Grève générale en Palestine occupée :
la confrontation et le défi
CIREPAL (Centre d’Information sur la résistance en Palestine), 27
septembre 2009
Le premier octobre prochain, les Palestiniens de 48 (qui vivent dans l’entité
sioniste) organisent une grève générale, à laquelle ont unanimement appelé
les forces politiques palestiniennes présentes dans le Haut comité de suivi
des masses arabes. Cette grève signifie essentiellement que les régions
demeurées majoritairement arabes (Galilée, Triangle et des parties du Naqab)
seront entièrement paralysées, y compris dans la partie arabe des villes «
mixtes ». Il s’agit d’abord de commémorer le martyre de 13 Palestiniens
tombés début octobre 2000, lorsque notre peuple de l’intérieur s’est soulevé,
pour contribuer à l’intifada al-Aqsa, déclenchée quelques jours plus tôt.
Il a fallu huit ans pour que les Palestiniens de 48 arrivent à proclamer
cette grève, historique dans l’histoire du mouvement palestinien de
l’intérieur. En effet, après la terrible répression en octobre 2000 contre
les Palestiniens de 48, descendus dans les rues pour protester contre les
massacres commis par l’armée sioniste en Cisjordanie (al-Quds y compris) et
la bande de Gaza et pour participer à la révolte de notre peuple contre la
colonisation et l’occupation, dans l’Intifada al-Aqsa, les Palestiniens de 48
ont célébré, entre 2001 et 2008, la commémoration annuelle en organisant
diverses manifestations, dans certaines villes, soit en Galilée soit dans le Triangle.
Commission Ur : manœuvre israélienne
Depuis 2001, plusieurs voix et forces politiques réclamaient la grève
générale, mais en vain. Certains partis essayaient de « calmer » les masses,
préférant discuter avec les institutions sionistes, attendant un geste de
leur part, une sorte de « regret » pour les massacres commis ou « des excuses
» pour la répression, les actes et les paroles racistes. En vain !!
L’institution sioniste, civile, militaire ou sécuritaire, n’a pas bronché, au
contraire. La commission israélienne Ur qui avait été formée juste après la
révolte pour soi-disant examiner et évaluer les événements (manifestations
pacifiques et répression sanguinaire) n’a abouti qu’à faire porter la
responsabilité des faits aux dirigeants palestiniens eux-mêmes, accusant
sheikh Raed Salah et dr. Azmi Bishara d’être les fauteurs de troubles, parce
qu’ils avaient prononcé des discours jugés « extrémistes » par les
responsables israéliens. De plus, les militaires et policiers ayant tiré sur
les manifestants, tuant 13 civils et blessant près de 500 civils
palestiniens, ne seront pas inquiétés, malgré les preuves évidentes de leur
implication dans les meurtres intentionnels. Il a fallu le rapport de cette
commission, paru en 2005, pour que certains dirigeants comprennent enfin que
l’établissement colonial sioniste ne peut aller au-delà de cette manœuvre qui
vise à faire croire qu’Israël est un Etat de droit et que tous ses citoyens
sont égaux, puisque les Palestiniens de 48 « jouissent » de la citoyenneté
israélienne.
Depuis octobre 2000 : accentuation du
racisme colonial
Le massacre d’octobre 2000 n’a été que le début d’une vague répressive,
coloniale et raciste, populaire et officielle, civile, militaire et
sécuritaire, contre les Palestiniens de 48 et leur direction politique.
Depuis octobre 2000, les institutions israéliennes ont accentué leur
politique d’apartheid envers ce qu’elles considèrent comme la « minorité
arabe israélienne » : outre les confiscations des terres (en Galilée et dans
le Triangle), les démolitions des maisons (en Galilée et surtout dans le
Naqab, partie sud de la Palestine), les pratiques de nettoyage ethnique dans
les villes devenues « mixtes » du fait de la colonisation (Yafa, Ramleh,
Lidd, Akka et Haïfa) et dans des régions comme le Naqab, outre les actes et
les déclarations racistes d’officiels, d’universitaires ou de journalistes
israéliens, les masses palestiniennes et leurs directions politiques et
civiles sont soumises à l’arbitraire et la répression : arrestations,
fouilles et confiscations de matériels et documents, exil forcé,
interdictions diverses (de voyager, de se déplacer, etc..). Mais trois faits
marqueront la mémoire collective palestinienne, après le massacre d’octobre
2000 : le massacre de Shefa ‘Amr commis par un soldat-colon en août 2005, le
pogrom de Akka commis en septembre 2008 et la tentative d’invasion par les
colons de Umm al-Fahem, début 2009. Ce qui distingue ces faits de tous les
autres, c’est l’impunité officielle envers les colons, responsables de toutes
ces attaques. Il est désormais clair, pour ceux qui hésitaient encore, que
l’institution officielle israélienne ne peut que soutenir et protéger ses
propres colons, à cause de l’idéologie coloniale et raciste officielle.
D’un apartheid de fait à un apartheid
légalisé
Il est devenu courant de désigner la politique israélienne par apartheid,
concernant la Cisjordanie (y compris al-Quds) et de la désigner par racisme
concernant les Palestiniens de 48, comme si la politique israélienne envers
les Palestiniens de 48 relevait d’un racisme semblable à la France ou à
d’autres pays européens. Mais quiconque étudie minutieusement la pratique
institutionnelle sioniste envers les Palestiniens de 48, depuis l’occupation
de la Palestine en 1948 et la fondation de l’Etat sioniste, réalisera qu’elle
est caractérisée par un véritable apartheid auquel s’ajoute une politique de
nettoyage ethnique et religieux. Cette distinction entre les deux régimes
(Cisjordanie et Palestine occupée en 48) est le fait de ceux qui croient à la
légalité et la légitimité de l’Etat d’Israël, croyance qui les empêche de
voir le visage hideux du colonialisme dans cette partie occupée en 48 : ils
ne voient que la partie superficielle, le racisme envers une catégorie de la
population « israélienne ». Mais dans les faits, l’apartheid sioniste
s’exerce avant tout envers les Palestiniens de 48, dans tous les détails de
vie courante. Il est vrai que les Palestiniens de 48 votent pour des élus à
la Knesset, mais ce n’est qu’une façade, qui risque d’ailleurs de tomber ces
prochaines années. Mais même concernant ces élections, il faut rappeler que
suite à l’expulsion des Palestiniens de leur patrie, en 1948-49, ceux qui
sont restés sont devenus une minorité affaiblie, sans direction politique,
économique et intellectuelle, face à l’établissement sioniste (ce qui n’était
pas le cas des Africains dans l’Afrique du sud). Donc, pour les sionistes, il
valait mieux leur accorder ce droit de vote et la citoyenneté, puisqu’ils ne
pouvaient représenter aucun danger, à l’époque.
Concernant la citoyenneté israélienne, de plus en plus nombreux sont les
Palestiniens de 48 qui la remettent en cause, comme le dit Ameer Makhoul,
directeur de l’Union des associations civiles arabes (Ittijah), dont le siège
est à Haïfa, dans un article récent : « la citoyenneté ne protège pas
le Palestinien, elle n’est pas une médaille israélienne pour le Palestinien,
mais un outil de domination et de domptage entre les mains de l’Etat, alors
que pour le mouvement national palestinien de l’intérieur, elle est un outil
pour demeurer et défendre la patrie, et y défendre les droits de notre
peuple. Quoiqu’il en soit, elle n’est pas un choix palestinien mais une
contrainte israélienne ».
L’apartheid israélien de fait pratiqué depuis 1948 est en passe d’être
légalisé, avec les lois de plus en plus nombreuses que l’établissement
officiel sioniste instaure. Il n’a pas fallu attendre, contrairement à ce que
croient beaucoup, l’arrivée au pouvoir de la droite dure pour ce faire,
c’est-à-dire février 2009. Dès l’Intifada al-Aqsa, plusieurs lois adoptées
par la knesset ou proposées par des groupes parlementaires divers, rejettent
les droits des Palestiniens, limitent leur accès à une égalité même de
surface, encerclent leur direction et leur présence dans leur pays. Les
récentes lois proposées, discutées ou adoptées ne font qu’entériner ce que la
gauche sioniste avait envisagée, à demi-mots. C’est cette accentuation de la
sionisation musclée, à visage découvert, qui a finalement convaincu ceux qui
hésitaient à proclamer la grève générale, à le faire sans hésiter.
L’accumulation des confrontations
antérieures
Si les Palestiniens de 48 sont parvenus à proclamer la grève générale, le 1er
octobre prochain, de manière unanime, c’est aussi et surtout à cause de l’accumulation
des luttes qu’ils entreprennent depuis octobre 2000 contre l’institution
sioniste, sous toutes ses formes. C’est dans la confrontation que les outils
ont été mis au point et ajustés pour arriver à ce stade, reprenant la
tradition de la journée de la terre du 30 mars 1976, mais avec une conscience
politique plus aguerrie de ce qu’ils sont, de ce qu’ils veulent et de ce à
quoi ils aspirent. Il ne s’agit plus seulement de protester contre les
confiscations des terres, qui sont d’ailleurs presque entièrement
confisquées, plus de trente ans après, mais de s’affirmer palestiniens, et en
tant que tels, de contribuer au combat palestinien pour la liberté, contre le
colonialisme, l’apartheid et le nettoyage ethnique israéliens.
Et parmi ces outils de lutte forgés dans la confrontation, il y a le haut
comité de suivi des masses arabes qui a « osé » proclamer la grève générale.
Organe de liaison fondé au début pour contrôler les masses arabes, il est
devenu, au fur et à mesure que les luttes s’intensifiaient, un organe partagé
entre les nationalistes et les « modérés », pour devenir finalement un cadre
portant les aspirations nationales du peuple palestinien de l’intérieur. Bien
évidemment, la lutte à l’intérieur du haut comité n’a pas encore entièrement tranché
la question, mais des voix de plus en plus nombreuses réclament actuellement
l’élection des instances dirigeantes de cet organe par les masses
palestiniennnes de 48, alors qu’elles sont jusqu’à présent formées par un
consensus très éloigné de la réalité sur le terrain.
La principale contestation de ces élections réclamées émane de certains
partis qui craignent que le haut comité ne remplace dorénavant leur
représentativité à la knesset, tout comme ils craignent qu’un tel organe,
uniquement palestinien, ne franchisse le cap d’une séparation de fait avec la
société coloniale israélienne, balayant tout appui ou toute illusion envers
la gauche sioniste ou alternative israélienne. Pour ceux qui réclament ces
élections, il s’agit de bâtir un véritable outil palestinien représentatif,
de liaison et de coordination des luttes face aux menaces de plus en plus
évidentes de la part de l’institution sioniste. Il s’agit, non pas de
remplacer les partis participant aux élections de la Knesset, mais d’aller
au-delà, en tenant compte qu’une part grandissante de la population
palestinienne de l’intérieur ne participe plus ou n’a jamais participé, à ces
élections. La proclamation de la grève générale par le haut comité de suivi
est un pas dans ce sens. Elle vient couronner le débat interne qui dure
depuis des années et qui se poursuivra après la grève.
La grève générale du premier octobre prochain est la poursuite de la
mobilisation exemplaire et la participation massive des Palestiniens de 48
lors de la guerre génocidaire contre la bande de Gaza. Elle est la poursuite
de la mobilisation remarquable lors de la guerre de juillet-août 2006 contre
la résistance au Liban, comme elle est la poursuite de la mobilisation
populaire contre l’invasion de Umm al-Fahem, contre le pogrom à Akka et
surtout, contre la judaïsation de la ville d’al-Quds, devenue de fait sous
leur protection, puisque ni les Palestiniens de Cisjordanie ni ceux de la
bande de Gaza ne peuvent y accéder et la défendre. Une lourde responsabilité
pèse aujourd’hui, comme elle a toujours pesé, sur leurs épaules.
C’est pourquoi il est important que les amis du mouvement palestinien de
libération se mobilisent pour soutenir le combat des Palestiniens de 48, non
pas seulement lorsqu’ils participent au combat palestinien à Gaza ou en
Cisjordanie, mais aussi et surtout lorsqu’ils se mobilisent et affrontent,
les mains nues, l’institution sioniste, civile, militaire, politique ou
sécuritaire, pour protester contre le racisme colonial qui cherche soit à les
israéliser soit à les expulser.
Dans la pratique, il est possible de contribuer au soutien de leurs luttes en
les faisant participer à tout débat organisé sur la cause palestinienne, et
non seulement sur leurs propres luttes, en les invitant aux côtés des autres
Palestiniens, réfugiés ou de Cisjordanie et de Gaza. Ensuite, faire connaître
leur situation, leurs luttes et leurs analyses, en évitant de les intégrer
dans « les affaires internes israéliennes » et en les dissociant des
Israéliens, quelle que soit la nature de ces Israéliens, gauche,
extrême-gauche ou autres. Puis, finalement, en tentant de porter la présence
des Palestiniens de 48 dans leur propre pays colonisé devant les instances
internationales, même si ces dernières sont encore timides ou franchement
pro-sionistes. Défendre la présence et le droit des Palestiniens de 48 devant
les instances internationales a une double portée : d’abord médiatique, mais
surtout politique, puisqu’il s’agit de frapper l’Etat sioniste au cœur, lui
qui considère les Palestiniens de 48 comme étant une affaire interne et que
toute revendication de ce type, une intervention dans ses « affaires internes
». C’est à ce niveau que l’Etat sioniste peut être affaibli et démantelé,
progressivement, tout en permettant à notre peuple de l’intérieur de
s’affermir, d’être une épine mortelle dans le cœur de l’entité israélienne.
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