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Amira El Karem:
dépôt de plainte à la Cour pénale internationale de La Haye Réf.
Amira ALQEREM Palestine Dénonciation
de faits Art.
15.1 Statut
A Monsieur le Procureur près la Cour Pénale Internationale, 1.
Mademoiselle Amira ALQEREM, née le 6 avril 1994 à Gaza, de nationalité
palestinienne, demeurant quartier Tal Al Hawa, Gaza, agissant tant en son nom
personnel qu’en sa qualité d’ayant de droit de : - Fathi
Dawson ALQEREM, né le 13 août 1942, à Gaza, son père, commerçant, décédé le
14 janvier 2009, - Ismat
ALQEREM, né le 13 mars 1993, à Gaza, sa soeur, décédée le 14 janvier 2009, - Ala
ALQEREM, né le 14 juin 1995, à Gaza, son frère, décédé le 14 janvier 2009, 2. Ayant
pour avocats… 3.
Précisant que pour les besoins de la procédure Amira ALQEREM et l’ensemble
des avocats font élection de domicile au cabinet de Maître Gilles DEVERS, 22
rue Constantine, 69001 LYON, les notifications pouvant valablement être
adressées à l’adresse gilles.devers@wanadoo.fr 4. A
l’honneur, au visa de l’article 15. 1. du Statut de la Cour Pénale
Internationale de vous saisir de renseignements concernant des crimes
relevant de la compétence de la Cour, à savoir des homicides constitutifs de
crime de guerre et de crime contre l’humanité, définis par les articles 7 et
8 du Traité, et de vous demander d’ouvrir une enquête proprio
motu sur ces faits, sur le fondement de l’article 15.3 du Traité, 5. Le
présent acte s’inscrivant dans la procédure en cours d’analyse préliminaire
auprès de votre bureau1. I – Les faits A – Données générales 1 – L’opération « Plomb durci » 6. Entre
le 27 décembre 2008 et le 18 janvier 2009, l’Etat d’Israël a engagé un
opération militaire dite « plomb durci » sur le territoire palestinien de
Gaza. Le bilan est explicite2 : - 1 417 Palestiniens tués, dont 236
combattants et 313 enfants, - 5.303 blessés graves, et parmi lesquels 1
606 enfants et 828 femmes. - Du côté israélien, on relève la perte de
3 civils et de 10 soldats. - Les dégâts matériels, notamment civils,
sont considérables chez les Palestiniens. 7. Les
grandes instances internationales et de nombreuses ONG ont dénoncé ces faits
comme des
violations criminelles du droit international3. 2 – La vie d’Amira ALQEREM et de sa
famille, début janvier 2009 à Gaza 8. Amira
ALQEREM demeurait avec son père, Fathi Dawson ALQEREM 42 ans, ainsi que sa
soeur Ismat et son frère Ala, dans le quartier de Tal Al Hawa, au Sud-Ouest
de Gaza. Après la séparation des parents, la résidence des enfants avait été
fixée chez le père, les enfants entretenant leur relation avec la mère. Son
père, Fathi Dawson ALQEREM, s’était remarié. 9. Fathi
Dawson ALQEREM était commerçant, dans le secteur de la chaussure, et à ce
titre disposait d’une habilitation lui permettant de se rendre régulièrement
en Israël. 3 – L’opération militaire dans le
quartier Tal Al Hawa 10. Les
troupes israéliennes au sol s’étaient approchées du quartier de Tal Al Hawa
et les habitants avaient déserté leurs maisons, pensant trouver des
conditions moins incertaines en se rendant dans le centre ville de Gaza. 11. Le
quartier étant résidentiel, dénué d’objectifs de nature militaire, Fathi
Dawson ALQEREM avait pensé qu’il était possible de rester. La maison
familiale est située à proximité de l’University College of Applied Sciences,
et contiguë à la Mosquée Abu- Ghalyoun. 12. Du
fait du départ des habitants, Fathi Dawson ALQEREM avait accepté de recevoir
les clés de la Mosquée, pour exercer ponctuellement les fonctions de muezzin. B – Le mercredi 14 janvier 2009 1 – Le contexte a – Le contexte militaire immédiat 13. Les
chars sont arrivés sur place au petit matin du 14 janvier, se regroupant pour
une bonne part dans des espaces libres, à l’est de la maison de la famille
ALQEREM. 14. Le
climat était très tendu, marqué par des tirs diffus. Un drone était sur la
zone, et le trafic aérien était intense, avec de nombreux hélicoptères. Ce
secteur de Gaza n’a pas fait l’objet de bombardements systématisés, ce qui
était cohérent pour un quartier résidentiel, sans objectif militaire. Les
destructions matérielles ont été le fait de tirs, essentiellement à partir
des chars, sur le bâtiment de l’université, sur le minaret de la mosquée, ou
sur des maisons. Mais des photographies récentes montrent qu’il n’y pas eu de
bombardements aériens d’ampleur, y compris le 14 janvier 2009. b – L’organisation dans la maison 15. Ce
jour, vers 18 heures 30, Fathi Dawson ALQEREM s’est rendu à la Mosquée, pour
l’appel à la prière d’Isha (nuit). 16. Vers
21 heures, les trois frère et soeurs se sont regroupés au rez-de-chaussée de
la maison pour passer la nuit, avec leur père, et se sont endormis. Son
épouse n’était pas au domicile, car elle était aller visiter des membres de
sa famille. 2 – Les tirs a – Premier tir : mort de Fathi Dawson
ALQEREM 17. Dans
la nuit, avant minuit, Ismat, Amira et Ala ont été réveillés par une forte
explosion, qui a ébranlé la maison. 18. Ils
sont allés vers la porte, qui avait été soufflée, et se sont trouvés dans la
nuit, éclairée par la lune, avec un environnement fait de fumées et de
poussières. 19. Ils
ont cherché en vain leur père, avant d’apercevoir son corps allongé sur le
sol, à proximité immédiate de la maison. Il était couvert de sang, et ne
donnait plus signe de vie. A proximité, s’était formé un cratère de plusieurs
dizaines de centimètres de profondeur. b – Deuxième tir : blessures graves
causées à Amira ALQEREM 20. Les
trois enfants se sont regroupés, agenouillés ou accroupis, à côté de leur
père. Mais il a vite été décidé d’aller chercher des secours. Ismat et Ala
ont fait quelques mètres, en s’éloignant ainsi de la maison. 21. Une
deuxième explosion a retenti, et Amira ALQEREM, qui était restée près de son
père, s’est effondrée, ressentant comme une déchirure à sa jambe droite. Le
sang a jailli, et la blessure causait des douleurs intenses. c – Troisième tir : mort d’Ismat et Ala
ALQEREM 21. Pour
appeler les secours, Ismat et Ala se sont dirigés vers une voie de
circulation, située au nord-ouest. Ils ont d’abord traversé le groupe de
maisons, par de petites ruelles descendant vers la grande rue. Ils se sont
alors trouvés à découvert, appelant à l’aide à grands cris, et un troisième
tir les a frappés. Leurs corps ont été retrouvés distants l’un de l’autre
d’environ 10 mètres, et déchiquetés. Les corps étaient tellement
méconnaissables et les débris humains épars, que lorsque, deux jours plus
tard, les habitants sont revenus sur le quartier – et alors qu’Amira n’avait
pas encore été retrouvée – ils ont cru qu’Amira elle aussi avait été victime
de ce troisième missile d – Quatrième tir : nouveau tir sur le
cadavre Fathi Dawson ALQEREM et sur Amira ALQEREM 22. Avec
cette troisième explosion et l’arrêt des appels au secours, Amira ALQEREM a
compris que sa soeur Ismat et son frère Ala avaient été visés et abattus.
Elle a aussitôt analysé qu’elle devait chercher à se protéger elle-même, et
transie de peur, s’est dirigée comme elle pouvait vers la maison. Une
quatrième explosion a eu lieu derrière elle, et Amira a vu les jambes de son
père arrachées par le souffle. C – La survie d’Amira ALQEREM jusqu’au 17
janvier 2009 1 – Le jeudi 15 janvier 2009 23. Amira
ALQEREM, à demi consciente, s’est endormie dans la maison, sous la véranda.
24. Au réveil, et avec beaucoup de difficultés, elle a pu boire au robinet. 25. Son
seul but est de parvenir à joindre des secours. Elle s’est approchée du corps
de son père, pour prendre le téléphone portable, qui était hors d’usage. Elle
a eu l’idée de récupérer la puce, et de se rendre auprès d’une tante, qui
habitait à environ 500m. Ne pouvant marcher, elle a rampé sur cette distance,
protégeant sa jambe dans un nylon, pour y parvenir la nuit tombée et hélas
découvrir que la maison était vide. 26.
Epuisée, elle s’est endormie dans la rue, contre un mur. 2 – Le vendredi 16 janvier 2009 27. Amira
ALQEREM, se réveillant, a vu non loin une maison qu’elle connaissait comme
appartenant à un journaliste dont la fille avait été amie de sa soeur Ismat.
Elle a pu rentrer car la clôture était imparfaite, et a accédé à la maison.
Elle a pu boire de l’eau restée dans une bouteille. Elle a trouvé des
coussins et des vêtements et s’est endormie, perdant plusieurs fois
connaissance, dans une extrême faiblesse. 3 – Le samedi 17 janvier 2009 28. Le 17
janvier vers 1 heure du matin, M. Eid Imad a regagné sa maison, car l’ordre
de retrait des chars avait été donné. C’est lui qui a trouvé Amira, et qui
l’a aussitôt conduite à l’hôpital Shifa, où elle a été prise en charge,
d’abord par une série de transfusions. Quatre jours plus tard, son état
général s’était stabilisé suffisamment pour qu’elle puisse subir une
intervention chirurgicale de la jambe. 29. Amira
ALQEREM a pu parvenir en France, fin juillet 2009, pour accéder à des soins
en milieu hospitalier, avant une longue rééducation. II – Les demandes 1 – Recevabilité 30.
S’agissant d’une dénonciation de faits, dans le cadre de l’article 15.1 du Statut,
la recevabilité de la démarche d’une enfant mineure n’est pas contestable. 31. En
tant que de besoin, Mademoiselle Amira ALQEREM demande l’application des
dispositions de la Convention sur les droits de l’enfant, applicable sans
réserve dans les territoires occupés4 et invoque le statut de mineur mature, reconnu par la Chambre des
Lords dans l’affaire Gillick5, applicable dès lorsqu’il s’agit de la santé, composante du
droit à la vie6. 2 – Compétence de la Cour 32. Ces faits
s’inscrivent dans la compétence de la Cour, s’agissant de l’analyse
préliminaire de la situation en Palestine, en cours auprès de votre bureau
sous les références ci-dessus évoquées. 33. Amira
ALQEREM voit s’imposer à elle la situation juridique de la Palestine, non
réglée depuis 60 ans. Il serait particulièrement inéquitable que soit remis
en cause son droit d’accès au juge – dont il est désormais largement admis
qu’il relève du jus cogens7 – au
motif que la communauté internationale a failli pour avoir contribué à créer
le contexte du conflit israélopalestinien, par la résolution 181 du 29
novembre 1947, et par ses carences ultérieures. D’ailleurs,
l’Assemblée Générale de l’ONU ne cesse de rappeler l’engagement de sa
responsabilité, donnée dont la Cour Pénale Internationale, indépendante, doit
tenir compte au titre de l’environnement juridique. 34. Par
exemple, la résolution du 20 juillet 2004 : « L’Assemblée Générale de l’ONU «
Réaffirmant la responsabilité permanente de l’Organisation des Nations Unies
vis-àvis de la question de Palestine jusqu’à ce que tous les aspects de cette
question soient réglés de manière satisfaisante, sur la base de la légitimité
internationale8 (…).» 35. Au
surplus, force est de constater que ce qui est réputé faire défaut à la
Palestine pour acquérir le statut d’Etat de plein exercice est justement ce
que lui usurpe l’Etat d’Israël, pour mieux commettre ses crimes et interdire
aux victimes d’agir en justice. 36.
S’agissant particulièrement des droits de l’enfant, et alors qu’aucun autre
Etat ne peut, de fait, assurer la défense de leurs droits, il est impossible
d’exclure la Palestine de la juridiction de la Cour Pénale Internationale,
sauf à admettre, devant la conscience du monde, un déni de justice9. 3 – Demande d’enquête 37.
L’accès au juge, d’abord pour que soit conduite une enquête, participe à la
reconnaissance du droit des victimes et de la lutte contre l’impunité. L’exercice de l’action pénale
est une forme pertinente d’application du droit, mais c’est aussi le meilleur
moyen de combattre la reproduction de situations mettant en péril les droits de
l’homme10. 38. Le
récit d’Amira ALQEREM est précis et circonstancié. Il décrit plusieurs
phases, qui répondent à une logique, fut-elle militaire et criminelle. 39. Les
éléments subjectifs correspondent aux éléments objectifs : - le
quartier ne comprenait pas d’objectif militaire et n’a pas fait l’objet de
bombardement systématique, ni avant, ni après le 14 janvier 2009 ; - les
quatre tirs qui ont été opérés le 14 janvier 2009 visaient chaque fois des
personnes, dont il ne faisait aucun doute pour les militaires, opérant avec
un repérage à très basse altitude, qu’il s’agissait de civils ; - les
deuxième et troisième tirs visaient des enfants cherchant des secours ; - le
deuxième tir a été porté alors qu’Ismat et Ala ALQEREM s’étaient éloignés de
la maison, ce qui prouve qu’ils étaient surveillés et visés ; - le
quatrième tir visait un enfant à terre, qui cherchait à sauver sa vie. 40. De
même, le récit d’Amira ALQEREM est étayé par des éléments matériels : - le plan
des lieux, montrant les différents lieux de tirs ; - les
photographies montrant que les dégâts matériels, si regrettables soient-ils,
ont été limités, les 4 tirs ayant exclusivement eu un objectif humain ; - le
témoignage de M. Eid Imad qui a retrouvé Amira ALQEREM, le 17 janvier 2009 ; - les
constatations médicales sur l’état du corps de victimes montrent que ce sont
des armes de forte puissance qui ont été utilisées ; - les
constatations médicales lors de l’admission d’Amira ALQEREM à l’hôpital
Shifa. 41. Ces
faits établissent l’intention homicide de civils, par des moyens militaires
et en dehors de tout avantage militaire, ce qui justifie pleinement une
enquête pour crime de guerre et crime contre l’humanité, par application des
article 7 et 8 du Statut de la Cour Pénale Internationale. 4 – Droits de la victime 42. Amira
ALQEREM demande a être informée de la suite qui sera donnée, afin de pouvoir
exercer ses droits de victime, sur le fondement de l’article 15.3 et 68-3 du
Statut11, et selon l’élection de domicile spécifiée en tête de cette
plainte. Et ce sera justice. __________________________________________________________________________________________ 1 http://www.icccpi. int/menus/icc/structure%20of%20the%20court/office%20of%20the%20prosecutor/comm%20and%20ref/pal
estine/palestine?lan=en-GB 2 Rapport de la
Commission indépendante d’enquête sur Gaza : Nulle
part où s’abriter, présenté à la Ligue des États arabes le 30 avril 2009,
Résumé analytique, disponible sur le site de l’ONU, Conseil de sécurité,
S/2009/244. Ces chiffres sont fournis de manière concordante par le Centre
Palestinien des Droits de l’Homme, le ministère de la Santé ou l’UNRWA. 3 Conseil
des Droits de l’Homme, Situation en Palestine et dans les autres territoires
arabes occupés, A/HRC/12/37, 13 août 2009. 4 Cour
Internationale de Justice, Conséquences juridiques de l’édification d’un mur
dans le territoire palestinien, avis du 9 juillet 2004, par. 113 ; Comité des
droits de l’homme, CCPR/C0/78/ISR, 21 août 2003, par. 11 ; Conseil économique
et social, 09-42998, Répercussions économiques et sociales de l’occupation
israélienne sur les conditions de vie du peuple palestinien, 29 juillet 2009,
p. 1. 5 Gillick c. West Norfolk and Wisbech Area Health
Authority, [1985] 3 All E.R. 402. Cette jurisprudence est depuis adoptée par nombre d’Etats : Cour
suprême des Etats-Unis, Planned Parenthood of Central Missouri c. Danforth
Attorney General of Missouri, 428 U.S. 52 (1976) ; Haute Cour d’Australie,
Secretary, Department of Health and Community Services c. J.W.B. (Marion’s
Case) (1992), 175 C.L.R. 218 ; Cour suprême du Canada, A.C. c. Manitoba
(Directeur des services à l'enfant et à la famille), 26 Juin 2009, 2009 CSC
30, n° 31955. Pour le Comité des droits de l’homme, l’accès en justice de
l’enfant doit être facilité : CCPR Communication 397/1990, x. c. Danemark, 22
juillet 1992, par. 5.2. 6 Comité
des Droits de l’Homme, CCPR/C/21/Rev.1, Observation générale n° 14, 27 mai
2008. 7 CEDH
arrêt Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, par. 35 ; Cour interaméricaine
des droits de l’homme, Goiburú c. Paraguay, 22 septembre 2006, par. 131 ;
Tribunal spécial pour le Liban, Juge de la mise en état, 15 avril 2009,
CH/PTJ/2009/03 ; TPIY, Jugement Fwundzija ,10 décembre 1998, par. 153-157. 8
Assemblée générale, AG/1488, 2 Résolution ES-10/15 du 20 juillet 2004,
exigeant qu’Israël s’acquitte de ses obligations en vertu de l’avis de la CIJ
sur l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé. 9 Haute Cour de Justice d’Israël, Physicians for
Human Rights c. Premier Ministre d’Israël, 19 janvier 2009, HCJ 201/09, et
Gisha Legal Center for Freedom of Movement c. Premier Ministre d’Israël, 19
janvier 2009, HCJ 248/09. 10 Cour
interaméricaine des droits de l’homme, Velasquez Rodríguez, 29 juillet 1988,
série C, n° 4. 11 CPI,
Chambre préliminaire 1, République Démocratique du Congo, 17 janvier 2006, n°
ICC-01/04 ; Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme, Blake c. Guatemala,
24 janvier 1998, Série C, n° 36 ; CEDH, Perez c. France, 12 février 2004, n°
47287, par. 68. |