que c’était là une manière de
protester par le boycott contre ces violences meurtrières, comme on l’avait
fait en d’autres circonstances. Suite à
cela, il y a eu beaucoup de réactions positives ou négatives sur le site de
la mairie. Alerté par l’association « Action Cultuelle Israélite du
Nord » [1], le procureur a décidé de me poursuivre. J’ai
comparu en mars 2003 devant le tribunal correctionnel qui, huit jours après,
me relaxait en disant qu’il n’y avait pas de délit constitué dans l’intention
de boycottage exprimée, que cela relevait de ma liberté d’expression. Dans
les quelques heures qui ont suivi, le ministre de la Justice, Dominique
Perben, a ordonné au Parquet de faire appel. En juin 2003 j’ai comparu devant
la Cour d’appel, qui en septembre 2003 m’a condamné à mille euros d’amende.
Et, en septembre 2004, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté
mon pourvoi [2]. J’ai alors saisi la Cour européenne pour violation de la
liberté d’expression. Cette dernière m’a débouté le 16 juillet 2009. Silvia
Cattori :
L’arrêt de la CEDH vous a-t-il surpris ? [3] Jean
Claude Willem :
Non, car je ne me faisais pas d’illusions. Vous savez, l’Union européenne est
complice d’Israël ; même après l’agression israélienne contre Gaza (de
décembre 2008 et janvier 2009), la position de l’UE n’a pas changé, elle n’a
toujours pas condamné Israël. Tout pouvait nous laisser pressentir que la
Cour européenne n’allait pas déjuger les 27 pays de l’Union européenne [4]. Sur les sept juges, seul le juge tchèque, Karel Jungwiert, m’a
soutenu. Il a estimé que les déclarations incriminées reflétaient
l’expression d’une « opinion ou d’une position politique d’un élu sur
une question d’actualité internationale ». Silvia
Cattori :
La Cour européenne ne vous a-t-elle pas condamné, non pas en tant que
citoyen mais en tant qu’élu local dont la fonction impose de « conserver
une certaine neutralité » ? Ai-je bien compris ? Jean
Claude Willem :
Le maire que j’étais a été poursuivi ; mais également le citoyen. Dans
l’argument donné en réponse à la Cour européenne par rapport à mon recours,
le gouvernement français a affirmé que ma liberté d’expression comme citoyen
et ma liberté complémentaire d’expression comme élu, n’étaient pas mises en
cause. La Cour européenne a repris ces arguments à son compte pour me
débouter. Elle m’a condamné aussi bien comme élu que comme citoyen. Silvia
Cattori :
Il ne s’agirait donc pas uniquement d’interdire la pratique du boycottage
dans le cadre d’une collectivité publique mais d’un jugement qui interdirait,
de façon générale, d’appeler au boycott de produits israéliens ? Jean
Claude Willem :
C’est en cela que la décision de la Cour européenne est choquante. C’est un
vrai scandale qu’elle se prononce contre la liberté d’expression non
seulement d’un ressortissant de l’Union européenne mais d’un élu du peuple
d’un pays membre de l’Europe. Je tiens
à souligner qu’en ce qui me concerne je ne suis en contravention ni avec la
loi française ni avec la loi de l’Union européenne ; puisque l’Union
elle-même s’oppose à l’importation de fruits, de légumes, de matériaux,
venant des colonies [5]. Si l’Union européenne respectait ses propres décisions, elle
arrêterait immédiatement le commerce avec Israël. Mais rien n’est fait. Il
convient ici de rappeler que, quand cette affaire a été portée devant les
tribunaux, je n’avais fait qu’exprimer l’intention de boycotter des produits
en provenance de colonies illégales contraires aux droits
internationaux ; c’est-à-dire, de cultures effectuées par les colons
israéliens en terre palestinienne. Silvia
Cattori :
Ce jugement de la Cour européenne est donc, selon vous, un jugement
politique ? Jean
Claude Willem :
Oui. C’est une condamnation politique car elle ne vise pas uniquement ma
personne mais tous ceux qui pourraient annoncer leur intention de boycotter
Israël. C’est une confirmation d’une atteinte à la liberté d’expression, à la
liberté tout court. Il
s’agit d’un jugement politique. Car ce n’est pas moi seul qui suis visé ici.
Je suis celui par qui la sentence se justifie ; mais derrière tout cela
on annonce à tous les Français, et par extension à tous les citoyens de
l’Union, que s’ils veulent condamner Israël pour ses violations, ils auront
des problèmes. Silvia
Cattori :
C’est le monde à l’envers ! On punit le citoyen qui n’accepte pas
l’impunité dans laquelle l’État colonial d’Israël est laissé ! Le fait
qu’aucun média européen n’a commenté ce verdict surprenant, si lourd de
conséquence pour la liberté d’expression, vous a-t-il choqué ? Jean
Claude Willem :
Oui bien sûr. Mais vous savez, même le quotidien communiste L’Humanité
n’en a pas parlé, alors que j’appartiens au Parti communiste. Depuis 2002,
jamais L’Humanité n’a parlé de cette affaire ! Je leur ai du
reste écrit pour leur signifier mon étonnement ! Silvia
Cattori :
L’argument
des tribunaux français, validé par la Cour européenne, est qu’un élu ne peut
se substituer aux autorités gouvernementales pour déclarer le boycott d’un
État. Ce point de vue peut-il justifier le jugement de la Cour selon lequel
votre liberté d’expression n’a pas été violée ? Jean
Claude Willem :
Non cela ne le justifie pas. Deuxièmement,
un maire est une figure politique. Dans une ville industrielle comme Seclin,
le maire occupe une place politique importante. J’étais aussi vice-président
de la communauté urbaine de Lille. De ce fait, j’étais amené à prendre des
positions politiques. D’autres
en ont fait autant. Ils ont pris avec moi des décisions qui ne sont peut-être
pas conformes à la loi telle que conçue aujourd’hui. Peu avant cette affaire
du boycottage, j’avais comparu devant le tribunal correctionnel avec quatre
autre maires du Nord Pas-de-Calais parce que nous refusions de faire des
appels d’offre pour les séjours de vacances des enfants. Nous estimions que
l’on ne pouvait pas organiser un séjour de vacances pour enfants comme on le
fait lorsque l’on met en concurrence des travaux, et que, dans ce cas, il ne
devait pas y avoir d’appels d’offres. Nous avions alors été relaxés. Cet
exemple montre que l’on peut ne pas respecter intégralement la loi quand on a
le bons sens et la justice avec soi. Silvia
Cattori :
Le jugement de la Cour européenne contribue à protéger Israël de ce qu’il
redoute le plus : un boycottage selon le modèle appliqué en d’autres
temps à l’Afrique du Sud. En préconisant le boycottage contre un État qui se
considère au dessus des lois —ceci malheureusement avec la complicité de nos
démocraties— vous avez agi honorablement ! Mais une question se
pose : n’avez-vous pas sous-estimé la force écrasante de
l’adversaire ? Jean
Claude Willem :
Je ne le pense pas, d’abord parce que je ne me considère pas comme battu.
Vous savez, ma prise de position a été largement soutenue, pas seulement en
France [6], mais dans le monde. Et j’ai reçu beaucoup de soutiens lors de
ma première condamnation en appel [7]. De partout, je reçois de nombreux messages de gens qui se
mobilisent en faveur de la justice en Palestine. Peut-être que ce qui était
alors mon statut de maire a contribué à ce qu’il y ait autant de réactions. Cela
dit, je ne cesse de répéter que cette position de la Cour européenne ne va
pas me faire abandonner le combat que j’ai engagé. Il y a de plus en plus de
gens autour de moi pour le poursuivre. Silvia
Cattori :
Le but des pro-Israéliens qui vous ont poursuivi n’était-il pas d’adresser
un avertissement à toute collectivité locale qui serait tentée de suivre
votre exemple ? Et de vous faire payer cher cette intention de boycott
que vous aviez exprimée ? Jean
Claude Willem :
Oui bien sûr. Je suis, depuis quatorze ans, chevalier des palmes
académiques ; c’est une décoration qui est donnée aux gens qui
interviennent dans le domaine de l’enfance et de l’éducation. Normalement j’aurais
dû passer officier. Quand un inspecteur de l’académie m’a proposé à ce grade,
cela a été refusé par le Ministère parce que j’avais été condamné dans cette
affaire de boycott. Plus que cela encore : normalement, au bout de 30
ans d’activité comme élu, un élu a droit à une médaille d’honneur
départementale et régionale. En avril dernier, le préfet a refusé que cette
médaille me soit remise parce que j’avais un casier judiciaire. Cela n’en
finit pas. Ce
jugement affirme que, par ce geste de boycott là, le maire que j’étais
portait atteinte à l’activité commerciale des agriculteurs israéliens. Ce qui
justifiait surtout ma position envers Israël c’est que, notamment les fruits
et les légumes, proviennent des colonies implantées illégalement sur les terres
des Palestiniens. Et qui, de par la loi de l’Union européenne, sont
interdites dans les États de l’Union. Ce qui
ressort clairement est que tout est fait pour éviter de toucher au fond du
problème : à la question politique. Donc tout va dans le sens de la
défense de l’activité commerciale d’Israël. Silvia
Cattori :
Ce préfet avait-il un parti pris pro-israélien ? Jean
Claude Willem :
Oui. Ce préfet est réputé pour être un proche de Nicolas Sarkozy. Lorsque le
maire actuel de Seclin a annoncé qu’il ne pouvait pas me remettre la médaille
parce que le préfet s’y opposait, tout le personnel présent, 300 agents
communaux, m’a ovationné. Cela vaut plus que la médaille que le préfet m’a
refusée. Silvia
Cattori :
Ce jugement, ne va sans doute pas dissuader les gens, révoltés par les
crimes de l’État israélien, de s’engager individuellement dans des actions de
boycottage. Mais ne va-t-il pas dissuader les élus, qui se sont jusqu’à
présent défilés, de répondre efficacement à l’appel « Boycott
Désinvestissement Sanctions » lancé par la société civile palestinienne
dès 2004 [8] ? Jean
Claude Willem :
Je crois que je suis le premier élu à être condamné. Cela dit, il y a
beaucoup de gens qui pratiquent le boycott ; qui, au moment d’acheter un
produit, en regardent la provenance et ne l’achètent pas quand il vient
d’Israël. Silvia
Cattori :
Vous avez, par votre geste courageux, placé les autorités de l’Union
européenne en face de leurs responsabilités. Compte tenu du jugement de la
Cour européenne, pourquoi n’appelleriez-vous pas les élus locaux, à faire
voter des motions par leurs conseils municipaux pour engager leurs
administrés à pratiquer le boycottage et à intervenir au nom de cette liberté
d’expression que vous souhaitiez fondamentalement exercer ? Jean
Claude Willem :
Maintenant, ce sont plutôt les associations engagées en faveur de la paix et
la justice au Proche-Orient qui pourraient le faire. Moi-même je n’ai plus de
pouvoir. Il y a
des Conseils municipaux qui ont pris des positions claires sur l’injustice
qui frappe les Palestiniens. Qui ont réclamé que les sanctions prévues par la
loi soient prises par l’UE vis-à-vis d’Israël. Il y a régulièrement des élus
qui vont en Palestine exprimer leur soutien aux Palestiniens. Je vous
l’ai déjà dit : il faut quelquefois savoir ne pas respecter la loi quand
elle est contraire à notre morale ; quand elle s’oppose à nos idéaux de
justice et de fraternité. D’autant
qu’il n’y a pas de quoi être optimiste. Depuis l’arrivée de Sarkozy les
choses n’ont fait qu’empirer. La France ne va pas dans le bon sens. Silvia
Cattori :
Nous vous remercions. |