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« Amos Gitaï entre terre et exil » Israéliens et Palestiniens : le rôle du
cinéma Liberté hebdo N° 873 Page 19 Le cinéma
peut-il parvenir à rapprocher des peuples alors que des forces s’opposent à toute amorce
de dialogue ? Deux cinéastes, l’un palestinien, Michel Khleifi, l’autre
israélien, Eyal Sivan, ont tenté de construire une espérance qui puisse
résister des deux côtés de la guerre. Dans leur film « Route 181 », tout
au long de ce tracé arbitraire qui fait référence à la résolution des Nations
Unies partageant la Palestine en deux Etats, ils donnent la parole aux femmes
et aux hommes, israéliens et palestiniens de tous âges, civils et militaires,
saisis dans l’ordinaire de leur quotidien. D’autres réalisateurs ont entrepris une démarche similaire de
réflexion : Elia Suleiman (« Le temps qu’il reste » est actuellement
sur les écrans) et Amos Gitaï auquel CinémAction consacre sa dernière
livraison. Et ce au moment où Arte a diffusé un documentaire « Une
histoire du cinéma israélien », cinéma sioniste de propagande dès les
années 30 et très critique à l’égard de l’Etat israélien à partir de 1970 et
qu’à Cannes figuraient trois films israéliens de Tabakman, Yedada et Shani.
Que représente, pour ces cinéastes, Amos Gitaï dont les premiers films datent
de 1972 (80 films au total dont 18 longs métrages de fiction) ? Il n’a jamais aspiré à être un chef de file. C’est le jugement
qu’ils portent sur la politique de leur gouvernement concernant la
construction d’un Mur de la Honte et l’implantation de colonies dans les
territoires occupés qui les réunit. Ces cinéastes ne sont plus inquiétés,
obligés de quitter Israël comme ce fut le cas pour Amos Gitaï dont le
documentaire « Journal de campagne », 1982, le plaça sur la liste
noire. Les films qu’il réalisa par la suite furent coproduits avec la France
où il résida de 1983 à 1995, il retourna en Israël lorsque Rabin devient
premier ministre et engagea des négociations qui aboutirent aux accords d’Oslo,
depuis ignorés par le gouvernement israélien. Histoire, sociétés et représentations Les titres des quatre parties de l’ouvrage (Une question de
regard, Entre hier et aujourd’hui : l’espace de la terre, Images et traces de
la guerre, D’hier à demain : toujours l’espace) posent d’emblée les visées et
problématiques du titre générique « Amos Gitaï entre terre et exil »,
son cheminement, « le choix de ses sujets, parfois dérangeants ». Les
vingt articles rédigés en majorité par des universitaires originaires de huit
pays différents (grande variété de points de vue) allient érudition et agrément
de lecture et permettent à tout lecteur de s’engager dans un domaine où s’imbriquent
histoire, religion et politique. Malgré le caractère fragmenté de ce type d’ouvrage
collectif, le parcours en diagonale et en profondeur qu’il propose débouche
sur une cohérence : des films sont étudiés dans plusieurs articles et
bénéficient d’éclairages successifs. La qualité orchestrale de ce numéro est à mettre au crédit de la
coordinatrice, Lucie Degas. On peut juger par quelques exemples de la
richesse des entrées dans l’œuvre de Gitaï et des perspectives qu’elles ouvrent.
Didier Coureau étudie deux films qui évoquent l’installation en Palestine des
Juifs d’Europe entre les deux guerres (« Berlin-Jérusalem »,1989 et à la
veille de la proclamation de l’Etat d’Israël en 1948 (« Kedma », 2002). Il
interroge les paysages, repère des lignes rigides séparant Juifs et Arabes.
Il analyse le travail de mise en scène : un cadre s’élargit, dévoile d’autres
exilés interdisant ainsi toute union d’un couple saisi d’abord en gros plan.
Menachem Feuer suit, dans « Kadosh », 1999, une caméra qui « construit
constamment une sensation de contrainte associée à l’espace religieux » :
air raréfié et absence d’espace pour un éventuel changement. Yosepha
Loshitzky retient la trilogie urbaine des années 90, « Devarim », « Yom
Yom » et« Kadosh ». Tel-Aviv, Haïfa et Jérusalem, ces trois villes
aux atmosphères et aux modes de vie différents connaissent des tensions et
des antagonismes qui sont abordés par l’étude des couples ouvert-fermé, religieux-laïc,
masculin-féminin, juif-arabe, minorité-majorité, passé-présent et des forces
qui les travaillent de manière contradictoire. Au total, un livre qui, comme l’œuvre
de Gitaï, est une contribution majeure à la compréhension des problèmes de la
société israélienne et des conflits que connaît cette région du monde. Alphonse CUGIER « Amos Gitaï entre terre
et exil », CinémAction n°131 dirigé par Lucie Degas, Corlet Publications, mai
2009, 190 pages, 24 €. |