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Article paru dans l'édition du 6 Octobre 2009- page 3Fête de la bière... en
Palestine
par Laurent Zecchini à Taibeh (Cisjordanie) Nadim Khoury, c'est tout à son honneur de brasseur, ne sera pas le
dernier, au cours de ces deux jours où la "mousse" va couler des
tonneaux, à choquer sa pinte avec qui veut. Samedi 3 octobre, Taibeh, seul
village entièrement chrétien de Palestine, a commencé sa "résistance
pacifique à l'occupation" (israélienne) avec une stratégie conviviale,
sa bière, et l'a achevée dimanche soir, vers 22 heures. Entre-temps, plus
d'un millier de litres de Taibeh ont été bus, dans une ambiance qui tient de
la Oktoberfest
de Munich et de la kermesse festive et politique. Bien sûr, souligne David Khoury,
son maire (et propriétaire avec sa famille de la brasserie), Taibeh reste
modeste : le petit village, qui a reçu quelque 9 000 visiteurs en deux jours,
ne se compare pas avec la fête de la bière qui s'est achevée ce week-end dans
la cité bavaroise. Et si, dans la soirée, quelques jeunes chrétiens et
musulmans étaient un peu éméchés, personne n'a roulé à terre. Ce fut une belle fête que
cette 5e Oktoberfest
de Taibeh, avec danses, musiques, produits de l'artisanat local,
brochettes, falafels et shawarmas arrosés de bière Taibeh et de quelques
apostrophes politiques bien senties pour rappeler que l'objectif reste de
"libérer la Palestine". En ces temps où le peuple palestinien a le
moral en berne, chrétiens et Palestiniens, venus de Jérusalem, Ramallah et
autres lieux des Territoires occupés, se sont joyeusement mélangés. C'est le 15 août 1995 que
la première Taibeh a coulé dans la brasserie de la famille Khoury, seule
bière produite en Palestine, du moins depuis très longtemps. Maria Khoury,
épouse du maire, rappelle que, il y a bien plus de cinq mille ans, la bière
était boisson courante au Proche-Orient : Meneket, déesse égyptienne de la
bière, était vénérée, et Ramsès II était surnommé le "pharaon
brasseur". Plus tard, rappelle le Père Raed
Abousahlia, curé de Taibeh, Jésus-Christ est passé à Ephraïm, ancien nom de
Taibeh, mentionné à six reprises dans la Bible. La dernière fois, c'était
avant la semaine de la Passion (Jean, chap. 11, vers. 54). Les Khoury sont
natifs de Taibeh. Comme beaucoup de chrétiens, ils en sont partis parce que
l'avenir du processus de paix israélo-palestinien était désespérant. Ils ont
fait souche à Boston (Massachusetts), David et Nadim ayant monté un business
florissant de vins et spiritueux. Puis il y eut les accords
d'Oslo, en 1993, un formidable espoir de paix pour les Palestiniens, vite
déçu. Il n'empêche : les Khoury y croient. Ils liquident leurs affaires
américaines, pour 1,2 million de dollars, qu'ils réinvestissent dans la
"création d'une bière palestinienne". Avec d'autant plus
d'enthousiasme que Yasser Arafat
leur a donné "sa bénédiction" pour créer une brasserie à
Taibeh, cet îlot de chrétienté en terre musulmane. Nadim raconte son univers
de brasseur : les cuves en Inox achetées aux Etats-Unis, les malts français
et belges, l'acheminement vers les centres de distribution, ce parcours du
combattant. Nadim tempête : "Après la construction du
"Mur", c'est devenu impossible de vendre à Jérusalem (distante
de 27 kilomètres). Les Israéliens nous obligent à passer par un seul
check-point commercial. Cela prend plus de trois heures, et souvent il faut
faire demi-tour. Les Israéliens, eux, distribuent leur bière partout, en
passant par tous les check-points." Les brasseurs israéliens,
producteurs des bières Maccabee et Goldstar, ne sont pas mécontents de ces
entraves au libre commerce. Nadim et David se rassurent : la Taibeh, produite
à 600 000 litres par an, jouit d'un quasi-monopole à Ramallah. Sur l'estrade,
les danseuses et danseurs palestiniens ont fait place à un ensemble musical
brésilien, puis au groupe allemand Rascasse et aux Britanniques
de Two Down. Plus tard, alors que le
soleil se couche sur les collines du désert de Judée et que les lumières de
Ramallah scintillent au loin, les groupes hip-hop G-Town et Ramallah
Underground vont faire jaillir les décibels de musique pop. Dans l'assistance,
des jeunes dansent, alors que quelques (rares) Palestiniennes coiffées d'un
foulard regardent, médusées. Les enfants se faufilent, évitant les pintes de
bière en plastique, dont la mousse déborde. Un peu plus tôt, il y a eu
des discours. Les maires de quelques-uns des seize villages musulmans qui
entourent Taibeh sont venus à l'Oktoberfest en voisins, et le ministre
palestinien de l'économie, Bassim Khoury,
a fulminé contre la confiscation des droits de douane palestiniens "qui
servent à financer la colonisation" juive dans les territoires
occupés. Rafic Husseini, directeur
de cabinet de Mahmoud
Abbas, président de l'Autorité palestinienne, a rappelé que "Jérusalem
sera la capitale de notre nation". Les diplomates présents, avec ou
non un verre de Taibeh à la main, ont fait preuve de réserve, tout en opinant
lorsque le maire a souligné que la bière Taibeh avait pour ambition de "faire
croître l'économie nationale de Palestine". Les dignitaires religieux,
eux, étaient partis plus tôt. Le Père Raed était un peu agacé par la place
prépondérante prise par la bière dans l'Oktoberfest. Et d'énumérer les
produits locaux vendus dans les stands : l'huile d'olive, le miel, les
travaux de broderie... Surtout, il ne veut pas que Taibeh devienne le village
"où les musulmans des villages voisins viennent boire, même s'ils
boivent plus de bière que les chrétiens". Il rappelle que "
l'Eglise latine emploie 86 personnes", contre 15 à la brasserie. Ce sont là de petites
agaceries entre le brasseur et le curé, qui ne remettent pas en cause la
quiétude du village. Quiétude toute relative pourtant : la voiture de David
Khoury, maire et brasseur en son pays, a été détruite par une explosion
criminelle, lundi 28 septembre. Comme si tout le monde à Taibeh n'était pas
convaincu par le slogan de la famille Khoury : "Drink cool, drink
palestinian"... |