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2 29 août 2009 – page 42 Taysir Batniji : La Palestine en face Marine Benoit II lui a fallu renoncer à la peinture pour parvenir à évoquer dans ses œuvres la Cisjordanie et Gaza, dont il est originaire mais où il ne peut vivre. Avec ses photos et ses installations sans pathos, Taysir Batniji participe aujourd'hui à l'exposition que l'Institut du monde arabe, à Paris, consacre à la création palestinienne. Taysir Batniji est certes un Palestinien qui ne peut retourner sur sa
terre natale, mais il est avant tout un artiste. Longtemps, il a refusé de
faire directement référence à la situation difficile de son peuple dans son
travail. « Pour éviter d'être perpétuellement regardé à travers le prisme du
Palestinien. » Pourtant, il participe aujourd'hui à l'exposition qui se tient
à l'Institut du monde arabe, « Palestine : la création dans tous ses états »,
où il présente une série de photo- graphies en noir et blanc de miradors
israéliens en Cisjordanie. Peu à peu, Taysir Batniji accepte que la réalité du conflit
israélo-palestinien s'immisce dans ses œuvres, « mais sans jamais les faire
tomber dans l'illustration ou le pathétique ». Tee-shirt kaki, sac à dos à
l'épaule et cigarette roulée à la main, il semble vouloir passer pour un
homme sans histoires. Né à Gaza en 1966, il grandit aux côtés de0sept frères
et sœurs. Son père est commerçant, sa mère ne sait ni lire ni écrire.
Lorsqu'il leur annonce qu'il veut devenir artiste, c'est l'incompréhension.
Mais pas question de renoncer à son rêve. Il intègre l'université de
Naplouse, où il apprend à manier le pinceau, mais très vite il a le désir de
conquérir l'Europe. Après la première Intifada, en 1993, il obtient une bourse
pour étudier à l'Ecole des beaux-arts de Naples. Un choc. « Après des années
de couvre-feu et de contrôles quotidiens, je me suis retrouvé investi d'une
immense liberté dont je ne savais pas quoi faire. » Taysir a ensuite la possibilité de poursuivre ses études en France.
Aux Beaux-Arts de Bourges, il se sent plus épanoui. Et Paris n'est pas loin.
«J'ai visité en peu de temps la quasi-totalité des musées parisiens. Ce fut à
la fois enrichissant et déstabilisant : en tant que peintre, j'ai vite eu le
sentiment que tout était déjà fait. » Ainsi abandonne- t-il petit à petit la
peinture. Il roule certaines de ses toiles et y inscrit, tel un sceau, le mot
« inflammable ». « Cette période a marqué chez moi le début d'une grande
remise en cause de la peinture mais, surtout, j'éprouvais pour la première
fois le besoin de parler de la situation en Palestine. » « Inflammable », une
inscription qui au moment de passer la frontière pour entrer à Gaza prenait
tout son sens. « Mes toiles devenaient presque des armes, des objets
dangereux à brûler. » En quittant les siens pour l'Europe, Taysir
cherchait à côtoyer la différence, à apprivoiser l'inconnu. « Paradoxalement,
je ne m'étais jamais autant retrouvé confronté à moi-même. » A plusieurs
reprises il décide de regagner Gaza. Et, à chaque fois, c'est comme si le
destin l'en empêchait. Comme en 1995, lorsqu'il fut appelé en France pour
poursuivre ses recherches, ou en 2000, lorsque, ses valises à peine posées,
la seconde Intifada a éclaté. Il commence alors à travailler avec l'image,
qu'elle soit photographique ou vidéo. « Je ne savais pas comment faire
face à cette situation, à ce vide, à cette destruction. Ma seule manière de résister fut d'en
témoigner. » Bien loin des clichés de
désolation que diffusent les médias, il se plaît à saisir le quotidien des
Palestiniens et à montrer une tout autre réalité. « Après
la seconde Intifada, j'ai eu envie de prouver qu'à côté de la mort, En 2001, après un an passé dans les territoires palestiniens à
enseigner l'art et à exposer, il passe six mois en résidence à Stuttgart,
puis deux ans à Marseille et encore deux à Paris, à la Cité internationale
des arts. Taysir commence à se faire un nom dans le milieu artistique
européen. En 2005, la Palestine le rappelle. « J'étais sûr de moi, prêt à m'y
stabiliser. » Avant le grand emménagement, il se rend quand même quelques
jours en Jordanie pour une exposition. Quelques jours qui suffisent à Israël
pour fermer tous les accès à la bande de Gaza. Il se retrouve à nouveau hors
de chez lui, sauf que la clé est cette fois restée à l'intérieur. Aujourd'hui, Taysir Batniji est un artiste accompli, bien que coupé de
sa famille. Alors en attendant, il en a fondé une autre à Paris. Marié à une
Française, « une des premières personnes qui s'est réelle- ment intéressée à
mon travail », il est père d'un garçon de 2 ans. « Le plus difficile, ce
n'est pas de ne pas être à Gaza, mais de savoir que mon retour y est pour le
moment impossible. Mais j'ai toujours choisi de ne pas subir les situations
et leurs conséquences. » Pour la première fois cette année, la Biennale de Venise a dédié un
espace aux artistes palestiniens. Taysir a choisi de créer pour l'événement
une installation dont l'élément principal est une grande photographie de dans tous ses états», son atelier gazaoui,
poussiéreux mais vierge de toute
création. Devant elle sur plusieurs mètres, des centaines de copeaux de www.imarabe.org crayons de couleur rouge
jonchent le sol. «J'ai voulu évoquer un champ de coquelicots, la fleur
emblème de la Palestine. Un champ infranchissable, symbole de la
confrontation entre cet atelier à Gaza, bien réel mais inaccessible, et cet
espace à Venise, accessible mais éphémère. » Si Taysir Batniji s'est décidé à parler d'exil, il ne se considère pas
comme un « exilé ». Il est juste un artiste un peu forcé d'être en voyage,
soucieux de ne pas apitoyer Je public sur son sort. Mais il est avant tout «
un artiste qui ne peut ignorer que ;a Palestine fait partie de lui ». |