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Article paru dans l'édition du 23 Septembre 2009- page 16
La paix à reculons
La scène se passe en décembre 2007, dans un grand hôtel de Jérusalem.
Quelques semaines plus tôt, à Annapolis, dans le Maryland, aux Etats-Unis, un
processus de négociations israélo-palestinien, le dernier en date jusqu'à
aujourd'hui, a été remis sur les rails, et les experts des deux camps ont
repris leurs contacts. Ce jour-là, le chef de la délégation palestinienne,
l'inamovible Saëb
Erakat - de toutes les discussions depuis 1991 -, est très mécontent. "Un
gros appel d'offres était sorti dans la presse pour la colonie d'Har Homa", à
Jérusalem-Est, raconte un membre de la délégation palestinienne. Aussitôt la réunion
commencée, le négociateur palestinien proteste. Son interlocutrice
israélienne, Tzipi
Livni, ministre des affaires étrangères, minimise la portée de l'annonce.
"Saëb a alors brandi une liste de tous les appels d'offres en
cours", poursuit le Palestinien. "Les adjoints de Livni ont
jeté un oeil au document et se sont esclaffés en disant : "Vous faites
mal votre boulot, il y en a beaucoup plus que ça !"" Si le fiasco des
négociations de Camp
David, en 2000, avait été amplement analysé, bien moins connus sont les
ressorts de l'échec du processus enclenché à Annapolis. Ce cycle de
négociations, lancé en fanfare par George W. Bush, promettait de faire
aboutir en l'espace d'un an le processus de paix israélo-palestinien. C'est
cette dynamique que Barack Obama va
tenter de relancer en rencontrant les dirigeants israélien et palestinien -
moins le Hamas, toujours jugé infréquentable à Washington -, mardi 22
septembre, à New
York. Pendant de longs mois,
personne n'a su ce qui s'était dit au cours des négociations conduites dans
le Maryland en 2007, pas plus qu'entre le chef de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas
et le premier ministre israélien d'alors, Ehoud Olmert.
Le secret a été bien gardé. Puis au printemps, dans deux entretiens accordés
au magazine américain Newsweek et au quotidien israélien Haaretz,
Olmert, qui avait été contraint de quitter ses fonctions à la suite de
scandales financiers, se mit à parler. Il dévoila le plan de paix
qu'il avait soumis au président Abbas : un retrait de 93 % de la Cisjordanie
qui laisserait les principaux blocs de colonies (Ariel, Gush Etzion et Maaleh Adumim)
sous la tutelle d'Israël ; en guise de compensation, une cession de
territoires israéliens et l'octroi d'un corridor vers la bande de Gaza, soit une
offre équivalente, en superficie, à 100 % de la Cisjordanie ; la division de
Jérusalem entre quartiers juifs et arabes à l'exception des lieux saints, qui
seraient gérés par un comité international ; pas de reconnaissance d'un droit
au retour pour les réfugiés palestiniens, mais un "geste
humanitaire" envers 2 000 ou 3 000 d'entre eux, autorisés à
retourner sur la terre de leurs aïeux. A Paris, dans les cercles
du pouvoir, l'offre d'Olmert avait été diffusée dès le mois de février par Bernard Accoyer,
le président de l'Assemblée nationale qui, de passage à Jérusalem, avait été
reçu par le premier ministre israélien. D'après Ehoud Olmert, le leader
palestinien n'avait jamais donné suite à son offre. Certains se sont mis à
douter. Les Palestiniens n'auraient-ils pas raté une occasion ? "Le
syndrome Camp David s'est remis en marche", confesse un diplomate
français. Une allusion aux pourparlers du même nom, en juillet 2000, dont
l'échec fut imputé aux Palestiniens, jugés coupables d'avoir refusé une offre
présentée comme "généreuse". "L'attitude d'Abbas a déçu
Olmert, ajoute un diplomate israélien. Même s'il n'était pas en mesure
d'appliquer son plan, il aurait voulu que les Palestiniens prennent date, et
que d'une manière ou d'une autre, son plan soit officiellement
enregistré." Mais l'histoire
d'Annapolis, comme celle de Camp David, a son revers, fait d'une accumulation
de gestes de défiance et de petites mesquineries généralement passés sous
silence. Selon les Palestiniens, Mahmoud Abbas s'est méfié d'une offre
formulée seulement oralement, par un premier ministre aux abois. Olmert lui
avait d'ailleurs montré une carte traduisant territorialement cette offre de
paix, mais sans lui fournir de copie. Sur le fond, l'internationalisation des
lieux saints de Jérusalem, et donc de l'esplanade des Mosquées, n'était pas
du goût du raïs palestinien, tout comme le passage à la trappe du droit au
retour des réfugiés que les Palestiniens revendiquent. Pendant plusieurs semaines,
il ne donna pas suite à la proposition. "Les écarts étaient trop
importants", finit-il par expliquer laconiquement au Washington Post,
fin mai. De crainte d'être stigmatisé comme un obstacle à la paix comme le
fut Yasser
Arafat après Camp David, Abbas dépêcha Saëb Erakat le 18 décembre 2008 à
Washington, aux derniers jours de la présidence Bush. L'émissaire y présenta
une contre-proposition des Palestiniens, qui avait été transmise par écrit
aux Israéliens. On sait peu de chose sur
cette offre palestinienne. D'après un diplomate européen qui a vu la carte
attenante, celle-ci prévoyait qu'Israël annexe 1,9 % de la Cisjordanie avec
un échange de territoires équivalents. Une réunion était ensuite prévue à la Maison Blanche,
le 3 janvier. "Mais au lieu de venir à Washington pour que nous
posions nos cartes respectives sur la table, Olmert est allé à Gaza",
affirme Saëb Erakat, en référence à l'offensive israélienne, déclenchée le 27
décembre. A Jérusalem, ce rendez-vous
raté n'émeut guère les bons connaisseurs du conflit. Pour eux, Annapolis a
été au mieux un exercice théorique, au pire un trompe-l'oeil. Certes, près de
200 séances de négociations se sont tenues en l'espace d'un an, tous niveaux
confondus. Mais l'intensification de la construction dans les colonies (en
hausse de 40 % par rapport à 2007, selon le bureau des statistiques
israéliens) a fait comprendre que les meilleures intentions ne suffiraient
pas. Un jour d'abattement, un conseiller palestinien a fait le compte : "Durant
l'année 2008, 2 200 logements ont été mis en chantier dans les colonies de
Cisjordanie. Cela fait dix maisons de plus pour chaque séance de négociation.
Les Israéliens n'étaient tout simplement pas sérieux", assure-t-il. Benjamin Barthe http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2009/09/22/la-paix-a-reculons_1243614_3218.html |